À l’aube du XXᵉ siècle, alors que la Chine impériale s’effondre sous le poids des ingérences étrangères et des révoltes intérieures, un enfant devient, malgré lui, le symbole vivant d’un ordre ancien condamné à disparaître. Dernier rejeton de la dynastie Qing, Aisin Gioro Puyi est destitué en 1912 avant d’être restauré cinq ans plus tard sur son trône. Un épisode méconnu de sa vie tumultueuse d’Empereur de Chine.
Destiné à porter un trône déjà vacillant, Aisin Gioro Puyi n’a que deux ans et dix mois lorsque l’impératrice douairière Cixi, sur son lit de mort, ordonne son intronisation pour sauver l’empire du chaos. En 1908, il devient « Fils du Ciel » sous le nom de règne Xuantong au cours d’une cérémonie fastueuse qui cache mal les réalités d’un empire déjà, la proie de tourments révolutionnaires. Trop jeune pour régner, il est coupé du monde, prisonnier doré d’une Cité interdite qui devient pour lui un labyrinthe sans sortie. À l’extérieur de ce paradis sécurisé, la Chine est à bout de souffle : sous l’influence occidentale et minée par la corruption, l’Empire se fissure.

Un Régent inéfficace, la chute de la monarchie
En 1911, le soulèvement de Wuchang signe le début de la Révolution Xinhai. La régence dirigée par Zaifeng, second prince Tchun, se révèle incapable de juguler cette révolte qui se généralise dans tout le pays. Contraint de rappeler le général disgracié Yuan Shikaï (qu’il déteste) le père de Pu Yi est finalement obligé de démissionner de son poste en décembre de la même année, deux mois après le départ de l’insurrection. Sir Reginald Johnson, précepteur de l’Empereur, sera un témoin privilégié de ces événements qui précipite la monarchie vers sa fin. Il dresse dans ses mémoires un portrait lucide du régent :
« Un homme aux qualités affables, exempt de toute malice ou de tout esprit vindicatif, sociable, aussi intéressé par le théâtre chinois que par la politique ou les affaires du monde… Bien intentionné, il s'efforce, malgré sa lenteur et son échec, de plaire à tout le monde, ne réussit à plaire à personne, fuit les responsabilités, manque cruellement d'esprit d'entreprise, manque cruellement d'énergie, de volonté et de cran, et il y a lieu de croire qu'il manque de courage, tant physique que moral. Impuissant face à l'urgence, dépourvu d'idées originales, il est susceptible de se laisser influencer par n'importe quel beau parleur. Cependant, après son accession à la régence, les flatteries des flagorneurs tendirent à le rendre obstinément tenace dans ses propres opinions, qui se révélèrent invariablement erronées. », écrit-il à son propos.
La fin de l’institution impériale ressemble à un ballet tragi-comique. L’ambitieux Yuan Shikai va jouer sa carte, négocier en parallèle avec les rebelles et obtenir la déchéance de Pu Yi par l’entremise de l'impératrice Douairière Longyu. Le 12 février 1912, la République est proclamée, l’Empereur est autorisé à rester dans la Cité interdite et conserver ses centaines de serviteurs et autres mandarins.

Le mouvement monarchiste se réorganise face à Yuan Shikaï
La révolution est un échec en soi et ne va rien régler. Yuan Shikaï prend la tête du pouvoir après le retrait de Sun Yat-sen, le leader socialiste qui a été le meneur de la révolte. Face au désordre, il établit sa propre dictature et finit par se parer des habits de celui qu’il a contribué à renverser. En 1915, il se fait proclamer grand empereur de Chine par une assemblée qui lui est acquise. Très rapidement, il coalise autour de lui une opposition armée qui ne lui laisse finalement pas le choix. En mars 1916, il renonce à son trône après 83 jours de règne et une multitude de titres nobiliaires distribués avant de décéder quelque temps plus tard. Pu Yi est informé de ce qui se passe à l’extérieur de la Cité interdite. Il est navré d’apprendre que celui qui a été un des plus fervents partisans à cette restauration monarchique en faveur de Shikaï ne fut autre que le prince Pu Lun, ancien prince héritier, dont le fils fut un camarade de classe de l’Empereur. Pu Yi feint de s’amuser de cette proclamation, assurant « que Yuan Shikaï ne peut être souverain puisqu’il est le seul à conserver le sceau impérial ».
Le mouvement monarchiste s’est réorganisé (qui prendra plusieurs noms au cours de son existence) et entend promouvoir la restauration du souverain légitime. Le nord-est de la Chine, spécialement la Mandchourie, reconnaît toujours Pu Yi comme « Fils du Ciel », se dote de leaders particulièrement actifs (comme Shanqi, dixième prince Su, ou encore le prince Aisin Gioro Puweï qui se voyait bien souverain d’une Mandchourie indépendante) et prend contact avec des officiers japonais du Kwantung, l’armée impériale nippone. Tokyo espère déjà favoriser un soulèvement en Mandchourie afin de renverser Yuan Shikaï qui doit également lutter contre son opposition républicaine. Les royalistes tentent même d’associer vainement le général Zhang Zuolin (1875-1928), monarchiste convaincu qui tient militairement la Mandchourie. Tout semble alors favorable monarchistes qui ont tous les atouts entre leurs mains avec le départ du pouvoir de Yuan Shikaï. La République est affaiblie, l’armée divisée ou entre les mains de divers seigneurs de la Guerre qui dirige leurs petites principautés de manière autoritaire.

