Histoire du mouvement royaliste chinois

Trone au palais de changchunLe 12 février 1912, la cloche sonne. L’empereur de Chine étudie dans une des salles du Palais de la Nourriture de l’Esprit. Depuis quelques jours, la Cité interdite est l’objet de chuchotements et de rumeurs diverses. Appelé à rejoindre le général Yuan Shikaï et l'impératrice Douairière Longyu, Aisin Gioro Pu Yi apprend qu’il n’est désormais plus le souverain de l’empire céleste. La république proclamée, la résistance au nouveau pouvoir s’organise avec un seul but, celui de restaurer le fils du Ciel sur son trône. Depuis un siècle, certains n’ont pas abandonné tout espoir de remettre un Qing sur son trône légitime. Incursion dans l’histoire du royalisme chinois.

Aisin Gioro Pu Yi est monté sur le trône le 2 décembre 1908. Il a 3 ans lorsqu’il succède à l’impératrice Ci Xi, ce «vieux Bouddha » qui aura régné 47 ans sans partage sur un empire, malade de sa corruption. Les guerres de l’Opium lui ont fait perdre de nombreux territoires au profit des britanniques et la révolte des Boxers (1899-1901) a sonné le glas d’une monarchie devenue un colosse aux pieds d’argile. Le prince Zaifeng Chun a été nommé régent. Le père de Pu Yi se révèle incapable de juguler les révoltes qui éclatent dans le Sud (1911). Contraint de sortir de sa retraite le général Yuan Shikaï qu’il avait exilé, le prince Chun confie à ce dernier le soin de sauver l’empire. Le tout nouveau marquis de premier rang, une haute distinction impériale, a déjà d’autres projets. Une fois sur place, il s’entend dans le plus grand secret avec les républicains de Sun Yat-sen, nommé président provisoire de la république de Chine. Les monarchistes se réorganisent parallèlement pour sauver le trône. La Société monarchiste constitutionnelle (ou Parti royaliste) est rapidement fondé sous la houlette du Général Liang Pi, commandant de la garde impériale, du prince Aisin Gioro Shanqi, du prince mongol Gungsangnorbu et d’autres membres de l’aristocratie chinoise. Les succès s’enchaînent pour les royalistes mais l’assassinat du Général Pi (le 23 janvier 1912) et l’allégeance d’une partie de l’armée de Beiyang à Yuan Shikaï porte un coup aux espoirs des monarchistes. L'impératrice Douairière Longyu ordonne la dissolution du mouvement royaliste et ses chefs se réfugient dans les légations étrangères.

Yuan shikaiC’est un général Yuan Shikaï, larmoyant, le front sur le sol, qui présente au conseil impérial, « les articles du Favorable Traitement du Grand Empereur Qing ». La famille impériale pourra garder ses biens, résider dans la Cité interdite, recevoir une allocation mensuelle, les mausolées gardés et entretenus, entretenir une garde et des domestiques. Les apparences sont sauves, la réalité est tout autre. Hors des murs, Pu Yi n’est plus un monarque mais le citoyen d’un pays qui sombre dans l’anarchie et la division. Les royalistes se regroupent de nouveau et lance une campagne en faveur de la restauration impériale. De nouvelles rébellions éclatent comme celle du régiment militaire de Luoashan (juillet 1912) ou du bandit Bai Lang (1913-1914) qui vont marquer l’histoire du royalisme chinois par leurs échecs notables. Yuan Shikaï est menacé par le Kuomintang et les républicains de Sun Yat-sen. Il décide alors de jouer son va-tout et s’auto-proclame empereur de Chine, le 12 décembre 1915. La monarchie est devenue le rempart à l’instabilité mais son règne sera de courte durée. A peine 3 mois. Abandonné par l’Occident, n’ayant pas reçu le soutien espéré des royalistes, menacé par les Japonais, Yuan Shikaï abdique en mars 1916. Il meurt la même année. La Chine est aux mains des nombreux Seigneurs de la guerre qui se partagent le pays. Parmi eux, le général Zhang Xun. C’est un ancien fidèle de Yuan Shikaï, ancien commandant de la garde de Ci Xi et un fidèle des Qing. Le 1er juillet 1917, il rentre avec son armée dans Pékin, la capitale, et se précipite dans la Cité interdite. Natte mandchou sortie, devant Pu Yi qui croit sa dernière heure arrivée, il lui annonce que la monarchie est de nouveau proclamée. Un édit est vite placardé, les chinois s’empressent de trouver des nattes postiches, ces fameuses «queues de cochon », symboles de ralliement à la dynastie et des centaines de personnes viennent se prosterner devant Pu Yi, heureux de retrouver ses prérogatives. Le président Li Yuanhong ne voulant pas démissionner, on lui ordonne de se suicider immédiatement pour cet affront fait à l’empereur. Comme il refuse d’obtempérer, Zhang Xun finit par pointer un canon sur lui et  Li Yuanhong de prendre ses jambes à son coup à travers toute la Cité interdite. Mais tout n’est qu’illusions autour de Pu Yi, aveuglé par sa cour qui a repris ses habitudes comme si rien ne s’était passé depuis 6 ans. Une armée composée de différents Seigneurs de la guerre opposés cette restauration marche sur Pékin et s’offre le luxe de bombarder depuis un avion la Cité Interdite. Une bombe manque même d’exploser sur la salle où est réfugié le fils du Dragon, caché sous une table. Mis en minorité et n’arrivant pas à endiguer l’avancée des républicains, les royalistes abandonnent Pu Yi à son sort le 12 juillet suivant. Humilié, il doit signer un nouvel acte d’abdication, s’excusant pour cette «erreur regrettable».

