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Filip Karageorgévitch : Un écho inattendu au cœur de la contestation

La Serbie est en crise politique. Les manifestations contre le gouvernement se succèdent et prennent de l'ampleur. Face à cette contestation, le prince Filip Karageorgevitch a décidé de prendre la parole une nouvelle fois.

Après huit mois de mobilisation, la contestation en Serbie vient de franchir un nouveau seuil. Samedi 28 juin 2025, près de 140.000 personnes, selon un observatoire indépendant, ont envahi les rues de Belgrade pour réclamer des élections anticipées, défiant le pouvoir du président Aleksandar Vucic (en poste depuis 2017). En toile de fond : l’effondrement de la gare de Novi Sad, survenu en novembre dernier, qui a coûté la vie à 16 personnes et symbolise pour beaucoup la corruption et la désinvolture d’un système à bout de souffle.

Si la majorité de la manifestation s’est déroulée pacifiquement, la soirée a été marquée par des échauffourées inhabituelles : fumigènes, gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes ont fait écho à une tension que la répression gouvernementale n’a fait qu’exacerber. Au total, 77 arrestations ont été recensées et 48 policiers blessés, dont un grièvement. Face à cette vague de colère, le président serbe, qui avait déjà sacrifié son Premier ministre en janvier pour tenter de calmer la rue, a toutrefois décidé de camper sur ses positions : pas question, dit-il, de céder à ce qu’il qualifie de « tentative de coup d’État orchestré par l’étranger ».

 

 

Le prince Filip Karageorgevitch et l'oriflamme de la nation

Pourtant, au milieu de ce climat de défiance, une voix inattendue est venue rappeler à la nation une part de son histoire. Dans un message solennel diffusé le lendemain, le prince Filip Karageorgevitch, 43 ans, héritier de la dynastie royale, a pris la parole : « En tant qu’héritier de la Couronne et en tant que quelqu’un qui croit profondément en la Serbie, je me sens dans l’obligation de m’adresser à notre patrie en ces jours difficiles », a-t-il déclaré, avant de lancer un vibrant plaidoyer pour le dialogue et l’unité.

« La violence contre les ppersonnes non armées, en particulier les étudiants et les élèves, n’est pas un chemin vers la stabilité. La haine entre les citoyens est la plus grande défaite. La Serbie doit rester un pays de peuple libre et digne, un pays dans lequel les différends se résolvent par des mots, pas par la force », a insisté le prince, appelant chacun à « laisser la raison, la patience et l’amour pour la Serbie guider nos actions ».

 

 

Une monarchie balayée mais pas oubliée

L’intervention du prince Filip n’est pas anodine. Elle ravive le souvenir d’un pan majeur de l’histoire serbe. Héritiers de la dynastie Karageorgevitch, chassée du pouvoir en 1945 par le régime communiste de Tito, les princes n’ont jamais officiellement renoncé à leurs prétentions dynastiques, même si la Constitution de la Serbie moderne ne reconnaît aucun rôle officiel à la monarchie.

Après la chute de la Yougoslavie socialiste, le retour sur le sol serbe du prince Alexandre, père de Filip, au début des années 2000, avait été accueilli comme un signe d’apaisement et de réconciliation nationale. Pendant un temps, l’idée d’une restauration symbolique — une monarchie parlementaire sur le modèle espagnol — avait même été sérieusement évoquée par divers partis. Une campagne menée par le Mouvement du Renouveau serbe (SPO)  dirigé par le charismatique Vuk Draskovic, ancien ministre des Affaires étrangères (2004-2007), avec quelques succès. Les partis royalistes sont revenus au Parlement (actuellement 2 élus pour le SPO, et 7 pour le Mouvement pour la restauration du royaume de Serbie (POKS) son rival direct) ont même eu des ministres, des cérémonies ont été organisées en mémoire des anciens héros de la dynastie, la résidence royale de Dedinje à Belgrade avait retrouvé un rôle de représentation et le blason royal est redevenu l'emblème de la Serbie..

Mais malgré un soutien moral perceptible chez certains conservateurs, porté par la chute du mur de Berlin (1989),  le courant monarchiste peine à simposer néanmoins dans la vie politique institutionnelle, miné par de multiples divisions internes, idéologiques (oscillant entre pro-européens et ultranationaliste) ou dynastique. Il survit par le biais d’associations culturelles, de réseaux patriotiques et d’une image de plus en plus perçue comme un contre-pouvoir moral face à une classe politique souvent discréditée. « Nous n’avons pas d’ambition partisane », rappelait récemment le prince Filip lors d’un entretien. « Notre rôle est d’unir, pas de diviser. La Serbie n’a jamais eu autant besoin d’unité et de dignité qu’aujourd’hui. », assure t-il. 30% des Serbes souhaitent la restauration de la monarchie.

 

 

Un écho inattendu au cœur de la contestation

Si son message n’a aucune portée institutionnelle directe, il a trouvé un certain écho au sein des manifestants, notamment chez les jeunes qui, las des promesses non tenues de l’élite politique, redécouvrent parfois l’idée monarchiste comme un symbole d’unité et de continuité historique. Pour certains observateurs, la figure du prince Filip — plus jeune, plus ancrée dans les réseaux européens que son père — incarne une forme de modernité qui contraste avec la figure tutélaire mais vieillissante d’Aleksandar Vucic.

Reste à savoir si ce sursaut symbolique suffira à inverser la dynamique. Pour l’heure, la rue garde l’initiative et le pouvoir campe sur ses positions. Mais dans une Serbie où la mémoire historique pèse toujours lourd, la voix du prince rappelle que l’héritage monarchiste, enterré mais jamais effacé, pourrait bien refaire surface à mesure que la confiance dans les institutions s’effrite.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 16/07/2025