"Un destin français", un approximatif historique

«L'affaire du drapeau blanc», un «Destin français » entre approximatifs et autres raccourcis monarchiques par le journaliste Eric Zemmour. Pavé de 600 pages qui ravira les amateurs du genre, adeptes du polémiste controversé, le livre intitulé « Destin français », sous-titré « Quand l’histoire se venge », s’est rapidement imposé comme une des meilleures ventes du mois de septembre dans les librairies. Dénonçant une histoire aujourd’hui «détournée, occultée, ignorée, néantisée», Eric Zemmour entend défendre une vision personnelle de notre roman national. Non sans faire lui-même de violents approximatifs et raccourcis quelque peu curieux sur l’histoire monarchique française de l’après Second Empire.

Un destin français« Chambord ». Si le nom évoque pour beaucoup le château de François Ier, le symbole de la Renaissance française, pour l’auteur du célèbre « Suicide français », celui-ci a décidé de s’arrêter sur l’affaire du drapeau blanc, cette tentative de restauration de la monarchie à l’aube de la IIIème république et qui échouera face à l’intransigeance d'un petit-fils de Charles X refusant d’adopter le drapeau tricolore, « ces couleurs primaires », comme symboles de son règne.

« Il a tout gâché pour un morceau de tissu ». Cette phrase qu’Eric Zemmour emprunte au Pape Pie IX sans le citer pour autant, amorce dès le départ ce réquisitoire auquel il entend se livrer, voulant s’inscrire dans la continuité des écrits de Maurice Barrès, avec en filigrane une dénonciation de la mainmise par l’état des élites franc-maçonnes républicaines qui n’aurait pas déplu à un certain Charles Maurras. En parcourant ce chapitre extrait de son livre-fleuve, on nage dans une sorte de 4ème dimension historique qu’il développe à foison dans un schéma thèse antithèse des plus classiques et qu’il entend imposer au lecteur. Ainsi par exemple, Eric Zemmour ne cesse de faire ici un parallèle entre la France occupée par la Prusse des Hohenzollern et celle des nazis lors de la seconde guerre mondiale, ne cessant d’opposer la figure tutélaire du général de Gaulle et celle du prétendant au trône. « Pour la droite monarchiste, la république incarnera toujours la soumission de la France à l’Allemagne. De leur côté les républicains n’oublieront jamais ce qu’ils doivent au comte de Chambord ». Entre véracité et approximation, Eric Zemmour franchit un pas qui le mène vers une certaine uchronie qu’il martèle comme une vérité historique. Il est un fait indéniable que le chancelier Bismarck s’opposa à un retour des Bourbons, envoyant un nombre important de missives en ce sens à ses ambassadeurs. A celui qui en poste au Vatican, Harry Von Arnim, qui trouve naturel de soutenir les monarchistes français, le chancelier du Reich naissant écrit que « la République française doit à tout prix être isolée du concert des monarchies européennes, doit servir, dans le monde entier, d’exemple effrayant de la manière dont la « démocratie républicaine » conduit un pays au désastre ». Mais on nage dans le surréalisme indécent lorsqu’il aborde un prétendu « 18 brumaire royaliste » 

« L’indécis Chambord (…) prépare un coup d’état (…) ». « Ce sera le 11 novembre 1873 » écrit-il ! Et de continuer sur sa lancée. « Il est plus que jamais lié aux bonapartistes ; va jusqu’à adopter le prince impérial pour couper court aux prétentions dynastiques du comte de Paris. Cette fusion nationale entre les deux dynasties, les Bourbons et les Bonapartes, reçoit la bénédiction de l’impératrice Eugénie». Hors cette affirmation , cette « fake news historique », n’est en rien une vérité tout au plus une anecdote amusante mais sans aucun réalisme quelconque ni même élément phare de l’histoire monarchique française . Une conspiration monarchico-bonapartiste que l’écrivain entrevoit partout. Preuve s’il en est pour Zemmour, le manifeste de 1864 d’Henri V qui approuve le droit de grève mis en place par Napoléon III, sorte de blanc-seing donné par le prétendant au trône à l’empereur des français. Et par un habile raccourci, faire soudainement adopter « Loulou » par un prétendant soucieux de s’assurer une dynastie afin de mieux stopper ses rivaux de la branche cadette. Mais d’où Eric Zemmour sort-il cette histoire saugrenue ?

