Que sont devenus les descendants de l'Empereur-maréchal Yuan Shikai ?

Réformateur et fossoyeur de l’Empire en 1911, le maréchal Yuan Shikai reste un personnage controversé de l’histoire chinoise. Officier de talent, nationaliste, il n’hésitera pas à brièvement occuper le trône du Dragon pour ses propres intérêts. Son nom s’est perpétué jusqu’à nos jours. Ses descendants ont laissé leur trace à travers les différents chapitres tumultueux de la Chine et connu diverses fortunes entre adhésion et rejet du communisme. 

C’est au sein d’une famille attachée à la tradition confucéenne que Yuan Shikai va être élevé. Né en septembre 1859, agrès avoir échoué aux concours de l’administration impériale, il entre dans l’armée sans savoir qu’il va laisser son nom dans l’histoire de la Chine. Dirigée par la dynastie Qing depuis le XVIIe siècle, l’Empire céleste est miné par la corruption et les nombreux soulèvements qui affaiblissent les Empereurs qui se succèdent sur le trône du Dragon. C’est en Corée où il a été envoyé que Yuan Shikai va se tailler une réputation de diplomate et une poigne de fer qui va l’accompagner toute sa vie. Le « Pays du matin calme » est alors la victime d’une guerre d’influence entre la Chine et le Japon. La cour impériale de Corée penche  pour Pékin et lui demande de venir former ses troupes. C’est dans ce contexte que Yuan Shikai est nommé en 1885 « Résident impérial»  à Séoul. Il va rapidement s’imposer, même faire office de souverain de substitution. 

Yuan Shikai, maréchalà  empereur@Wikicommons

Un officier fidèle de l'Emire céleste

Bien qu’il se soit marié avec Yu Yishang en 1876, qu’il a laissé derrière lui en Chine et avec qui il a eu un fils, Yuan Shikai adopte rapidement les avantages que sa fonction lui procure. Il prend trois concubines (dont une princesse coréenne) avec lesquelles il aura des enfants. Un amateur de bonne chair et de femmes, parfois des prostituées. Un harem qui ne lui donnera pas moins de 17 enfants dont est issue sa descendance actuelle. Durant tout son mandat, l’homme fort de la péninsule coréenne va tenter de maintenir très difficilement un statu quo entre les deux pays rivaux. La guerre éclate finalement en 1895 au détriment de la Chine qui perd sa suzeraineté sur la Corée, devenue un laboratoire colonial à ciel ouvert pour le Japon. Un conflit qui va dessiner les futures relations entre les deux géants asiatiques. Yuan Shikai est en Chine lorsque le conflit éclate. Il évite ainsi l’humiliation que va subir l’Empire céleste, dont la fin programmée semble alors inéluctable. Yuan Shikai l'a bien compris. Face à l’impératrice douairière Ci Xi qui les soutient, il réprime la rébellion des Boxers en 1901. Vice-roi de Zhili, il acquiert une certaine fortune qui attire l’attention de Pékin méfiante à son égard. Conservateur, Yuan Shikai devient réformateur et prône l’instauration d’une monarchie constitutionnelle afin de sauver l’Empire de ses démons intérieurs et des étrangers de plus en présents dans le pays. Il évite la condamnation à mort avec la mort simultanée de l’Empereur Guangxu et de Ci Xi. Ses relations avec le régent, le prince Tchun II, vont être exécrables. En 1909, il est limogé de ses postes de commandement. Une décision qui heurte ce fidèle de la monarchie mandchoue. 

Fossoyeur d'une monarchie dont il porte la couronne de 10 000 ans

Républicains comme monarchistes le courtisent. Yuan Shikai refusera finalement toutes les offres de la cour, laissant l’Empire s’écrouler en 1911 alors que tout indique qu’il aurait pu le sauver s’il avait choisi de poursuivre les révolutionnaires. A deux reprises, il avait d'ailleurs battu les troupes de Sun Yat-sen. L’Empereur Pu Yi lui en gardera rancune et ne laisse place à aucun doute, parlant de Yuan comme d’un « vieil homme gras » dans ses mémoires. Bien qu’il a été nommé Marquis du Premier rang, c’est encore lui qui va négocier avec la maison impériale afin qu’elle renonce à ses pouvoirs intemporels l’année suivante. Si Pu Yi règne dans la Cité interdite, lui sera Président de la République. Le premier pas vers une couronne qu’il convoite secrètement. Yuan Shikai estime qu’il est le seul à pouvoir rétablir l’ordre dans un pays livré à l’anarchie et les seigneurs de la Guerre. Les Qing, mis au courant de son projet de restauration de la monarchie, prennent acte et acceptent de le reconnaître comme nouveau souverain. La Cité interdite vit son « drama ». Pu Yi écarté au profit d’un maréchal dont une des filles lui servira d’épouse.  Inacceptable pour l’Empereur déchu qui ne veut pas entendre parler de Yuan Shikai. Dépité par cette trahison, bercé par les récits de son précepteur Réginald Johnston, il rêve de quitter cette Chine qu’il accuse de l’avoir trahi. Les Japonais se chargeront bientôt de le remettre sur un trône créé à son attention. Élu par une assemblée acquise à sa cause, Yuan Shikai devient l’Empereur Hongxian le 12 décembre 1915 mais a bien du mal à se faire accepter. Des rébellions éclatent dans le nouvel Empire sitôt son sacre acté. Face à une situation qui se détériore, Yuan Shikai décide finalement d’abdiquer après 83 jours de règne et décide de reprendre son titre de Président. Dernier acte officiel d’un homme qui rend son dernier souffle le 6 juin 1916. 

