« A plusieurs reprises, au cours des dernières années, la présidente Zourabishvili s’est déclarée en faveur du retour de la monarchie ». C’est ici que Jason et les Argonautes ont découvert la toison d’or. Unifiée sous le sceptre des Bagration, la Géorgie a été, durant des décennies, un des derniers remparts et un pilier de la chrétienté orthodoxe dans le Caucase face aux ottomans. Annexée par la Russie des Romanov en 1812, elle retrouve son indépendance à la chute du communisme et au prix d’une violente guerre civile. A diverses reprises, le Patriarche Ilia II s'est prononcé en faveur du retour de la monarchie, seul élément de stabilité à un pays en proie à de multiples crises politiques selon lui. Une idée soutenue par 30% des géorgiens*. Pour « Monarchies et Dynasties », le prince David Bagration, héritier au trône, a bien voulu répondre à mes questions.
Frederic de Natal : La révolution russe de 1917 a contraint votre famille à prendre le chemin de l’exil. Vous êtes né à Madrid, en Espagne et vous y avez vécu une large partie de votre vie. Comment avez –vous vécu cet exil ?
SAR David Bagration : L'Espagne a toujours accueilli un grand nombre de familles royales provenant d'Europe de l'Est. Nous serons toujours redevables à ce merveilleux pays, ses habitants qui nous ont toujours traités avec beaucoup d'amour et de respect, qu'ils soient monarchistes ou non. Je garde une certaine tendresse de mes années d’exil qui ont duré 27 ans en ce qui me concerne. J’y ai encore de la famille, des amis proches et je garde une relation privilégiée avec ce pays. Dans notre peine de ne pas avoir vécu dans notre patrie, je dois reconnaître nous avons été très chanceux.
Frederic de Natal : En 1995, le prince Georges Bagration, votre père, revient dans votre pays. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?
SAR David Bagration : Mon père a reposé les pieds sur le sol géorgien pour la première fois au début des années 1990, après la chute du fléau communiste Il est revenu pour obsèques de mes arrière-grands-parents décédés en Espagne. Aujourd'hui tous les trois reposent au Panthéon royal de la cathédrale Svetiskhoveli, à Mtskheta, une ville située près de Tbilissi. 12 ans après le décès de mon père, son esprit reste encore très présent à mes cotés. Il a toujours conservé un profond amour pour la Géorgie. C’était un vrai patriote qui a dirigé notre maison durant 31 ans et qui ne s’est jamais laissé influencé par les différents partis politiques y compris durant les années de crise et la guerre civile qui a éclaté après l’indépendance. Grâce aux conseils qu’il m’a donné, je peux garder les pieds sur terre.
FDN : En 2003, vous êtes revenu définitivement en Géorgie ? Qu’est ce qui a motivé cette décision ?
SAR David Bagration : J’ai 27 ans lorsque le régime communiste tombe. Il y’avait déjà eu divers projets de retour en Géorgie mais qui n’ont jamais pu se concrétiser. Nous avons finalement décidé de revenir dans notre pays par nous-mêmes afin de voir comment la situation politique évoluait à cette époque. Après plusieurs allers et retours durant 3 ans, mon père a décidé de s’installer en Géorgie et a pu réaliser son rêve. J’ai pris exemple sur lui et j’ai décidé à mon tour de revenir comme d’ailleurs d’autres membres de la maison royale. C’est important pour moi que les descendants, issus cette génération qui a souffert de l’exil, aient pu réorganiser leur vie sur le sol géorgien.
FDN : Vous êtes aujourd’hui l’héritier au trône de Géorgie. Quelles sont actuellement vos activités en tant que chef de maison royale ?
