La guerre des clans au Koweït

L emir du koweit al Sabah IVC’est tardivement, hier après-midi, que les chaînes d’information ont annoncé le décès à 91 ans du Shekih Sabah IV al-Ahmed al-Jaber al-Sabah, souverain du Koweït. Depuis plusieurs semaines, l’inquiétude grandissait dans cette pétromonarchie du Moyen-Orient. Monté sur le trône en 2006, il était un médiateur reconnu et un allié des Etats-Unis. Des deux princes qui se disputaient la succession au trône, un seul a finalement remporté la couronne plus rapidement que prévu : le prince Sheikh Nawaf al-Ahmad al-Jaber al-Sabah.

Palais royal seifA l’annonce du décès aux Etats-Unis du Shekih Sabah IV al-Ahmed al-Jaber al-Sabah, le gouvernement a interrompu les programmes télévisés et informé les koweïtis que le royaume prendrait le deuil pour  3 jours, rendant hommage à ce monarque du plus riche état du Golfe. Une pétromonarchie qui avait fait les principaux titres des médias internationaux en 1991 lorsque l’Irak avait envahi cet état créé de toutes pièces par les britanniques au cours du XXème siècle. Troisième fils de l’émir Ahmad Al-Jaber Al-Sabah (1885-1950), Sabah IV a été éduqué à l’Al Mubarakya School. Enfant, le jeune prince passera de tuteurs en tuteurs afin de compléter ses études. Il assiste à la montée du nationalisme et sera un témoin privilégié de la proclamation de l’indépendance de ce pays en 1961. Deux fois ministre des Affaires Etrangères (1963–1991 et 1992-2003), il va rapidement étendre sa toile au sein de la maison royal Al Sabah.

L arbre geneaologique des al sabahSes ambitions se heurtent rapidement au Sheikh Saad Al-Sabah,  auréolé de gloire. Officier militaire reconnu, Saad est alors le prince héritier désigné depuis 1978. Mais son rôle controversé durant la guerre du Golfe, sa nomination comme gouverneur militaire entre 1991 et 1992 et ses origines éthiopiennes le rendent suspect aux yeux des autres branches de sa famille, les Jaber et les Salim. Lorsque l’émir Jaber décède en 2006, c’est une véritable révolution de palais qui est ourdie, avec à sa tête le prince Sabah. Saad est malade et semble agoniser mais refuse de céder le trône. Il assistera dans un fauteuil roulant aux obsèques de Jaber. Le 26 janvier,  l’Assemblée nationale n’attend même pas la lettre d’abdication et vote la destitution de l’émir après 10 jours de règne. Rien ne peut plus stopper désormais l’ascension du prince Sabah qui va se faire au prix de lourdes tractations (il écarte le prince Salem, chef de la garde nationale  désigné pourtant au trône) et se fait reconnaître comme nouveau souverain.

Nasser bin sabah al ahmad al sabahTout au long de son règne, l’émir Sabah IV a été un chef d'état respecté par ses pairs qui ont loué régulièrement ses talents de médiateurs (comme la France et les Etats-Unis)  afin de mettre fin aux conflits dans les pays musulmans (Syrie, Qatar, Turquie...). Doyen de la diplomatie, il sera d’ailleurs l’un des principaux bailleurs financiers sollicités dans la crise des migrants. En 2014, l’ancien Secrétaire-général de l’ONU Ban Ki Moon récompensera publiquement le souverain d’un prix pour ses actions. A l’intérieur du régime, la monarchie est secouée par des muliples crises parlementaires. Durant le mouvement de contestation (2011-2013) qui secoue le monde arabe, certains princes n’hésitent à prendre parti pour les émeutiers  forçaant le souverain à rompre  l’alliance traditionnelle forgée avec les chefs des tribus bédouines pour privilégier la bourgeoisie urbaine et le minorité shiite. L’opposition muselée, les députés séditieux arrêtés et les leaders religieux rebelles mis en résidence surveillée, le « printemps Koweïti » va souffrir de la répression ordonnée par un souverain de plus en plus autoritaire.

Le nouveau souverain du koweit;, le prince Nawaf Al Sabah reutersSon décès a rapidement ouvert la voie à une difficile succession. Des luttes intestines qui ont régulièrement fait la une des médias.  Deux candidats ont été rapidement en lice pour la couronne. Son fils aîné, le prince Nasser Bin Sabah Al-Ahmad Al-Sabah (72 ans), ancien ministre de la Défense et le prince héritier  Nawaf Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah (83 ans), ancien chef de la Garde nationale et demi –frère du souverain décédé. Une course au pouvoir qui s’est engagée avec chaque branche de la maison royale tentant de placer ses pions au fur et à mesure des crises qui se sont succédées. Avantage au prince Nawaf qui, depuis juillet, n’a eu de cesse de multiplier les apparitions faisant valoir sa légitimité constitutionnelle alors que l’émir Sabah IV était hospitalisé. Face à lui, le prince Nasser qui n’entendait pas céder aussi facilement. Tombé en disgrâce en novembre 2019, après des accusations de corruption, il est considéré comme étant comme le principal moteur de «Silk City», l’un des mégaprojets du Koweït avec des investissements estimés à plus de 100 milliards de dollars, une influence  reconnue dans les milieux affairistes du royaume qui le soutiennent ouvertement. D’un point de vue religieux, tout oppose d’ailleurs les deux princes. Nawaf est aussi conservateur que Nasser est un réformateur et proche des shiites.

« Nous prions le seigneur d'accueillir Son Altesse [Cheikh Nawaf] avec ses soins généreux et de lui accorder une bonne santé et de l'aider à  tracer ses pas sur le chemin de la justice » a déclaré sobrement le vice-premier ministre Anas Khalid al-Saleh. De longues négociations au sein de la famille qui ont finalement abouti à la victoire du Sheikh Nawaf al-Ahmad al-Jaber al-Sabah, rapidement désigné par le conseil des ministres, nouveau souverain de l’émirat du Koweit, une pétromonarchie gérontocrate. Le prince Nasser Bin Sabah Al-Ahmad Al-Sabah devra attendre son tour. La communauté internationale a unanimement salué les actions du défunt Sabah IV, « un modèle de sagesse, de courage et de modération » selon le président libanais Michel Aoun et pris acte de la montée sur le trône du prince Nawaf.

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Date de dernière mise à jour : 30/09/2020

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