Le prince Jean d’Orléans jette un regard étonnant sur Napoléon Ier et son œuvre. Loin des polémiques, l’héritier des rois de France se confie sur l’histoire et le destin commun de deux maisons réunies sous le sceau du roman national. À la veille du bicentenaire de la mort de l’empereur, le comte de Paris, descendant direct du roi Louis-Philippe, nous accorde une interview exclusive.
Frederic de Natal. La France va célébrer le 5 mai prochain le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Il est le troisième personnage préféré des français après Louis XIV et le Général de Gaulle. Admiré ou détesté, quel regard portez-vous sur l’ensemble de l’héritage laissé actuellement par celui qui fut empereur de la République Française ?
SAR Jean d’Orléans. Il faut accepter le fait que nous sommes les héritiers d’une histoire complexe, héritiers de la Gaule romaine, de nos 40 rois de France, mais aussi de la Révolution française ou des cinq républiques. L’épopée napoléonienne fait partie de notre histoire et a contribué à forger notre conscience nationale, quelles que soient ses zones d’ombres.Je pense qu’il faut avoir un regard d’historien sur son œuvre et sur sa politique, avant de commenter la façon dont on peut aujourd’hui l’assumer ou l’assimiler.
Vous descendez de Louis-Philippe Ier, dernier roi des Français. Durant tout le Premier empire, il s’exile à Londres puis à Palerme où il épouse Marie-Amélie de Bourbon-Sicile. Une maison royale privée de son trône à Naples par Napoléon. Loin d’être rancunier, une fois sur le trône de France, il mandate son fils, le prince de Joinville, pour ramener les cendres de l’empereur en 1840. Quelle signification revêt cette décision et pourquoi cela a-t-il été important pour votre ancêtre d’honorer la mémoire d’un homme qui fit et défit les monarchies européennes au nom de son ambition personnelle ?
La volonté politique du roi Louis-Philippe a toujours été motivée par l’unité nationale et la nécessité d’une synthèse entre deux modèles, pré-révolutionnaire et post-révolutionnaire. Je pense que ce retour des cendres procède du même état d’esprit. C’était un geste incroyable à l’époque. Il faut imaginer tout le périple du prince de Joinville qui part chercher les restes de Napoléon à Sainte-Hélène à bord de la « Belle Poule », débarque au Havre, remonte la Seine jusqu’à Courbevoie puis escorte ses restes en calèche jusqu’à l’Hôtel des Invalides. N’oublions pas que Louis-Philippe a fait entièrement restaurer Versailles, qu’il en a fait le château que l’on connaît aujourd’hui et qu’il l’a doté d’une galerie des batailles qui est dédiée à toutes les gloires de la France y compris celles de Napoléon. Il a créé le roman national qui continue de s’écrire depuis.
Peut-on dire que Napoléon a été la main qui a parachevé les nombreuses réformes entreprises par Louis XVI, brutalement stoppées par la Révolution française, ce génie qui a manqué à la monarchie des Bourbons ?
Chaque dynastie a sa part de génie, et les Bourbons n’en ont pas manqué! Napoléon a bien sûr bénéficié d’une certaine réflexion entamée au siècle précédent. Il a aussi intégré les leçons de la Révolution, et a effectivement repris un certain nombre de dispositions qui étaient déjà dans les papiers de la monarchie Bourbon. Ce qui est remarquable chez cet empereur, c’est qu’il assume tout notre passé et s’inscrit résolument dans une histoire complexe et multiple, dont il se veut l’héritier. C’est d’ailleurs un trait de caractère commun aux grands hommes qui furent à la tête de notre pays, quel que soit le régime. Le meilleur exemple de cette logique de continuité étant son mariage avec la nièce du roi Louis XVI, Marie-Louise d’Autriche.
A qui appartient au final la figure marquante de Napoléon ? A la France ou à l’Europe qu’il a conquis menant ses troupes jusqu’à Moscou ?