SAR David Bagration : La Géorgie est aujourd'hui une république présidentielle, ce qui limite grandement mes activités à l'intérieur du pays. Et pourtant, il y a encore beaucoup de travail à faire. Je m’occupe d’organisations caritatives et je suis aussi investi dans divers projets environnementaux. Je tente d’attirer des investisseurs étrangers afin de faire connaître la Géorgie à l’international, l’histoire de son ancienne dynastie, sa culture, ses coutumes et ses traditions
FDN : Comme votre père, vous êtes un passionné de courses automobiles. Est-ce un métier que vous auriez aimé faire et pourquoi ?
SAR David Bagration : Oui je le suis ! Non seulement de course automobile, mais de sport automobile en général. Quand j'étais plus jeune si je passais plus de temps à faire de la moto ou de la course automobile. J’ai beaucoup appris à travers le sport automobile. Comme être sérieux, courageux, concentré, discipliné, rester toujours calme dans des situations extrêmes, prendre des décisions correctes en milli-secondes , des éléments essentiels pour maîtriser les rudiments de ce sport. Ces dernières années, j’ai participé à 30 courses de voiture. D’ailleurs en août dernier, j’ai fait une course d’enduro consistant à traverser la Géorgie de la mer aux zones montagneuses sans poser pied une seule fois. Trois jours de compétition ou j’ai découvert de jeunes talents. Je pense que ce sport devrait être promu par plus d’institutions et les entreprises, cela permettrait à la Géorgie d’avoir un impact très positif à l’étranger, bien meilleur que tous nos spots publicitaires actuels. Je trouve que le sport est en général un excellent outil de promotion pour un pays.
FDN : En 2018, vous avez été invité à assister à la prestation de serment de la présidente Salomé Zourabishvili . Quels sont vos rapports actuels avec le gouvernement géorgien ?
SAR David Bagration : Cela a été une cérémonie importante, puisque l'inauguration a eu lieu dans le palais du dernier roi de Kartl- Kakhétie à Telavi, une région de l'est de la Géorgie internationalement connue pour ses vins. A plusieurs reprises, au cours des dernières années, la présidente Zourabishvili s’est déclarée en faveur du retour de la monarchie. Elle comprend les avantages que la Géorgie pourrait tirer d'un éventuel remplacement du chef de l'Etat par un roi légitime. Les relations que nous avons [les Bagration-ndlr] avec le gouvernement sont excellentes et nous espérons qu’elles continueront à l’être avec tous les prochains qui se succéderont.
FDN : La maison royale Bagration bénéficie-t-elle en Géorgie d’un statut spécial comme celle de Roumanie ou du Monténégro ? Si non, souhaiteriez-vous que ce soit le cas ?
SAR David Bagration : Pouvoir vivre dans notre pays est déjà un statut spécial en soi. La maison royale n’a demandé de faveurs à aucun gouvernement. Mais si je souhaite qu’il y’ait un meilleur encadrement et une meilleure protection de l’héritage historique de mes ancêtres. On pense toujours que lorsqu’une maison royale est renversée, ici cela a été le cas par un pays étranger, elle n’a plus aucun droit. Je regrette profondément que certains hommes d’affaires, qui occupent nos propriétés, utilisent l’histoire de mes ancêtres y compris nos armoiries à des fins commerciales. Je pense que cela devrait être mieux réglementé aujourd’hui.
FDN : Des élections législatives ont eu lieu ce mois. Deux mouvements monarchistes [le parti monarchiste conservateur et l’Union des Traditionalistes Géorgiens-ndlr] ont participé à cette élection mais ont obtenus de très faibles résultats. Comment expliquez-vous cela alors que les sondages réalisés sur la question du retour de la monarchie semblent favorables à cette idée ?
SAR David Bagration : A vrai dire, Il y a très peu de partis politiques en Géorgie qui se prononcent en faveur du rétablissement de la monarchie. Je pense qu’il faut rester très prudent à cet égard. Je rappelle que les rois sont au-dessus des partis, agissent pour le bien de tous, loin des querelles partisanes et politiciennes.
