L’affiche était alléchante, les acteurs de premier choix, le décor s’annonçait dès plus somptueux et royal. Entre deux teasers, mis en ligne pour nous tenir en haleine avant sa diffusion le soir du 24 juin, la chaîne d’information en continu, BFM Télévision avait vendu aux français, un reportage de qualité sur la reine Elizabeth II et la monarchie britannique. A travers un grand format conduit par le journaliste Bruce Toussaint, le reportage a finalement divisé les internautes. Entre déception et enthousiasme, quels sont le réel regard et l’analyse à porter sur « Elizabeth II : les secrets d’un empire »
Les premières images vous plongent au cœur d’une monarchie, dans les « fastes d’un autre temps ». En quelques minutes, c’est tout le décorum d’une royauté qui est offert aux téléspectateurs dans une valse de différents patchworks mis en scène. Ce soir-là, plus de 620 000 personnes vont regarder défiler carrosses, militaires portant le traditionnel casque en poils d’ours, devant des milliers de britanniques venus acclamer avec enthousiasme leur souveraine, drapeaux de l’Union Jack en main. BFM TV a déployé des efforts de communications pour permettre à tous, quelques soient les endroits, de regarder ce documentaire qui s’annonçaient sous les meilleurs hospices. « Elizabeth II (…) règne sur un empire plus solide que jamais ». La formule est choc, pénétrante, la famille royale affiche au balcon de Buckingham Palace, un air d’unité. « La royauté n’a jamais été aussi populaire en Grande –Bretagne », déclare l’ancien valet de pied de la reine, Paul Burell, en guise de bilan. Le Royaume-Uni vit ses dernières années avec Elizabeth II, 93 ans, un monde se fermera bientôt peut-on lire entre les lignes.
Le documentaire va pourtant rapidement se perdre entre anecdotes et détails d’une fresque monarchique ancrée dans l’histoire au sein du palais royal le plus mythique de Londres, « un lieu impersonnel que la souveraine n’aime pas ». Non sans oublier de multiplier les mesquineries qu’un aficionado de la couronne n’aura pas manqué de noter. A commencer par le salaire de la domesticité royale, une ruche de 600 personnes «bien moins payées que dans le reste de l’Angleterre » nous explique la journaliste qui nous donne le « La » d’une partition rejouée à foison au cours du reportage. Longue litanie sur le dressing royal qui irrite rapidement le chroniqueur Henry-Jean Servat sur son compte Twitter, on s‘épanche sur sa pingrerie présumée ou la composition de son petit déjeuner.
«Le vernis du glamour » cohabite avec la puissance d’une monarchie codifiée depuis des générations de souverains britanniques et incarnée par la majesté d’Elizabeth II, « omnisciente » depuis 1952. « La personne la mieux informée du monde » qui est autant le chef des armées que celui de l’église anglicane. « The Boss » règne sur une grande famille et un pays qui lui voue une admiration sans borne et qui ne lui autorise pas la moindre faille, comme lors des obsèques de Lady Diana Spencer en 1997. Le reportage présente ici sa meilleure partie, le sacré d’une reine qui a su s’adapter aux différents bouleversements sociaux de son royaume et ancrer sa régalia intemporelle dans la modernité. Une « reine branchée qui surfe sur instagram ou Twitter et qui a signé la loi autorisant le mariage homosexuel ! »
On ne noie avec délectation dans les arcanes d’un pouvoir qui prive toutefois la reine de son droit de vote et qui ne lui autorise pas de prendre ses propres décisions mais qui en fait une « marque la plus cotée au Royaume –Uni ». D’ailleurs nul le sait ce que pense la reine aujourd’hui et bien mal celui qui pourra le savoir avec exactitude, la presse spéculant à outrance sur la signification de telles ou telles broches ou de chapeaux fleuris portées par « The Queen »..
Le reportage n’échappe pas aux polémiques. « Les joyaux de la discorde » ressemblent étrangement à un sujet similaire produit auparavant par France 2, l’année dernière. Sous couvert d’enquête, on y dénonce « l’opacité » de l’argent perçu par la souveraine-à vrai dire l’état royal – et on nous fait croire que ce monarque règne sur un empire financier hérité des domaines de la couronne, familiaux ou autres contrat spéculatifs provenant d’actifs immobiliers. Des « privilèges qui datent de Guillaume le conquérant » (1066-ndlr), une rente issue de terres touristiques, « de vraies machines à cash » s’empresse alors de nous expliquer la voix lancinante de la journaliste. Il faut choquer, faire sursauter le bon français qui se feindra de remarques acerbes depuis son canapé sur cette monarchie constitutionnelle ou qui ne manquera pas de compatir sur le sort de ces anglais, ces « serfs » qui se plaignent du système féodal encore en vigueur et qui les excluent de leurs propriétaires dont ils sont locataires. Pire, la reine ne s’acquitterait pas des mêmes impôts que ses sujets ajoute-t-on sur un ton quelque peu offusqué. Et de ressortir les archives de l’incendie du château de Windsor en 1992 ou d’interviewer le leader du parti républicain, Graham Smith, laissant un certain arrière-goût devant ce flot de polémiques inutiles.