Gettyimages Pu YIC’est depuis le Soleil Levant que vont venir les derniers espoirs de Pu Yi. Transformé en dandy britannique par son précepteur, l’écossais Réginald Johnston, le jeune empereur renvoie les eunuques de la Cité interdite, prend femme et multiplie les amants, ses premiers amours. Il patiente. Depuis la Mandchourie, le berceau de naissance de la maison impériale, le général Chang Tso-Lin projette de s’emparer de Pékin et de ramener le fils du Dragon chez lui où il pourra régner. Mais pétri d’ambitions personnelles, ce Seigneur de la guerre hésite entre restauration et pouvoir personnel. Sentant qu’il leur échappe, ses alliés japonais le font finalement assassiner en 1928. Désormais, ils vont courtiser directement Pu Yi et rallier ce qui reste du parti royaliste, ces vieux mandarins sensibles aux sirènes de Tokyo. Expulsé de la Cité interdite par les nationalistes (1924), l’empereur s’était réfugié à la Légation japonaise. En 1931, l’incident de Moukden va changer le visage de la Chine. C’est le début de l’invasion japonaise qui signe aussi le retour de Pu Yi sur son trône. Le Mandchoukouo est né, un état fantoche qui servira de laboratoire humain aux japonais. Le dernier empereur de 10 000 ans n’aura aucun pouvoir de décision. Président en 1932, il est couronné deux ans plus tard au cours d’une cérémonie terne, sans saveurs. Mais peu importe pour Pu Yi. Il est de nouveau l’empereur de 10 000 ans.  Sa monarchie, contrôlée depuis Tokyo, bien que reconnue par de nombreux pays étrangers, sera emportée avec la défaite de 1945 comme tous les autres royaumes fictifs créés ci et là par les japonais. Les monarchistes sont en fuite, tentent de s’échapper du Mandchoukouo, pris en étau entre les soviétiques et les communistes de Mao Zédong. En vain.

Laminé, le mouvement monarchiste disparaît des écrans radars de l’histoire. Pu Yi meurt en 1967 dans la peau d’un modeste jardinier, membre de l’assemblée nationale populaire de Chine. Il a même pris le thé avec Mao Zédong. Les Ainsi Gioro sont dispersés aux 4 coins de la planète et vont connaître des destinées différentes. Ceux qui sont restés sont devenus de fidèles fonctionnaires du régime communiste comme Pu Jie, le frère et successeur de Pu Yi à la tête de la maison impériale, élu député de Shanghaï de 1978 à 1983 et président du 7ème Congrès populaire national. Il sera même le conseiller technique sur le film à succès de Bernardo Bertolucci consacré à la vie de Pu Yi et sorti sur les écrans en 1987. C’est aujourd’hui son neveu, (le prince) Jin Yuzhang, 78 ans, qui est techniquement le légitime héritier des Qing. Mais qui s’en soucie dans un pays où seule la voix du Parti communiste compte ?

Sovietiques sur le trone imperial mandchou?Y’a t-il un mouvement qui soutient les droits de sa famille au trône de Chine ? Fondé en 2004, le Gouvernement temporaire du Mandchoukouo affirme représenter les droits à l’auto-détermination de la Mandchourie et le retour de la monarchie. L’origine de ce mouvement, principalement actif sur internet, à Taïwan et au Japon demeure inconnue. Probablement monté par l’extrême-droite japonaise qui a le soutien du gouvernement actuel du premier ministre Shinzo Abe, il n’a cependant aucune assise populaire hors de la Mandchourie qui connaît une résurgence indépendantiste depuis peu. Des manifestations sont bien organisées en faveur du retour au régime impérial mais rassemble que quelques centaines de sino-japonais. Il est d’ailleurs difficile de savoir qui dirige ce mouvement, peut-être un vague membre de la maison Aisin Gioro à la généalogie contestable. Une dynastie qui, parfois fait les titres de la presse internationale, qui ne souhaite pas évoquer en public les fastes d’antan tant elle sait ses chances de retrouver le chemin de la Cité Interdite plus que faibles.

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