FDN : L’Union des Traditionalistes Géorgiens est l’un plus vieux mouvement monarchiste fondé par votre grand-père, le prince Irakli (1939-ndlr). Lors de l’indépendance, le parti va diriger le Conseil suprême de la république de Géorgie (1990-1992) avant le début de la guerre civile. On évoque même une restauration de la monarchie à cette époque. Êtes –vous en contact avec eux ?
SAR David Bagration : Dans les années 1990, c’était une véritable force politique. Aujourd'hui, ils dépassent à peine la barre des 1% lors d’élections. Je ne suis pas de près leurs activités mais j'ai gardé une amitié avec un des anciens membres du parti.
FDN : Haute autorité religieuse, le Patriarche Ilia II a plusieurs fois appelé au retour de la monarchie constitutionnelle. Plusieurs partis politiques s’y sont dits favorables, la Géorgie a adopté les armes de votre famille comme symbole, mais le sujet divise beaucoup vos compatriotes. Pensez-vous que la monarchie est la solution qui mettra fin aux crises qui se succèdent dans le pays et qui achèvera son unité ? Quels partis politiques aujourd’hui soutiennent le retour de la monarchie ?
SAR David Bagration : J'ai beaucoup de respect et d'amour pour le Patriarche Ilia II. Depuis de nombreuses années, il s’affirme en faveur de la restauration avec ce que cela implique et je lui suis très reconnaissant pour tout son courage. Tout comme de ses conseils qu’il me donne depuis ces années. Certains partis politiques ont exprimé leur soutien ou des pseudo soutiens au retour de la monarchie mais une analyse exacte de la situation doit être faite. En effet, je crains que certains de ces partis utilisent l'idée monarchique comme une arme afin d’affaiblir leurs adversaires qui n’hésitent pas à nous attaquer. D'autres ont voulu ou tentent de contourner les règles millénaires de succession de notre dynastie en proposant d’autres prétendants au trône. Ils vont même chercher des membres de notre maison qui sont manipulables, qui font preuve de faiblesse, utilisent leurs réseaux, leurs médias pour créer la confusion dans notre société.
FDN : Si demain, vous étiez roi de Géorgie, quelle serait votre première décision ?
SAR David Bagration : Il probable que je chercherais à désigner un membre de la maison Bagration en Géorgie pour me succéder à un moment ou un autre, orthodoxe, qui répond aux règles de succession dynastiques, qui serait indépendant et qui aurait la force nécessaire pour répondre une tâche aussi ardue que celle d’être un souverain.
FDN : C’est la Russie qui met fin à l’indépendance du royaume de Géorgie en 1812 et qui annexe le pays au reste de l’empire jusqu’à la chute de l’Union soviétique. En 2008, la Russie envahit de nouveau et brièvement la Géorgie. Quel a été votre sentiment à ce moment-là et quelle expérience en avez-vous retiré ?
SAR David Bagration : Dans ces moments de guerre, vous comprenez ce que signifie la barbarie. C’est aussi le symbole de l'échec de l'homme en tant qu'être humain. Personne ne sort vraiment vainqueur de conflits meurtriers. On prend vraiment conscience de ce que veut dire le mot « paix » et nous l’avons encore plus compris dans ce cas précis. Nous avons réussi a privilégier le dialogue dans le respect mutuel. Vous savez, quel que soit la diversité des idées de chacun dans ce genre de contexte, nous devons toujours trouver le moyen d’éviter les confrontations et encore plus lorsque les armes doivent parler.
FDN : La religion est-elle indissociable de la monarchie et le ciment de la nation géorgienne selon vous ?
SAR David Bagration : Sans aucun doute ! Les rois et les Patriarches qui se sont succédés ont toujours été en parfaite harmonie durant un millénaire. D’ailleurs, certains de mes ancêtres ont été aussi Patriarches de Géorgie. Je reste convaincu que notre religion est une source d’unité pour tous les Géorgiens.
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*Certains sondages affirment même que 78% des géorgiens y seraient favorables (2013)