La monarchie saoudienne a-t-elle tenté de renverser les Hachémites ?

Abdallah II et son fils HusseinLa monarchie saoudienne a-t-elle tenté de renverser les Hachémites le 3 avril dernier ? C’est la question qui agite la presse arabophone et anglophone depuis la tentative de putsch organisée avec l'appui de différents chefs de tribus et officiels du royaume jordanien qui prévoyaient de mettre le prince Hamzah à la tête de l’état en lieu et place du roi Abdallah II. Selon le magazine « L’Orient-Le Jour », « de récentes révélations sur les dessous de l’affaire invitent cependant à considérer sérieusement l’implication » de Riyad dans ce complot qui aurait été approuvé secrètement par Washington et Tel-Aviv. Une information confirmant l’existence d'une rivalité qui perdure toujours entre ces deux familles royales, tour à tour gardiennes de La Mecque. 

Insigne de la Légion arabeLe royaume saoudien a été l’un des premiers pays à apporter « sa solidarité » à la Jordanie, secouée le 3 avril dernier par une tentative de coup d’état. Dans un tweet publié sur ses réseaux sociaux, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) a même assuré publiquement le roi Abdallah II et le prince héritier Hussein de son « son appui total aux décisions et mesures prises (par le monarque) pour sauvegarder la sécurité et la stabilité » de son état. Peu de temps après la mise en résidence surveillée du prince Hamzah, demi-frère du roi Abdallah II, compromis dans ce putsch et finalement pardonné, le palais royal d’Amman a diligenté une enquête qui pointerait du doigt  la responsabilité des Ibn Saoud dans ce complot « préparé depuis plusieurs années par l’administration Trump avec l’aide de ses alliés saoudien et israélien » affirment conjointement le magazine « L’Orient-Le Jour » et le journal « Washington Post » dans une de leurs éditions. 

Abdallah IIEntre les Saoud et les Hachémites, une rivalité qui date de la Grande rébellion arabe de 1917. Chacun des deux maisons royales revendiquent son ascendance au prophète Mahomet. Gardiens de La Mecque, un haut-lieu de l’islam, les Hachemites vont œuvrer pour fédérer les tribus du Hedjaz afin de chasser les ottomans de la péninsule arabique. Derrière la promesse d’un royaume arabe, un homme, un britannique, Thomas Edward Lawrence d’Arabie. Le succès va rapidement dépasser les espérances de cette maison qui pénètre au cœur de la Syrie avec le prince Faysal qui s’installe brièvement un trône (mars-juillet 1920) tandis que son père Hussein règne sur l’état indépendant du Hedjaz. Les relations avec les britanniques vont alors se détériorer. Londres va finalement retourner sa veste et décider de soutenir comme financer les activités d’une autre tribu de bédouins, les Saoud. En 1925, après de longs combats, les Hachémites sont finalement chassés du trône. L‘histoire ne s’arrêtera pas là pour autant. Les descendants d’Hussein vont occuper les couronnes d'Irak (1921-1958) et la Jordanie (depuis 1921). Au wahhabisme rigoriste de Riyad, Amann oppose un islam plus moderne et tente de reprendre la tête d’un néo-panarabisme qui fait barrière aux velléités expansionnistes des Saoud.

Mohammed Ben SalmanPour le Washington Post, c’est une véritable campagne « de pression américano-israélo-saoudienne » qui a été mise en place contre la Jordanie ces trois dernières années et dans le seul but d’affaiblir le roi Abdallah II, très apprécié des européens dans la lutte contre les djihadistes au Proche et Moyen-Orient. Le quotidien affirme même que l’administration de l‘ancien président Donald Trump aurait comploté afin de saper la légitimité du souverain opposé au « deal du siècle » censé régler le conflit israélo-palestinien avec une Jérusalem, capitale « indivisible » de l‘état hébreu. Le roi de Jordanie, qui estime être le curateur des Lieux saints, avait fait part de son rejet de ce plan qui prévoyait « l’annexion de certaines parties de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée». Face au refus royal, Trump aurait alors tenté d’arracher une signature à Riyad peu de temps après avoir obtenue celle des Emirats arabes unis reconnaissant l’état d’Israël  («  accords d’Abraham »). 

Bassem Awadallah,Parmi les comploteurs arrêtés et dont le procès commence à peine, Bassem Awadallah, considéré comme une marionnette des Saoud au sein du palais d’Amman. D’ailleurs, très vite et peu de temps après l’arrestation de cet ancien conseiller du roi Abdallah II, proche de Mohammed Ben Salman qui lui a octroyé la nationalité saoudienne, une délégation menée par le Prince Faisal ben Farhan s’est empressé d’exprimer son amitié à l‘égard du roi Abdallah II en se rendant dans la capitale jordanienne. Pour beaucoup de commentateurs locaux, « la nation étrangère désignée par l’enquête » prouverait bien que la monarchie Ibn Saoud serait la main qui a financé ce complot.  Selon « L’Orient -Le jour », le ministre saoudien aurait également tenté de faire pression sur Abdallah II afin qu’il libère à la fois Bassem Awadallah et le prince Sharif Hassan ben Zaid, cousin du monarque, liés au prince Hamzah, comme le prouvent des écoutes téléphoniques, rendues publiques par le quotidien britannique « The Guardian » et qui ont permis d’éventer le putsch avant qu’il ne débute. On y entend un Bassem Awadallah confier que MBS était contrarié de l’opposition du roi « car il ne pouvait pas gérer les réactions des palestiniens si le roi tenait sa position sur Jérusalem ».

Difficile de dire à ce stade si ces informations sont spéculatives ou dessinent une réalité qui échappe aux européens. Pourtant, force est de constater que les rivalités géo-politiques perdurent entre les deux monarchies et sous le regard des Etats-Unis qui semblent tirer les ficelles d’un jeu dangereux. « En juillet, le roi de Jordanie sera le premier dirigeant arabe à rencontrer personnellement le nouveau président américain » note en guise de conclusion « L’Orient- Le jour » qui y voit là un soutien explicite au roi Abdallah II face à l’héritier saoudien, guère en odeur de sainteté auprès de la nouvelle administration américaine qui a succédé à Trump à la Maison blanche. 

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 16/06/2021

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