Yuan Keding  (gauche) et Yuan kewen (droite)

De prince héritier à employé de bibliothèque

Que deviennent alors ses héritiers ? La famille Yuan a un dicton : « Le fils aîné Kèdìng fut le plus puissant, le deuxième fils Kewen le plus talentueux et le sixième fils Kehuan le plus riche »Ces trois personnes restent les figures centrales de la famille du maréchal. Yuán Kèdìng (1878-1958), brièvement titré prince impérial, se réfugie dans la Légation allemande de Tianjin en 1916 où il restera longtemps, protégé de la vindicte de ses compatriotes. Lorsque le Japon commence à occuper la Chine en 1931, il est alors contacté par des émissaires venus de Tokyo. Ils lui offrent la possibilité de devenir président ou empereur d’un état fantoche (un autre de ses frères, Yuan Ke'an (décédé en 1952), sera un temps intéressé par cette proposition, mais ses tergiversations ne lui permettront pas d’obtenir la couronne vacante de son père). Loin d’être un revanchard, refusant de suivre l’exemple de Pu Yi devenu souverain du Mandchoukouo, il leur claque la porte au nez. Un geste qui le contraint à fuir rapidement, craignant d’être assassiné. Sombrant dans la pauvreté, son nom réapparaît après 1949 après la prise de pouvoir par Mao Zédong. Il n’a pas participé à la guerre entre communistes et nationalistes. Il ne sera pas inquiété. Le fils de Yuan Shikai sera employé au centre de recherches de la culture et de l’histoire. De ses trois enfants, Yuan Jiarong (1904-1996) sera le seul à aller étudier aux États-Unis, porte-parole de la dissidence chinoise contre le régime rouge de Pékin. 

La dynastie Yuan

Chef d'une triade

Yuan Kewen (1889-1931), deuxième fils de Yuan Shikai, fut un passionné de poésie et d’écriture traditionnelle. Doux rêveur, il s’opposa franchement aux rêves monarchistes de son père et mènera une rébellion ouverte contre lui avec les opposants à l’Empire. Au décès de son père, il doit s’enfuir à Shanghai où il se fait remarquer comme chef d’une bande mafieuse renommée et dont les activités notoires seront répertoriées dans de nombreuses villes chinoises. Le gouvernement du Kuomintang s’empresse d’ailleurs de saisir toutes les propriétés de la famille Yuan. Etrange destin d’un homme à deux facettes, passionné de Madiao, un jeu de cartes chinois, qui aura de nombreuses concubines et 7 enfants, leader de gang qui ne saura jamais gérer son argent. Pourtant père attentionné ( à contrario de Yuan Shikai), il permet à un de ses fils, Luke Chia-Liu Yuan (1912-2003) de partir étudier aux États-Unis en 1936 et de devenir un physicien renommé. Interrogé sur ses travaux et sa jeunesse en Chine par la presse américaine, il avait avoué qu’il ne gardait pas un excellent souvenir de son grand-père, trop « impressionnant » à ses yeux de garçonnet. Ses enfants, une écrivaine reconnue (Jada Yuan) et un fils également physicien (Vincent Yuan), vivent actuellement entre Chine et Amérique du Nord. 

Yuan Keheng

Une famille déchirée qui subsiste dans l'ombre

Yuan Keheng part étudier au Royaume-Uni en 1913. Ce séjour va complètement transformer sa vie. A son retour, il entend être le grand ordonnateur de la révolution industrielle chinoise tant il a compris le retard important pris par son pays dans ce domaine. Occupant le poste de directeur général de Qixin Cement Company, la première usine de ciment de l'histoire chinoise, d’origine britannique, nationalisée en 1906 grâce à son père, il va rapidement faire fortune et inaugurer des décennies de monopole cimentier dans le pays. Lors de la guerre sino-japonaise (1937-1945), il n’hésite pas à transformer une de ses usines en hôpital permettant ainsi d’accueillir 30 000 personnes. Avec l’arrivée au pouvoir des communistes, on lui propose le poste d’adjoint au maire de Tianjin, mais fidèle à la promesse de sa mère de ne jamais faire de politique, il refusera cette nomination. On ne sait pas grand-chose de sa naissance ni de son décès, si ce n’est qu’il est mort paisiblement, considéré comme un héros national. 

Aujourd’hui, la quasi-majorité des descendants du maréchal Yuan Shikai vivent en Chine devenus des « gens ordinaires qui font des choses ordinaires ». Un de ses arrière-petit-fils, poète plusieurs fois récompensé, Li-Young Lee (né en 1958), réside en exil en Indonésie. Toujours désigné comme un vulgaire seigneur de la guerre par les manuels officiels d’Histoire, aucun de ses decendants ne se revendique de l’héritage de Yuan Shikai, préférant se fondre dans la masse d’une population qui garde de l’Empereur Kongxian qu’un vague souvenir. Un chapitre qui appartient aux pages jaunies d’une époque à jamais révolue.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 16/02/2023

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