Thierry Ardisson, l’homme en noir très ro(i)ck'n'roll
Thierry Ardisson, l’homme en noir très ro(i)ck'n'roll
Figure singulière du paysage audiovisuel français, Thierry Ardisson, l’homme en noir, n’a jamais caché sa fascination pour la monarchie. Animateur culte, provocateur élégant et conteur infatigable, il a toujours défendu l’idée qu’un roi pourrait incarner la continuité et le panache d’une France qu’il jugeait trop désenchantée. Mon hommage à un personnage qui fut tout au long de sa vie très ro(i)ck'n'roll.
Personnage culte du petit écran, Thierry Ardisson incarne à lui seul une certaine idée de la télévision française : impertinente, élégante, cultivée et provocatrice. Mais derrière ses lunettes noires et ses répliques ciselées, l’animateur-producteur cache un pan moins connu de sa personnalité : une inclination assumée pour la monarchie, qu’il évoque régulièrement, à rebours d’un milieu médiatique largement républicain.
L’insolence comme signature
Né à Bourganeuf en 1949, le jour des rois, Thierry Ardisson débute sa carrière dans la publicité avant de devenir, dès les années 80, l’un des animateurs les plus iconoclastes du PAF (Paysage Audiovisuel Français). De Bains de minuit à Tout le monde en parle, ses émissions deviennent de véritables scènes de confidences où se croisent artistes, politiques, stars et marginaux. Ardisson y impose un style : le tutoiement désinvolte, le ton caustique, et un sens aigu de la mise en scène.
Sous ses allures de dandy décadent, il cultive l’art de faire parler ses invités sans jamais dissimuler ses propres convictions. Parmi elles : un royalisme qu’il assume avec un mélange de provocation et de nostalgie.
Un royaliste déclaré et assumé
« Je suis monarchiste », clame-t-il souvent lors de ses entretiens, comme une boutade qu’il répète pour mieux faire réfléchir. Pour Thierry Ardisson, la monarchie incarne une continuité, une stabilité et un supplément de panache qu’il estime perdus dans la République actuelle. Il a fait connaître ses convictions dans un livre sorti en 1986 aux éditions Olivier Orban intitulé « Louis XX, Contre-enquête sur la monarchie ». Le Livre est un succès, pose la question du retour du roi à la tête de l’Etat, celle du prétendant légitimiste à la couronne de France qu'il va contribuer à populariser, revient sur les événements tragiques qui ont secoué la France deux siècles plus tôt.
Pour lui, l’attachement monarchique n’est pas qu’une lubie mondaine : il traduit une vision romantique de la France, où la figure du roi, ou du prince, incarnerait symboliquement la nation au-dessus des partis et des querelles électorales. Le 31 octobre 1986, son passage dans l’émission culturelle Apostrophes déclenche les passions. Face au très républicain historien Max Gallo qui affiche un certain mépris à l'auteur, Thierry Ardisson déclenche les passions lorsqu’il s’insurge sur le fait que « le 14 juillet, il soit anormal que le Président de la République s’asseye là où le roi Louis XVI a été guillotiné ».
« Il y a un vrai problème dans ce pays. Les Français ont tué le roi, ils ont tué le père. (…), il y a un manque » assure-t-il face de Bernard Pivot. Dans une autre interview, il déclare que « royaliste, c’est être moderne ».
Une fascination pour le sacré
Dans ses émissions, Thierry Ardisson a toujours aimé recevoir princes et prétendants, des Orléans aux Bourbons, cultivant une forme de fascination pour ce qu’il appelle « la dramaturgie monarchique», distribue ses scuds contre certaines familles dont le comportement l’irrite(notamment contre les Grimaldi qu’il compare à la famille Ewing dans la série Dallas).
Très ro(i)ck’n roll, il se plaît à rappeler que la monarchie a façonné l’identité française pendant plus d’un millénaire et que, sans elle, la République ne demeure « qu'un régime qui manque de mythes ». « L’idée royale est une idée naturelle », explique ce publiciste à Sadek Hajji alors correspondant permanent à Paris du quotidien marocain Libération. Selon lui, si les « Français sont élèves dans une esprit de rejet de la monarchie », ils sont « toujours sensibles à l’idée monarchique », permettant tous les espoirs.
