Quand la noblesse reprend la main : les Tonga à contre-courant démocratique
Quand la noblesse reprend la main : les Tonga à contre-courant démocratique
C'est très discrètement que la noblesse tongienne a repris la main sur les affaires du gouvernement, soutenue dans l'ombre par un monarque qui tente de restaurer la monarchie absolue, pourtant abrogée par une révolution populaire.
Dans un retournement politique marquant, Lord Fatafehi Fakafanua a été élu Premier ministre du royaume des Tonga par la Fale Alea, l’Assemblée législative du pays, devenant ainsi le premier membre de la noblesse légitimiste à occuper ce poste depuis plus d’une décennie.
Ce choix, surprenant pour beaucoup, illustre pourtant un rééquilibrage des forces politiques entre traditions monarchiques et aspirations démocratiques dans cette monarchie du Pacifique encore fragile. Une reprise en main de l'aristocratie qui semble soutenue discrètement par le roi Tupou VI, 66 ans, monté sur le trône en mars 2012.
Un scrutin parlementaire décisif pour la monarchie
L’élection interne à l’Assemblée législative, qui réunit 26 membres (17 représentants élus directement par le peuple et neuf représentants nobles élus par leurs pairs), s’est déroulée le 15 décembre 2025. Lord Fakafanua a remporté 16 voix contre 10 pour l’ancien Premier ministre Aisake Eke, qu’il a ainsi remplacé officiellement trois jours plus tard après sa nomination par le roi Tupou VI.
Sa victoire n’est pas uniquement le fait des représentants de l'aristocratie : selon les observateurs, il aurait obtenu le soutien d’au moins sept représentants de la population, preuve que son ascension transcende quelque peu les clivages traditionnels entre nobles et communs. De quoi agacer les représentants des associations pro-démocratie qui réclament plus de transparence dans ce scrutin.
Interrogé par le journal Matangi Tonga sur l'équité de ce vote à bulletin secret, le Premier ministre a refusé de nommer les députés qui l'ont soutenu, ainsi que les quelques représentants de la noblesse qui ont voté contre lui. « Je ne dirai pas qui sont les nobles, car le vote est secret pour une raison. Le vote à bulletin secret est inscrit dans la Constitution. Tant que celle-ci n'est pas amendée, s'il y a une volonté de réforme, nous continuerons de respecter la Constitution, qui prévoit l'élection du Premier ministre au scrutin secret », a déclaré Lord Fakafanua.
Une démocratie encore en construction
À 40 ans, père de deux enfants Lord Fakafanua est une figure bien connue de la scène politique tongienne. Entré au Parlement en 2009 comme représentant de l'aristocratie, il a été élu Président de l’Assemblée législative à plusieurs reprises — un rôle clé qui l’a placé au centre du fonctionnement institutionnel du pays.
Par sa famille, il est également étroitement relié à la monarchie : il est cousin du roi et membre de la noblesse héréditaire, combinant ainsi des liens politiques et dynastiques rares. Sa sœur sœur, Sinaitakala Tu'imatamoana, est mariée au prince héritier Tupouto'a 'Ulukalala. Pour certains observateurs, cette connexion familiale devrait permettre au roi Tupou VI de reprendre la main sur des postes clefs en toute discrétion.
La monarchie tongienne a été longtemps régi par l’absolutisme avant de connaître une remise en cause de son système institutionnel. En 2006, après une série de manifestations populaire, particulièrement violentes (incendies, pillages, plusieurs morts), le roi Tupou V ( frère de l’actuel souverain) est contraint de céder et d’accepter une démocratisation encadrée, progressive. Les réformes adoptées en 2010 font perdre de nombreuses regalia au roi. Il perd le pouvoir de nommer librement le chef du gouvernement et le Premier ministre est élu par l’Assemblée, puis formellement nommé par le souverain.
Clef de voûte de cette « révolution », sur 26 élus du Parlement, 17 députés doivent être élus au suffrage universel direct, 9 représentants de la noblesse élus par leurs pairs. Enfin, le gouvernement doit obtenir la confiance parlementaire. Une réforme historique qui n’a pas été du goût de l’aristocratie, notamment lorsqu' Akilisi Pōhiva (1941-2019), figure emblématique du mouvement démocratique, avait incarné cette transition en devenant Premier ministre issu du Parlement. Son élection en 2014 avait symbolisé une rupture nette avec des siècles de pouvoir dominé par la royauté et la noblesse.
Un retour en force de l’aristocratie ?
L’accession de Lord Fakafanua au pouvoir est significative pour plusieurs raisons. C’est un véritable retour en arrière à un moment où le roi Tupou VI tente de reprendre la main sur ses pouvoirs. En mars dernier, une crise avait éclaté entre le gouvernement et le monarque. Le Premier ministre Hu’akavameiliku Siaosi Sovaleni avait dû remettre sa démission. Lors des dernières élections législatives de novembre 2025, le Democratic Party of the Friendly Islands n’a remporté aucun siège, reflétant le déclin des forces pro-démocratie traditionnelles face à une classe politique fragmentée et à des influences institutionnelles conservatrices.
Interrogé par des journalistes, Lord Fakafanua, a déclaré qu'il finalisait actuellement la composition du nouveau gouvernement et espérait que les ministres prêteraient serment rapidement . Nommé au lendemain de la chute du précédent gouvernement, « le prince héritier restera ministre des Forces armées de Sa Majesté et des Affaires étrangères. Quant aux autres ministres, la liste est encore en cours d'élaboration et nous espérons qu'ils prêteront serment avant Noël », a-t-il ajouté. Il a précisé qu'il examinait les candidatures des 26 membres, y compris ceux qui ne le soutenaient pas, et qu'il choisirait le « meilleur ». Parmi les critères figurait la « loyauté ».
Si ce tournant peut-être perçu comme un recul des aspirations démocratiques, certains analystes insistent sur la complexité de la situation à Nuku’alofa, capitale des Tonga. D’autres observateurs soulignent que le système électoral particulier — avec des sièges répartis entre représentants communs et nobles — fait que les alliances politiques ne suivent pas toujours les lignes idéologiques classiques, mais plutôt des logiques de pouvoir, de consensus local et de réseaux familiaux.
Dans un contexte régional où les questions de gouvernance, de développement économique, et d’influence géopolitique (notamment face aux enjeux financiers et climatiques) sont de plus en plus prégnantes, la capacité du nouveau gouvernement royal à naviguer entre traditions et modernité — tout en répondant aux attentes des citoyens — sera décisive pour l’avenir démocratique du royaume des Tonga qui devrait renouer avec ses pratiques absolutistes à court terme.