À l’heure où le sujet du « mariage pour tous » continue encore de crisper une partie de la population française et reste un enjeu pour les prochaines élections présidentielles et législatives, quelle est la place des homosexuel(les) dans le « royco-land » ?
Que s’est-il donc passé le 1er septembre 2016 pour que le roi de Norvège Harald V devienne subitement, à 79 ans, une star du web ? Avec plus de trois millions de vues, sur le réseau social Facebook , la vidéo du discours d’une durée d’à peine 5 minutes et qu’il a prononcé devant un large parterre d’invités et de diplomates réunis pour le 25e anniversaire de son règne, a fait le « buzz ». Le palais royal s’est retrouvé subitement inondé sur son site officiel de demandes de traduction en tout genre. Pour la première fois, un monarque en fonction venait ouvertement et publiquement de prendre position en faveur des droits [des migrant(e)s et] des homosexuel(le)s.
Le royco-land condamne le mariage pour tous
Lorsqu’en 2012-2013, la ministre de la Justice Christiane Taubira initie son projet de loi autorisant en France le mariage (laïque) aux couples de même sexe, ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes réunies au sein du collectif « La Manif pour tous » qui se retrouvent dans la rue afin de crier leur opposition à une loi qui, selon eux, mettrait en danger les statuts séculaires et traditionnels de la famille . À l’instar de la société française dont ils sont une image, les royalistes se divisent sur le sujet avec d’autant plus de passion que cette loi va réveiller une certaine homophobie latente parmi un grand nombre d’entre eux, bibles à la main pour seul paravent. De l’Action française à l’Alliance royale en passant par les nombreuses associations légitimistes, le « royco-land » semble condamner de manière unanime ce projet de loi, qui va d’ailleurs servir à tenter de déstabiliser dans un vaste « néo-6 février » [1934] le gouvernement socialiste élu quelques mois auparavant. La loi sera finalement votée en mai 2013 mais elle aura eu le mérite (ou non) d’avoir rassemblé les royalistes et les princes de France sous un même drapeau. Celui de la contestation.
Le royalisme séduit la communauté LGBT
Pour autant, faut-il rejeter une réalité que d’aucuns combattent avec une certaine violence verbale sur les réseaux sociaux quand ils ne la nient pas catégoriquement ? L’idée royale a désormais séduit plus d’un membre de cette « communauté » et dépassé cette sempiternelle caricature qui veut que le « gay français » vote en faveur des listes de gauche. Certains y verront un vaste et diabolique complot franc-maçon, LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et trans) insufflé par Satan lui-même quand d’autres, simplement et naturellement, un royalisme ancré dans l’évolution du monde moderne faisant preuve d’ouverture d’esprit teinté d’une certaine retenue.
Ces princes qui aimaient les hommes
Un constat que nous rappelait avec justesse le trimestriel Point de Vue-Histoire de septembre 2015 avec ce titre « Ces princes qui aimaient les hommes ». Rois et princes du sang, de tout temps, faisant donc fi des codes de bonne morale chrétienne pour s’adonner ce que le siècle de Louis XIV avait par provocation pudique surnommé « le vice italien ». Et le royaume de France ne fut pas exempt (pas plus que ses royaux voisins) de ces nobles qui pouvaient montrer autant de virilité et de rudesse sur les champs de batailles que sous les draps d’un lit. Combien de fois n’a-t-on pas écrit sur les amours coupables d’un Auguste-Philippe avec son royal cousin au cœur de Lion ou ceux de ces mignons fardés comme des « Queens » qui auraient partagé la couche du très pieu catholique Henri III de Valois en passant par un Louis XIII vraisemblablement tombé « en pâmoison » devant son ambitieux marquis de Cinq-Mars et dont l’amour ambigu fera perdre la tête à ce dernier ? Encore faut-il citer le premier des Orléans, Philippe, qu’un neveu de Mazarin avait initié avec succès au goût des futilités et des manières efféminées de l’époque, qui fut autant un militaire de talent qu’il en conquit virilement le tréfonds de la Lorraine sous les draps. Ce qui ne l’empêcha pas d’essaimer et de fonder une branche qui devait monter sur le trône de France entre deux révolutions (1830-1848).