Napoléon reste une figure universelle, que l’on aime le personnage ou non. Pour nous Français, on s’y rattache comme à un souvenir glorieux de ce qu’a été la France, à un sursaut incroyable, à une époque où nous en avons besoin. Malgré la dureté des guerres, il reste encore aujourd’hui un sujet d’admiration pour les peuples d’Europe qu’il a vaincus. Il suffit de voir tous les ouvrages et les films qui sortent régulièrement sur ce grand nom de notre histoire, et la fascination dont il fait l’objet dans le monde entier. D’après moi, la France est plus un royaume qu’un empire et le modèle monarchique capétien me semble plus pertinent. Mais Napoléon reste un symbole de cette gloire dont nous espérons bientôt retrouver le chemin.
Napoléon Ier a laissé derrière lui un héritage patrimonial important. Vous êtes vous-même investi dans la préservation de notre riche patrimoine national. Pour vous, quel est le monument qui symbolise et caractérise le plus le Premier Empire. Pourquoi ce choix ?
Je retiens surtout l’Hôtel des Invalides fondé par Louis XIV et renouvelé par la geste napoléonienne, par ses batailles, comme le musée en fait état aujourd’hui. Je trouve que ce monument est une bonne synthèse politique, militaire, sociale, un monument qui fait honneur à notre passé, au caractère des Français, à l’art, à notre engagement envers les plus faibles, envers ceux qui ont servi la Nation. Même s’ il est postérieur, je nommerais également le château de Compiègne, un joyau de notre architecture qui est aussi un témoignage de continuité historique par-delà les régimes.
Pensez-vous qu’il soit important que les plus hautes autorités de l’Etat assistent aux cérémonies de ce bicentenaire qui seront également accompagnées de l’inhumation des restes retrouvés en Russie du général Gudin ? Une absence de leur part serait-il une erreur au regard de tout l’héritage laissé aux Français par le Premier empire ?
Je pense que nos représentants politiques doivent être présents à cette commémoration et encore plus le président Emmanuel Macron. Autant en tant que dépositaire de ce destin français qu’en tant que chef des armées. Ce bicentenaire doit être soutenu, porté et assumé par le gouvernement. Je serai pour ma part présent aux cérémonies du 5 mai à l’Hôtel des Invalides.
Certains politiques, faisant le jeu d’un certain communautarisme indigéniste, accusent aujourd’hui Napoléon Ier d’avoir été un esclavagiste. Un combat qui semble anachronique pour beaucoup. Chef de la Maison royale de France, selon vous, quels sont les dangers à analyser l’histoire sans aucune re-contextualisation ?
Ces dérives idéologiques me dépassent quelque peu. Il est anormal que l’on tente de faire disparaître des pans de notre histoire en les jugeant sur la base de nos mœurs présentes. Au cœur d’une grave crise sociale, alors que le pays est plus morcelé que jamais, on ne fait que casser au lieu de recoller. Des personnes profitent de ce chaos pour exister. Qu’elles se demandent comment à leur tour, les siècles futurs les jugeront.
Ce n’est en tout cas certainement pas ainsi que nous aurons ce destin commun que l’on ne cesse de nous vanter. Il n’y a tout simplement pas de débats à avoir et on doit accepter les bons comme les mauvais côtés de notre Histoire.
Votre grand-père Henri d’Orléans entretenait des rapports conflictuels avec le grand-père du prince Jean-Christophe Napoléon, chef de la maison impériale de France. Vous descendez tous deux d’Henri IV. Quels sont vos liens actuels avec votre cousin ?
Je n’ai pas connaissance d’un conflit particulier entre mon grand-père et celui de Jean-Christophe Napoléon. Nous gardons avec lui des liens étroits et amicaux, d’autant que sa mère, Bourbon-Sicile, est aussi ma tante. N’oublions pas non plus que nos deux maisons ont été exilées en 1886 par la IIIème République. C’est un souvenir douloureux que nous partageons.bNous partageons aussi cette idée que la France doit pouvoir compter sur ses princes. Des princes modernes qui assument leur destin, et qui s’inscrivent résolument dans cette histoire à plusieurs visages. Pourquoi ne pas imaginer que nous en ferons une synthèse qui permettra de dessiner une suite à cet héritage national qui nous est commun.
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