Pourtant, son royalisme n’a rien de militant : Thierry Ardisson n’est membre d’aucun mouvement monarchiste. Il se situe plutôt dans une posture intellectuelle, presque esthétique. Sa nostalgie monarchique est celle d’un conteur, passionné par la symbolique, le faste et les intrigues de cour qu’il transpose, à sa façon, sur ses plateaux. Il se définit comme un monarchiste libéral, fustige l’Action française (AF). « Charles Maurras a fait beaucoup de mal à l’idée monarchiste car c’est à cause de lui que la monarchie est associée à l’idée d’extrême-droite », explique-t-il au même journaliste dans une seconde interview.
Provocation ou conviction ?
Ses détracteurs y voient une provocation de plus, un énième pied de nez à la bien-pensance républicaine. Mais pour ceux qui le connaissent, la position d’Ardisson est cohérente avec son personnage : un homme de médias qui adore secouer les tabous et rappeler que la France n’est pas qu’une République, mais aussi un récit pluriel, qui puise ses racines dans la monarchie capétienne et ses héritiers.
« Je rêve d’un roi qui régnerait sans gouverner, à l’anglaise », glissait-il un soir de confidences sur Salut les Terriens !, laissant deviner une admiration certaine pour l’équilibre trouvé par certaines monarchies constitutionnelles. Au micro de Marc Pasteger, journaliste à la RTBF, il déclare sans ambages que « la monarchie est un rempart contre l’accession aux plus hautes responsabilités d’un démago bourré de fric ». « Le roi n’est ni de droite, ni de gauche, c’est un arbitre », rappelle-t-il sous la plume de Bertrand de Saint-Vincent. « La République ? C’est de l’arnaque », s’amuse à dire celui qui reste un soixante-huitard dans l’âme.
Il se passionne pour le référendum brésilien de 1993, s’enthousiasme du retour des rois dans les Balkans, fantasme sur cette internationale des rois « qui est en marche ».
Des rapports étroits avec les Bourbons
Le 23 octobre 1987 dans son émission « Bains de minuit », il fait découvrir un prince Alphonse II de Bourbon aux Français. D'origine espagnole comme tous ses prédécesseurs, le cousin du roi Juan Carlos d’Espagne parle un excellent français qui force l’admiration. La Légitimité est emmenée par un « royal » charismatique qui fait de l’ombre au comte de Paris, Henri VI d’Orléans, prétendant au trône de France. 18% des Français sont alors favorables à la restauration de la monarchie selon un sondage du magazine Le Point. Le Millénaire capétien va marquer les consciences comme les festivités du bicentenaire de la mort de Louis XVI qui drainent plus de 5000 royalistes dans Paris en 1993.
Le prince Alphonse décoche ses flèches, parle de ses droits comme aîné des Bourbons, attaque la maison d’Orléans et fait quelques déclarations politiques qui résumera toute la constance du gendre du général Francisco Franco. La mort accidentelle, mystérieuse, du duc d’Anjou en janvier 1989 frappe la Légitimité en plein cœur et décapite l’energie qu’il avait insufflé au monarchisme traditionnaliste et catholique.
Thierry Ardisson reporte ses espoirs sur le fils du prince Alphonse, Louis-Alphonse, un prince adolescent en skate, jean et basket. De leur amitié et proximité, le nouveau prétendant au trône accepte même d’être le parrain de « Ninon », la seconde fille d’Ardisson et de Béatrice Loustalan. « Une façon d’affirmer mon attachement au prince et de donner à ma fille, un parrain qu’elle pourra respecter et aimer, qui aurait des choses à lui apprendre », explique-t-il dans le magazine Bourbon consacré aux activités du champion de la Légitimité et les activités du mouvement. Lors du procès qui oppose Orléans et Bourbon sur le titre du duc d’Anjou (pour lequel la justice a statué en faveur du prince Louis-Alphonse en 1989), Thierry Ardisson monte au créneau et écrit un véritable pamphlet dans la presse contre le comte de Paris et ses soutiens. « C’est le légitimisme qui est légitime, disent les juges. On s’en serait douté », écrit-il un brin narquois.