L'histoire écrite en plusieurs couleurs
À regarder de près l’histoire, bien des princes et des rois furent des homosexuels, bisexuels assumés ou honteux sans pour autant démériter de cette gloire qui permit aux nations européennes de se construire. Les exemples de ce « Glee-club » royal ne manquent pas. L’histoire les a placés au sein de son panthéon des héros et les royalistes chantent encore leurs exploits sans s’attarder sur leur préférences sexuelles : à commencer par le Grand Condé, Louis II de Bourbon, qui fut un des soldats les plus compétents du Roi Louis XIV, se plaisant à « tirer » glorieusement avec ses soldats, son « épée » dans des jeux potaches de casernes. Faut-il citer le grand Fréderic II dont les amours coupables à son adolescence lui firent vainement fuir la cour rigide et froide de Prusse avec son amant avant de devenir l’un des plus grands monarques de l’histoire allemande ou bien ces Tsars et Tsarines, princes Romanov, dignes libertins voyeuristes du XVIIIe au XXe siècle se complaisant dans les amours ambiguës. Et si certains fustigent toujours ces mœurs, longtemps considérés comme une maladie, force est de reconnaître qu’on s’extasie pourtant devant ces chefs d’œuvres réalisés par certains rois, tous de jaquettes vêtus, et qui continuent de magnifier notre histoire monarchiste. Louis II de Bavière est devenue au fil du temps l’icône « gay-royco » par excellence. Le plus beau prince d’une Europe conservatrice fut aussi un inlassable romantique qui a laissé à la postérité nombre de châteaux néo-gothiques, témoignages de la grandeur des Wittelsbach. Plus proche de nous, les frasques homosexuelles, dans sa jeunesse, de David de Windsor, futur Edouard VIII, ou de son cousin le duc de Kent, habitué des back-rooms de la capitale d’un monde qui avait cloué très hypocritement au pilori Oscar Wilde et sa romance avec un jeune lord de l’aristocratie britannique.
Un lobby actif au sein de la mouvance monarchiste
Et parmi ces « gays-roycos », on retrouve toutes les composantes de la société française : des catholiques traditionalistes, des athées, des wiccans que des opposants ou partisans à la loi du mariage pour tous, l’adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA), soutiens de la gauche ou de la droite monarchiste en passant par tous les partis dit républicains. Si certains l’affichent ostensiblement sur les réseaux-sociaux, d’autres ont choisi la discrétion. On est loin ici des sulfureuses images d’une gay-pride, parfois déplacées, qui ne semblent pas refléter la réalité de l’homosexualité au sein d’un royalisme militant. En effet, il est difficile ici d’ignorer désormais ce qui est une réalité de terrain. Parmi les membres de l’Action française (AF) comme de l’Alliance royale (AR), de la Nouvelle Action Royaliste (NAR) aux plus conservateurs-tradis des légitimistes, les mouvements royalistes comptent de nombreux gays et bisexuels qui sont engagés politiquement comme dans le militantisme quel qu’il soit. Si la France monarchiste semble rejeter majoritairement ce mode de vie personnel, il n’en demeure pas moins qu’il est devenu un lobby très actif, que l’on retrouve également dans le produit audiovisuel français (PAF), au service du royalisme.
Des Queens....
Succédant au pacte civil de solidarité (Pacs) qui avait déjà ébranlé l’ordre symbolique d’une société traditionnelle (patriarcat, monogamie et mariage) dans les années 1990 et mis côté à côte dans le rue Christine Boutin (alors qui se distingua par un violent réquisitoire de cinq heures à l’Assemblée nationale) et le vicomte Philippe de Villiers qui prophétisaient la « destruction de la société », le « mariage pour tous » a pourtant connu moins de passions dans les différentes monarchies de l’Union Européenne. Quoi que… !
Premier royaume à lancer le débat, celui des Pays-Bas. Déjà en 1994, le gouvernement avait partiellement ouvert des registres d’union homosexuelle. En dépit de vifs débats, la signature de la reine Béatrix sur le document légalisant le « mariage pour tous » (2001) ne fut que la conclusion logique de cette réforme inédite. Il est vrai que, depuis, dans la famille Nassau, l’actuelle reine Maxima s’est faite l’avocate des droits homosexuel(le)s et a été le premier membre de la famille royale à participer à une conférence LGBT en 2008 avant que son mari, le roi Willem–Alexander, huit ans plus tard, ne crée également la surprise en visitant une association reconnue de lutte pour les droits des gays. Il s’en est fallu de peu pour que les autres monarchies s’engouffrent dans ce coup de canif fait au sacro-saint mariage traditionnel.
