Au Royaume-Uni, la récente et spectaculaire manifestation de l’extrême-droite a illustré la résurgence d’un nationalisme de rue capable d’attirer des dizaines de milliers de participants. Entre pression politique, récupération symbolique et recul du soutien populaire, la monarchie britannique pourrait se retrouver malgré elle au centre d’un débat sur son rôle et son aura, sa capacité à maintenir l’unité d’une nation politiquement et ethniquement fragmentée.
Le 13 septembre 2025, Londres a été le théâtre d’une importante manifestation d’extrême droite, rassemblant des dizaines de milliers de participants derrière le slogan « Unite the Kingdom » (Unir le Royaume !). Menée par Tommy Robinson, 42 ans, de son vrai nom Stephen Yaxley-Lennon, cet ancien hooligan devenu influenceur a été à la tête de l’English Defence League (Ligue de défense anglaise) avant de passer par la case prison à diverses reprises. Sa rhétorique anti islamique, anti-LGBT et anti-woke ont trouvé un certain écho dans un royaume fortement secoué par une forte immigration et les actions du Black Lives Matter (BLM).
Une mouvance qui a contraint l’institution royale à s’excuser pour son histoire esclavagiste et accepter le déboulonnement de quelques statues glorifiant ce passé controversé.
Une récupération des symboles royaux par l’extrême droite
Alors que ce type de mobilisation se multiplie ces derniers mois, le roi Charles III reste silencieux, laissant percevoir la délicatesse de sa position. Bien que cela ne soit pas évoqué directement, la monarchie pourrait se retrouver confrontée à une pression sans précédent sur son rôle unificateur, héritage du multiculturalisme forgé sous l’Empire britannique et longtemps présenté comme un élément central de l’identité nationale. Un sentiment mis à mal aujourd'hui. Plus de 45% des Britanniques se sentent étrangers dans leur propre royaume.
Les groupes nationalistes exploitent abondamment les emblèmes historiques et royaux — Union Jack, croix de Saint-Georges, couronnes et héraldique — pour légitimer leurs revendications. Cette instrumentalisation, renforcée par la puissance des réseaux sociaux ( de Tik Tok à X ) fait peser un risque d’association dans l’opinion publique entre la monarchie et la xénophobie, les violences de rue ou les idéologies autoritaires.
La visibilité médiatique de ces mouvements exerce également une pression indirecte sur le gouvernement de l’actuel Premier ministre travailliste Keir Starmer (lequel a été conspué par les manifestants), notamment sur les questions d’immigration et de sécurité. Des dossiers mal gérés pourraient éroder davantage l’attachement populaire à la Couronne comme « colle sociale ».
Le rôle limité mais stratégique de Charles III
Face à ces tensions récurrentes, Charles III ne dispose que de peu de marges de manœuvre : discours publics, visites représentatives, rencontres privées avec des responsables politiques, et appels au calme en période de crise morale. Toute intervention politique directe serait contraire à la convention constitutionnelle, qui impose au souverain la neutralité. « Le roi n’a pas d’armes politiques. Son rôle consiste à incarner l’unité et la continuité », rappelle un expert en droit constitutionnel britannique.
Cette position délicate est renforcée par l’ambivalence de l’extrême droite contemporaine, qui oscille entre exploitation rhétorique du monarchisme pour légitimer son récit nationaliste et critique populiste de la Couronne comme partie de « l’establishment corrompu » coupable des malheurs de la nation. De nombreux ténors de l’extrême-droite n’hésite pas à revendiquer leur attachement à la couronne comme le brexiter Niger Farage, en montée dans les sondages qui en utilise les symboles lors de ses meetings. Le leader du parti Reform UK a obtenu environ 14 % des suffrage aux élections de 2024, confirmant la force d’un électorat protestataire qui, bien que minoritaire au Parlement, qui pèse sur un débat public devenu très électrique.
Héritage historique et connivences controversées
L’histoire de la monarchie britannique avec l’extrême droite est marquée par plusieurs épisodes controversés. Dans les années 1930, le roi Edward VIII — futur duc de Windsor — a entretenu des liens connus avec les Blue Shirts du baron Oswald Mosley, mouvement fasciste britannique, et a été reçu par de dignitaires nazis à de nombreuses reprises après son abdication en 1936. Ces connexions, largement documentées par les historiens, continuent de nourrir les débats sur les affinités possibles entre certains cercles royaux, l’aristocratie conservatrice et des mouvements autoritaires. L’ombre de ces épisodes historiques alimente encore aujourd’hui la sensibilité de l’opinion publique à toute proximité entre la monarchie et des courants d’extrême droite, même si les monarques contemporains ont officiellement rompu avec ces mouvances depuis des décennies, auréolé par leur résistance au nazisme.
Cette mémoire historique, combinée à la récupération symbolique actuelle par les nationalistes, crée cependant un terrain de vulnérabilité pour la Couronne, dont l’image peut être instrumentalisée malgré la neutralité formelle de l’institution. Loin d’avoir la capacité de rassemblement de sa mère, feu la reine Elizabeth II, pointé du doigt pour ses choix jugés trop à gauche, Charles III pourrait être contraint d’agir discrètement afin de ne pas mettre à mal sa position constitutionnelle et son rôle de protecteur de toutes les confessions religieuses et minorités ethniques, associées à son couronnement. Une première au Royaume-Uni qui a eu le don d’irriter l’extrême-droite attachée à ce que le pays reste une nation purement anglicane.
Si la monarchie britannique n’est pas menacée d’abolition dans l’immédiat ( 58% des Britanniques souhaitent son maintien selon un dernier sondage sur le sujet), son rôle d’unificateur national se retrouve drastiquement fragilisé. Entre montée des extrémismes, recul du soutien populaire et mémoire historique controversée, Charles III doit naviguer avec prudence : préserver la neutralité politique tout en maintenant l’autorité morale et la légitimité symbolique de la Couronne. Dans ce contexte, la véritable menace pour la monarchie n’est pas une disparition, mais l’érosion progressive de son prestige et de sa capacité à incarner l’unité du Royaume.
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