Dans son émission « Tout le monde en parle » (2000), un de ses plus gros succès à la télévision, il donnera la parole à Henri VII d’Orléans, fils du précédent. Ensemble, sur un ton décalé, évoque la monarchie, l'histoire de la famille d'Orléans, les possibilités de restauration par De Gaulle, l’enfance difficile du comte de Paris, ses dettes et le décès de son père. Le passage reste dans les annales. Le prétendant sera régulièrement interrompu par Jean Yanne, Laurent Baffie et Gad Elmaleh qui multiplient chacun les boutade irrévérencieuses. Le trublion ira même jusqu’à inviter le prince Jacques d’Orléans qui règle ses comptes en direct avec sa famille. Ambiance.
C’est avec une tristesse sincère que j’ai appris la disparition de Thierry Ardisson.
Il fut un homme d’esprit libre et de verbe acéré, dont la silhouette a marqué plusieurs générations de téléspectateurs. pic.twitter.com/xSjKnJfgXV
Thierry Ardisson est pourtant beau joueur. Il n’hésite pas à donner la parole au comte de Paris, rival d'Alphonse. L’interview est rondement menée ; le descendant de Louis XIII n’échappe à aucune question et répond même à celle plus controversées. Il revient sur l’épisode d’Alger en 1942 où il a touché le pouvoir du bout des doigts « si les Américains ne l’avaient pas empêché de prendre son destin entre ses mains», évoque les remords de Philippe Egalité, se voit en recours possible pour la France et met en avant son petit-fils, le prince Jean d’Orléans « prêt à prendre le relais ». L’entretien fait mouche, ravit les partisans du comte de Paris, crispe la Légitimité. Thierry Ardisson reste un provocateur qui aime aller là où on ne l’attend pas.
Puis vint le temps de désillusions. L’homme en noir se fait discret dans la mouvance monarchique, agacé de voir l’ultra-légitimisme s’emparer d’une idée qui est en contradiction avec les siennes. Tout est dans le constitutionalisme, pas l’absolutisme, professe-t-il. En 2017, ans l’émission VIP sur la chaîne KTO, l’animateur apostrophe directement « Louis XX» en le tutoyant. « Magneto Serge !» : « Montre toi le plus possible, rappelle aux gens qu’un roi est possible, je t’en supplie reste au-dessus la mêlée, ni à droite, ni à gauche », lance-t-il au prince.
Les relations entre les deux hommes vont se distendre quelque peu. Louis de Bourbon ne lui en témoignera pas de rancune. Ce n’est pas dans la nature même du duc d’Anjou. Le 14 juillet 2025, date anniversaire de la prise de la Bastille, la France apprend le décès de l’homme le plus connu du PAF. Le prince lui rend un hommage appuyé sur ses réseaux sociaux. «Il fut un homme d’esprit libre et de verbe acéré, dont la silhouette a marqué plusieurs générations de téléspectateurs. Interviewer sans concessions, il savait mêler avec un équilibre rare l’impertinence à l’élégance, et la culture à la provocation, sans jamais céder à la facilité », écrit le duc d’Anjou. « Au-delà de son talent télévisuel, Thierry Ardisson portait en lui une fidélité discrète mais profonde à certaines valeurs intemporelles — notamment son attachement assumé à la tradition monarchique, qu’il évoquait sans dogme mais avec conviction, comme un contrepoint aux dérives du monde moderne. » ajoute-t-il. « Pour moi, il fut aussi un ami. Le temps avait mis un peu de distance entre nous, sans rien entamer de l’estime ni de l’affection que je lui portais. », conclu-t-il avec émotion.
Dans une époque où l’idée monarchique demeure minoritaire, Thierry Ardisson, l’homme en noir, aura persisté à défendre une certaine idée de la couronne, fût-ce par goût du paradoxe. Et c’est peut-être là tout l’intérêt : rappeler que la France, loin d’être un bloc uniforme, reste une terre d’imaginaires politiques divers, où un animateur peut encore affirmer qu’il préfèrerait un roi à un président — et être applaudi pour ça. Salut l'artiste, brûle pas tes ailes trop vite la-haut et merci !