Certes il est de notoriété que l’épouse de Napoléon III était une fervente légitimiste et son catholicisme lui rallia quelques légitimistes déçus ; l’affaire mexicaine restant un exemple probant mais envisagea-t-elle sérieusement cette possibilité de revenir au pouvoir par l'adoption de son fils par Henri V ? L’histoire n’est pas aussi fausse que cela mais le raccourci que fait Eric Zemmour à ce sujet n'est que pure invention. En 1874, par l’entremise de la reine Isabelle II, Eugénie de Montijo fait parvenir à Chambord une lettre lui expliquant son désir de fusion. Elle se répugne à voir l’héritage impérial passé entre les mains de « Plon-Plon », le cousin de son mari, trop à gauche. Henri V ne s’en indigne pas mais lui répond très diplomatiquement et dans une verbe polie : « Cela pourrait sans doute faire le bonheur de la France. Tout en gardant ma dignité, je pourrais faire passer l’héritage de mes pères en des mains jeunes ou s’allieraient des conceptions qui s’entrechoquent, mais je suis trop vieux et on ne comprendrait pas ». Dont acte et fermer le ban, l’héritier des Bourbons montre clairement qu’il ne croyait pas à ce projet étrange, né dans les délires d’une impératrice marquée par la mort de son époux et le coup d’état qui avait mis fin à l’empire. Il n’y a d’ailleurs aucune trace d’une telle adoption, du sérieux de ce projet et quand même bien c’eut été le cas, c’était oublier que Louis- Napoléon (IV) était à cette époque majeur et que les lois fondamentales du royaume empêchaient toutes transmissions des droits au trône par adoption. Le comte de Chambord ne pouvait pas l’ignorer. Eric Zemmour l’a-t-il oublié ou pêche-t-il par méconnaissance d’un sujet pour lequel il essaye d’imposer un nouvel argumentaire des plus fallacieux afin de justifier sa vision «des deux Frances» qui ne cessent de se battre depuis , irréconciliables ?

Cette histoire de drapeau semble obséder Eric Zemmour. Un Louis XVI qui accepte le drapeau tricolore, « sans difficultés » selon l’auteur opposé (encore une fois) à un Henri IV qui aurait emprunté le blanc immaculée conception aux milices protestantes. Oublié ici aussi le fait que Charles V lui-même arborait cette bannière sous son règne et si il est vrai que cette écharpe fut un symbole de ralliement protestant (elle fut rouge Espagne pour les catholiques), ce n’est pas Henri IV mais Henri III qui l’a bel et bien repris le premier pour remercier le Navarrais de l’avoir sauvé en mai 1589. Un drapeau que les armées des émigrés n’auraient jamais utilisé selon l’auteur quitte à faire retourner le duc de Condé dans sa tombe, lui qui avait comme emblème un drapeau blanc à carré fleurdelysé. L’essayiste va même jusqu’à affirmer que le «drapeau blanc a été introduit dans la famille [Bourbon-ndlr] par hasard ». Et de couronner le tricolore sur les ruines de la monarchie de la Restauration en juillet 1830, gommant d’un trait de plume ce capétien, Charles VI, qui avait été le premier à faire fabriquer 3 grands étendards, bleu, blanc, rouge, pour son écurie royale. Des couleurs qui allait d’ailleurs être les couleur officielles des pages et valets de la cour royale comme celui du domaine royal. Une couleur blanche que porta pourtant fièrement Charles VIII lors de ses guerres d’Italie. Rien de révolutionnaire en soi au final mais dont l'ignorance de l'auteur achève de décrédibiliser ses arguments

« Les Français sont bleus, et ils voient rouge quand on leur montre du blanc. » finira par ironiser le duc d’Aumale, député à l’assemblée nationale. Quid de ces Orléans qui ne semblent pas être dans ses « petits papiers », Zemmour écrit sans ambages que les «parlementaires (de 1870-ndlr) veulent un Louis-Philippe II (le comte de Paris ayant pourtant refusé catégoriquement de prendre ce nom pour adopter celui de Philippe VII ) dont le règne aurait pris naissance non sur les barricades mais sur le massacre de la commune ».

Coup de canif dans la réalité, Eric Zemmour continue de façonner sa propre histoire monarchique revancharde sur fond de «guerre des Deux Frances » que n’avait pas pu éviter le comte de Chambord mais que devait rassembler sous son nom, le héros de la Libération. « De Gaulle fut ce roi élu par le peuple sous le drapeau tricolore, dont avait rêvé le comte de Chambord mais qu’il n’avait pu réaliser, par un mélange de maladresse et de naïveté ». Une énième vision étriquée, surprenante et manichéenne d’une affaire qui n’a toujours pas finit d’être écrite mais qui, ici , n’a de destin que le ridicule que lui donner l’auteur.

« On veut défaire par l’histoire ce qui a été fait par l’Histoire : la France » écrit dans sa préface l’ancien journaliste du Figaro, devenu aujourd’hui une des références de la droite nationale ou de l’extrême-droite. Eric Zemmour aurait été mieux inspiré de vérifier ses sources avant de faire passer de banales anecdotes pour de vrais faits historiques sans aucune portée influente sur le destin de la nation. Et si l’essayiste n’est pas ici dans un rôle d’Historien, lorsqu’il s’agit d’écrire sur la France éternelle et monarchique, encore faut-il ne pas travestir par des approximatifs cette histoire que l’on prétend défendre pour s’imposer dans les médias afin de mieux exister. Mais cela, Eric Zemmour n'est pas une polémique près.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 07/10/2018

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