Prince d'une monarchie sans frontière, l'Aga Khan IV est décédé
Prince d'une monarchie sans frontière, l'Aga Khan IV est décédé
Leader respecté des ismaéliens et philanthrope engagé, l’Aga Kan IV est décédé. Il aura consacré toute sa vie à l’amélioration des conditions de vie de ses fidèles et au développement de nombreuses initiatives humanitaires et culturelles à travers le monde. Il régnait sur une monarchie théocratique qui n’avait aucune frontière.
C’est son site officiel qui l’annoncé en début de soirée. L’Aga Khan IV, figure incontournable et philanthrope est décédé à l’âge de 88 ans. Leader des Ismaéliens, une communauté musulmane shiite de 15 millions de personnes, il régnait sur une monarchie théocratique qui n’avait aucune frontière.
Un prince philanthrope et engagé
Né le 13 décembre 1936 à Genève, Karim Aga Khan IV a accédé à l’imamat en 1957 alors qu'il était encore étudiant à Harvard. Pendant plus de six décennies, il aura guidé la communauté ismaélienne avec sagesse et modernité, mettant en place des institutions destinées à promouvoir l’éducation, la santé et le développement économique, notamment au sein du Réseau Aga Khan de développement (AKDN), qui œuvre dans plusieurs pays.
Considéré comme un descendant direct du prophète Mahomet, toute sa vie, l’Aga Khan a su bâtir des ponts entre les cultures et promouvoir un islam progressiste, axé sur la connaissance, la tolérance et l’engagement social. « L'islam n'est pas une confession de conflit ou de désordre social, c'est une religion de paix Il est instrumentalisé dans des situations essentiellement politiques, mais qui sont présentées, pour diverses raisons, dans un contexte théologique», comme le rappelle le quotidien La Croix. Son rôle dans le dialogue interreligieux et son action en faveur de la paix lui ont valu une reconnaissance internationale. Il était régulièrement consulté par les chefs d’État et les organisations internationales sur des questions de développement et de coopération. En 1972, lorsque le gouvernement du président ougandais Idi Amin Dada prend la décision d’expulser les pakistanais ismaéliens, il téléphone au Premier ministre Trudeau (le père de l’actuel détenteur du titre) pour que celui délivre des milliers de visas à ses concitoyens. Il aida aussi la communauté asiatique, visée par ce décret, à partir s’installer dans d’autres pays africains comme au Kenya où il avait passé sa jeunesse et pour lequel il conservait une affection particulière.
Un empire financier diffcile à mesurer
Son engagement philanthropique, notamment à travers sa fondation, a permis la mise en place de nombreux projets dans les domaines de l’éducation, de la santé et du patrimoine culturel. Un réseau d’hôpitaux portant son nom a été disséminé dans des pays où les soins de santé faisaient défaut aux plus pauvres, notamment en Afghanistan, au Bangladesh et au Tadjikistan. Son soutien aux arts et à l’architecture islamique a également contribué à la préservation et à la valorisation de trésors culturels à travers le monde. Il a notamment fondé un prix d’architecture et initié des programmes spécialisés au MIT et à Harvard. Passionné d'équidés, l’étendue de l’empire financier de l’Aga Khan a toujours été difficile à mesurer. Certains rapports ont estimé sa richesse personnelle à plusieurs milliards d'Euros.
Les ismaéliens – une mouvance schismatique qui compte de grandes communautés en Afrique de l’Est, en Asie centrale et du Sud et au Moyen-Orient – considéraient comme un devoir de lui verser jusqu’à 10 % de leurs revenus. Interrogé à ce propos, « nous ne pensons pas que l’accumulation de richesses soit un mal », déclarait-il au magazine Vanity Fair en 2012. « L’éthique islamique est que si Dieu vous a donné la capacité ou la chance d’être un individu privilégié dans la société, vous avez une responsabilité morale envers la société. », se justifiait encore l’Aga Khan.
Une monarchie sans frontière
L’origine des Agha Khan est persane. Les tumultes de l’Iran en devenir force la fuite du prince Hassan Ali Shah (1804-1881), qui doit uniquement son titre et sa charge de gouverneur de Kerman à sa proximité avec les Kadjars, vers Bombay. C’est là qu’il va devenir progressivement le chef de la communauté des ismaéliens qui voit en ce monarque sans couronne, un véritable descendant du prophète Mahomet. Le premier Agha Khan aide les britanniques à s’emparer de la province de Sindh (actuellement au Pakistan) qui s’assure de sa fidélité en lui octroyant une pension annuelle de 2000 livres sterling et lui évite ainsi une extradition vers son pays natal (1846). Il noue rapidement une relation étroite avec le prince de Galles, futur Edouard VII, et la famille royale d’Angleterre. Une amitié entre les deux familles qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui puisque c'est la reine Elizabeth II qui a donné son prédicat d'Altesse royale à l'Aga Khan IV (1957).
C’est assurément Mahomed Agha Khan III (1877-1957) qui va être la figure marquante de cette communauté. Ouvertement nationaliste, il soutiendra la création d’un état musulman séparé de l’Inde. Président de l'Assemblée générale de la Société des Nations entre 1937 et 1938, premier leader de la Ligue musulmane et membre privé du conseil de la couronne Britannique, il se considérait comme un musulman modéré (notamment sur le droit des femmes), souhaitant réconcilier sa branche shiite avec celle du sunnisme. De ces 4 mariages, celui qui aura été le plus médiatisé, fut certainement celui avec Yvonne Blanche Labrousse (1906-2000), ancienne Miss Lyon puis France 1930. Le vol retentissant de ses bijoux en 1949, à Cannes, servira d’ailleurs d’inspiration à Hergé pour son album, « Les Bijoux de la Castafiore ». Son fils, le prince Ali Khan (1911-1960), père de l'Aga Khan IV épousera même l’actrice américaine Rita Hayworth en 1949. Un mariage qui ne durera que 2 ans mais qui fera aussi la une des tabloïds à cause des infidélités du dit mari, nommé ambassadeur du Pakistan aux Nations Unies. L'Aga Khan IV connaîtra lui aussi plusieurs mariages tumultueux au cours de sa vie.
Le décès de l'Aga Khan IV marque la fin d’une ère pour la communauté ismaélienne et un tournant pour les nombreuses institutions qu’il a créées et soutenues. Alors que ses fidèles pleurent la perte de leur guide, son héritage humanitaire et spirituel demeure un modèle pour les générations futures. Il devrait être succédé par son fils Rahim (53 ans), père de deux enfants.