Aux kings, la division demeure
Le gouvernement «arc-en-ciel » du libéral flamand Guy Verhofstadt met fin à la « cohabitation légale » et adopte en 2003 une loi similaire à celle de son voisin néerlandais. Albert II aura certainement retourné dans sa tombe son prédécesseur, le catholique Baudouin Ier qui, de son vivant, n’avait pas hésité à provoquer une « Interruption Volontaire de Règne » durant 36 heures, en refusant de signer une loi autorisant l’avortement. De l’autre côté des Pyrénées, l’épiscopat catholique et le droitiste Parti Populaire lèveront l’oriflamme de la résistance devant un gouvernement socialiste intransigeant avec, en fond de toile, la reine Sofia de Grèce qui ne cachait pas son opposition à ce changement incongru des lois de la famille. Trois ans après l’adoption de la loi, en 2008, la reine d’Espagne avait d’ailleurs de nouveau sèchement donné son point de vue sur la question en déclarant : « Je peux comprendre, accepter et respecter qu’il y ait des personnes avec d’autres orientations sexuelles, mais de là à ce qu’elles soient fières d’être gays, qu’elles montent sur des chars pour manifester… […]. Si ces personnes veulent vivre ensemble, s’habiller en mariés et s’épouser, cela peut être leur droit ou pas, en fonction des lois du pays ; mais qu’elles n’appellent pas cela un mariage, parce que cela ne l’est pas ». Dans les rameaux Bourbons, il n’était pas question de souffrir de la remise en cause d’une institution sacrée et portée sur l’autel du divin. Le comte de Paris, Henri d’Orléans avait comparé la loi à une «hérésie cathare » se déclarant en faveur du maintien du Pacs tandis que son cousin Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, prétendant légitimiste à la couronne du Brésil (ligne Vassouras), était venu manifester dans la rue aux côtés du duc Jean de Vendôme pour la protection de la famille. Le duc d’Anjou, Louis-Alphonse de Bourbon, avait quant à lui émis un communiqué officiel refusant que soit « stigmatisé la communauté homosexuelle » mais tout en rappelant fermement « son refus de (cette) loi qui mettait en péril l’institution du mariage entre un homme et une femme ». Malgré ce concert de monarchies – la Suède (2009, avec une disposition obligeant l’Église à trouver un pasteur pour célébrer les mariages religieux), le Danemark (2012) le Royaume-Uni (2014 après que la reine Elizabeth II a officiellement donné son « assentiment royal » en juillet 2013) et enfin le Luxembourg (2015) – favorables à cette réforme, on trouve toutefois des îlots de résistance royaliste. L’Irlande du Nord refuse toujours d’appliquer fermement la loi et ne reconnaît que le PACS. La principauté du Liechtenstein a accepté du bout des doigts de voter en 2011 un partenariat civil pour les couples de même sexe puis a opposé un refus net à toute autre évolution. La lointaine monarchie des Tonga se base quant à elle sur les saintes écritures pour justifier sa décision d’interdire le « mariage pour tous ».
Des mouvances qui font front contre le progressisme
Lorsque l’unique héritier du royaume de Rajpipla, le prince Manvendra Singh Gohil, confessa son homosexualité en 2006, la réaction de ses royaux parents fut immédiate. Il fut déshérité dans un tonnerre d’applaudissement de la part de ses compatriotes. Une exception notable en Asie qui contraste avec les lois favorables aux gays en Thaïlande et au Cambodge. Dans ce dernier royaume, feu le roi Norodom Sihanouk avait pris position publiquement en 2004 en faveur d’un projet de loi sur le mariage homosexuel par une série de lettres publiées sur le site officiel. Pour autant, on ne badine pas avec la personne sacrée du roi. Un photomontage pornographique montrant son successeur dans des positions scabreuses (il est vrai que le roi Norodom Sihamoni est un célibataire endurci) avait généré une véritable chasse à l’homme dans le pays (janvier 2017). De l’Europe à l’Amérique, les mouvements monarchistes suivent leurs princes. Peu d’entre eux sont favorables au « mariage pour tous ». Celui de l’Albanie (Parti de la Légalité) est certainement celui qui se distingue par le plus violent rejet de cette réforme sociétale alors qu’a contrario, celui du Brésil se montre plus ouvert. Sa branche orléaniste, dite de Petrópolis, ne cache pas ses points de vus libéraux à ce sujet. Récemment, fort des déclarations du prince Dom Joao d’Orléans-Bragance et du soutien public des princes du Brésil, ses partisans ont fondé un groupe «chargé de promouvoir l’égalité sexuelle entre tous dans le monde monarchiste ».
Le mot de la fin ? C’est le prince héritier du trône britannique qui nous le donne. Conscient de l’évolution inéluctable de la société, en juin 2016, William d’Angleterre avait fait sensation en posant en Une d’un magazine gay célèbre, brisant ainsi un tabou dans cette monarchie séculaire. Se voulant successeur de sa défunte mère, elle-même engagée dans la protection des droits des homosexuels dans le monde, le duc de Cambridge avait déclaré : « Personne ne devrait être intimidé pour son orientation sexuelle. Chacun doit être fier de sa personne». Un message royal fort de tolérance dans un débat pourtant loin d’être clos dans le microcosme monarchique et qui continue de diviser. Homosexualité et royalisme, un antagonisme ?
Copyright@Frederic de Natal
Publié le 22/03/2017