La fin du reportage (suivi par un débat sans profondeur) n’en est pas moins surprenante affirmant curieusement, comme si elle était un équivalent du dirigeant nord-coréen, « que son staff organise des bains de foule » lors de ses visites diplomatiques, nous vendant, l’épouse du prince Harry, l’actrice Meghan Markle , comme la favorite de la souveraine (alors qu’il n’en est absolument rien dans la réalité des faits-ndlr). Une fois le clap de fin sur la question de la succession royale et un portrait du prince Charles qui régnera, assure Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice du magazine Point de Vue, le documentaire perd de sa saveur, laissant les téléspectateurs interloqués face à l’annonce de fin de règne d’une reine « coulée dans le moule d’une Angleterre aujourd’hui disparue ». So frenchy !
«Elizabeth II : les secrets d’un empire » n’a pas manqué de diviser les internautes. Le site « Monarchie britannique », une page consacrée à l’activité et l’histoire de la maison royale des Windsor, suivie par 80000 abonnés, évoque des « questions plates (…) qui n’apportent pas grand-chose aux connaissances des français sur celle que l’on présente comme souveraine la plus célèbre de la planète ». La critique est tout sauf dithyrambique mais fait écho aux nombreux commentaires que l’on peut lire sur de la part de ces nombreux internautes qui n’ont pas manqué de faire « une troisième mi-temps » sur les réseaux sociaux. Le reportage, qui « paraissait offrir un portrait complet mais résumé tout en offrant des anecdotes inédites » note cependant avec justesse le site « Monarchie britannique », mérite-t-il pour autant une note défavorable ?
A regarder de plus près, le documentaire s’adresse avant tout à un public généraliste, très éloigné des questions monarchiques. Car au-delà de la passion que portent les inconditionnels à la « Firme » comme on surnomme affectueusement la maison royale et dès lors que l’on accepte de prendre un certain recul, c’est en réalité un bon documentaire qui introduit au téléspectateurs l’importance même du principe monarchique, un garant de la stabilité de l’état et de ses institutions à travers un seul arbitre neutre, ici « The Queen herself ! ». Les sujets monarchiques se sont multipliés ces derniers temps en France, témoignant d’un regain d’intérêt pour l’idée monarchique qui connaît désormais un timide mais certain renouveau en Europe, voir dans le monde. Bien que déjà présent dans les autres médias des états-membres de l’Europe, la France faisait encore jusqu’ici de la résistance face à un tel sujet, préférant verser dans la sempiternelle caricature. Et si certains schémas subsistent encore comme la présentation du Parti républicain (fallait-il en trouver un pour nous le relier à notre histoire révolutionnaire afin de la justifier) qui ne dépasse guère les 10% de soutiens dans le royaume, on note un changement des mentalités. Ce reportage a indubitablement contribué à montrer cette idée monarchique sous son meilleur jour avec en « guest star », une icône mondialement connue, Elizabeth II. Loin d’être ce système suranné, dénoncé par certains, on constate une monarchie qui a développé via ses différents monarques une capacité exceptionnelle d’adaptation en toutes circonstances. Entre moments de glam’s et de sacré, en quelque mots, un système, qui a fait ses preuves à travers les siècles, démontré ce qu’est la réalité d’une communion entre les citoyens d’une monarchie (qui ne coûte pas plus cher qu’un timbre post britannique) et leurs souverains. Ces gardiens d’une tradition séculaire, que rien n’oppose à la démocratie mais qui bien au contraire en sont les coordinateurs principaux, que les républiques s’acharnent parfois à détricoter au nom d’une histoire européenne commune qui n’existe pas.
Grâce à de nombreuses archives et quand il ne tombe pas dans la critique facile, le reportage nous montre « l’une des tendances les plus remarquables de la société britannique » qui fait défaut à notre régime républicain : l’attachement de tout un peuple à sa souveraine, également chef du Commonwealth régnant sur « 16 autres royaumes disséminés à travers le monde » comme nous le rappelait encore dernièrement une édition du magazine « Diplomatie ». Un peuple qui partage toute « les peines et joies » d’une famille qu’ils ont naturellement adopté, scrutée de très près par une presse-people « qui a contribué au renforcement de sa popularité ».
Avec 76% d’opinions favorables, quel président peut-il se targuer aujourd’hui d’avoir offert dans la continuité un tel sentiment d’unité qui ne souffre que peu ou pas de contestation de pouvoir. Un gage éminent de stabilité comme le prouve ce Brexit qui n’en finit pas de plonger le royaume de Sa Majesté dans la tourmente Et c’est bien cela que le documentaire a finalement tenté de nous montrer. Toute la puissance d’une monarchie à travers ses symboles séculiers. Se pose alors une question à tous : Et si nous avions notre propre famille royale ?
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Publié le 27/06/2019