C’est un nouveau dossier qui vient entacher un peu plus la réputation du prince Mohammed Ben Salman. Ancien responsable des renseignements la monarchie wahhabite, sur CNN, Saad Aljabri a accusé l’héritier du monarque actuel d’avoir comploté contre le roi Abdallah, décédé en 2015, d'avoir tenté de le faire assassiner et de le réduire au silence. Si ces révélations ont fait le tour de la presse internationale, cette affaire est plus complexe qu’elle n’y paraît et inquièterait même la Maison blanche. Les dernières déclarations de ce chef espion menaceraient désormais la sécurité intérieure du premier gendarme autoproclamé du monde et empoisonneraient considérablement ses relations avec son allié saoudien.
C’est une affaire qui était passée sous les radars des médias français jusqu’à ces derniers jours où ils ont été nombreux à titrer sur les révélations d’un supposé « lanceur d’alerte » comme l’écrit le magazine « Le Point ». Mais en lieu et place d’un banal influenceur pro-démocratie se trouve en réalité Saad Aljabri, ancien chef des renseignements saoudiens, au cœur d’un conflit ouvert avec Mohammed Ben Salman (« MBS »), prince héritier d’Arabie Saoudite. En accusant ce dernier d’avoir comploté contre le roi Abdallah, cet officier militaire a ouvert une boite de pandore avec ses innombrables répercussions internationales. A commencer par Washington qui depuis cet été, fait son possible pour bâillonner la parole de Saad Aljabri qui détiendrait des secrets d’états susceptibles de menacer la sécurité des États-Unis et son alliance avec la monarchie wahhabite. Le tout sur fond de rivalités dynastiques.
Interviewé récemment par CNN, Saad Aljabri a révélé qu’en 2014 le prince Mohammed Ben Salman aurait proposé à son cousin, alors ministre de l’Intérieur, de se débarrasser du nonagénaire monarque au cours d’un coup d’état qui aurait permis à sa branche de monter sur le trône plus vite, faisant fi des règles de succession gérontocrate qui ont toujours régies cette monarchie arabe. « Je veux assassiner le roi Abdallah. J’obtiens une bague empoisonnée venue de Russie, il me suffira de lui serrer la main et ça sera fait. » aurait déclaré MBS en 2014. Avant de renoncer à la vue de l’état de santé chancelante du roi qui décèdera quelques mois plus tard. C’est le roi Salman, son père, qui est sacré roi d’Arabie Saoudite.
Va se jouer alors un jeu de chaises musicales entre les deux comploteurs. Mohammed ben Nayef, ledit cousin, est nommé prince héritier avant d’être brutalement écarté en 2017 par MBS qui devient prince héritier à sa place et de se lancer dans une vaste purge interne. Riyad n’a pas tardé à réagir aux déclarations de Saad Aljabri et selon son ambassade aux États-Unis, celui-ci ne serait qu’un « ancien officiel du gouvernement discrédité, avec un long historique de manipulations et de diversions pour faire oublier les délits financiers qu’il a commis, qui se chiffrent en milliards de dollars, afin de s’octroyer un style de vie somptueux avec sa famille ».
Ce dossier aurait pu passer inaperçu si la Maison Blanche n’était pas aussi inquiète par la personnalité de Saad Aljabri, proche de Ben Nayef. En effet, ce dernier est aussi au centre de deux procès contre le prince héritier qu’il accuse d’avoir tenté de le faire assassiner au Canada. Ses possibles révélations « menaceraient d'exposer des secrets du gouvernement américain, poussant Washington à envisager une rare intervention judiciaire » explique un journaliste de l’AFP qui a eu accès à des documents relatifs au procès. « Le ministère américain de la Justice aurait (même) pris en avril une initiative rare en transmettant à un tribunal du Massachusetts un document (confidentiel-ndlr) stipulant que l'ancien espion avait l'intention, dans le cadre des poursuites qui le visent, de faire état d'informations concernant des activités présumées liées à la sécurité nationale » poursuit le journaliste de l’AFP et que rapporte également le Washington Post. La Maison Blanche pourrait invoquer le « privilège des secrets d'Etat » afin de faire classer l’affaire très rapidement, renforcée par les accusations de détournement de fonds (se chiffrant à plusieurs milliards de dollars) proférés par la société publique Sakab Saudi Holding contre Saad Aljabri et demander son extradition.
« Je suis ici pour tirer la sonnette d’alarme à propos d’un tueur psychopathe au Moyen-Orient disposant de ressources infinies qui constitue une menace pour son peuple, pour les Américains et pour la planète » a déclaré l’officier du renseignement. Exilé au Canada, il a d’ailleurs échappé à une mystérieuse tentative d’enlèvement par une « Tiger Squad » comme le révélait le quotidien Middle East Eye en 2018. Interrogé récemment par l’émission « 60 Minutes » d’M6 sur l’origine de sa fortune, il a expliqué qu’il avait « servi étroitement une monarchie pendant vingt ans. Trois rois, quatre princes héritiers. » et que ceux-ci avaient été très « généreux, une tradition de la famille royale d’Arabie saoudite ».
Si la justice canadienne ne confirme pas pour l’instant avoir reçu de documents des Etats-Unis, c’est aussi les liens étroits de Saad Aljabri qui pourraient faire l’objet d’interrogations et être soumis au jugement populaire. Car l’ancien maître-espion « a(aurait bien) travaillé directement avec au minimum la CIA, le FBI, le département de la sécurité intérieure, la Maison Blanche, le département d'Etat et le département du Trésor » affirme de son côté Philip Mudd, ancien responsable de la CIA et actuel analyste du contre-terrorisme sur CNN à l’AFP. Une affaire dont se serait certainement bien passé le président Joe Biden et qui fragilise un peu plus la monarchie saoudienne déjà sous le coup de l'affaire Jamal Khashoggi. Si tant est que tous ces faits exposés par ce 007 saoudien soient vrais !? Car il subsiste toujours l'ombre d'un doute dans ce qui ressemble aussi à une vendetta personnelle contre MBS
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