La restauration mandchoue de 1917
C’est la Première Guerre mondiale qui va permettre aux royalistes de tenter leur coup d’état. Le commandant Duan Qirui, chef du gouvernement, s’oppose au Président de la République, le général Li Yuanhong sur la question de faire entrer la Chine dans le conflit. Opposé à toute ingérence dans les affaires européennes, Li Yuanhong finit par limoger son Premier ministre. Une décision qui provoque une grave crise politique. Il charge alors le général Zhang Xun (1854-1923) de servir médiateur entre les loyalistes et les rebelles qui se sont soulevé dans le sud de la Chine. Le nouvel homme fort réclame alors la dissolution du Parlement, ce que lui refuse Li Yuanhong. Le prétexte est tout trouvé pour ce royaliste qui a su tromper l’entourage présidentiel.
Le 1er juillet 1917, profitant d’une agitation à Pékin (et après s’être assuré du soutien de Zhang Zuolin), il entre dans la capitale à 4 heures du matin et proclame la restauration de la monarchie. Pour la seconde fois de sa vie, Pu Yi, jeune adolescent de 12 ans, redevient Empereur au cours d’une courte cérémonie, entourés par 300 personnes. Li Yuanhong s’enfuit d’abord à la Légation française puis dans celle du Japon. Non sans avoir remis les rênes de la défense au commandant Duan Qirui qui organise la résistance de Pékin. Les républicains et les royalistes vont s’affronter durant une dizaine de jours, laissant Pu Yi dans l’incertitude du lendemain. La Cité interdite est même bombardée par l’aviation républicaine. Finalement, un cessez-le -feu est réclamé par les royalistes acculés. Sous pression d’une médiation européenne, le général Zhang Xun doit alors contraindre Pu Yi à abdiquer le 12 juillet suivant avant de partir demander l’asile aux Néerlandais et de disparaître de la scène politique. Certains historiens ont affirmé que Duan Qirui aurait manipulé Zhang Xun lui laissant entrevoir un soutien à la monarchie afin de mieux s’en débarrasser. « (…) Il s'est avéré qu'ils me jouaient un tour. Nous ne pouvons pas être lâches. Nous les combattrons jusqu'au bout, même au péril de notre vie. De quoi avons-nous peur ? Le moment venu, nous révélerons la vérité. Ai-je été le seul à vouloir restaurer la monarchie ? », écrira plus tard l’officier royaliste.
Pu Yi sera finalement expulsé de la Cité Interdite en 1924. Au cours des années suivantes, les membres du mouvement royaliste se concentrèrent de plus en plus sur les questions relatives à la Mandchourie, arguant qu'une monarchie indépendante pourrait offrir de meilleures conditions de vie à la population locale. Devenu trop puissant, le général Zhang Zuolin qui songe à mener ses troupes afin de restaurer l’Empire et qui s’est emparé de Pékin (1926) est finalement victime d’un attentat organisé par le Kwantung. Après l'invasion japonaise de la Mandchourie en 1931, le prince Puwei se proclama chef du mouvement indépendantiste mandchou et candidat à la tête du Mandchoukouo. Néanmoins, les Japonais jetèrent sur leur dévolu sur Pu Yi, le nommèrent chef de l'exécutif (plus tard empereur) du nouvel état fantoche en place qu’en 1945, dernier chapitre d'une vie tumultueuse.
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