Le portrait de la haine

« L'idée que quelqu'un puisse s'offusquer du portrait de Sa Majesté la Reine est ridicule ». Les titres dans la presse britannique et nord-irlandaise se sont multipliés ces derniers jours face à la polémique qui menace de se transformer en affaire d’état. Loin des affres habituelles couvertes par les tabloïds qui sont à la moindre recherche de scandales sur la maison royale ou du Brexit qui doit avoir lieu dans 91 jours, c’est un autre différend plus politique qui agite Belfast, la capitale de l’Irlande du Nord. Le portrait de Sa Majesté la reine Elizabeth II a été promptement retiré des bureaux de l’ancien gouvernement unioniste après que celui qui agit par intérim ait statué en faveur d’un fonctionnaire qui se plaignaient de devoir subir le constant  regard  « offensant » de « The Queen  et du Duke of Edimburgh».

50 1Le Parti unioniste démocrate (Democratic Unionist Party ou Páirtí Aontachtach Daonlathach) ne cache pas sa colère dans les médias. Le mouvement protestant, fidèle de la monarchie des Windsor, a  exigé que les portraits de la souveraine soient immédiatement remis à leur légitime place dans les officines gouvernementales de cette province du Royaume-Uni, déjà en proie à une crise politique depuis 2017.

La révélation par l’unioniste et ancien député Lord Maginnis du versement secret d’une somme de 10 000 livres sterling (11000 €uros) à un fonctionnaire qui s’était plaint de devoir subir  non seulement le regard de la reine, mais celui du duc d’Edimbourg, a jeté le feu aux poudres entre partisans de la monarchie et ceux du rattachement de l’Ulster à l’Eire (Irlande du Sud, indépendante depuis 1922).  Une affaire qui vient s’ajouter à une soudaine recrudescence des tensions persistantes entre unionistes et indépendantistes irlandais qui se partagent le pouvoir de l’exécutif nord-irlandais, depuis les accords de paix signés en 1998. Les marches annuelles des orangistes récemment réorientées pour ne pas provoquer les catholiques, et dont les plus radicaux ont fait ressurgir le spectre de la guerre civile en organisant des attentats (comme celui de Londonderry en janvier 2019), ont irrité les partisans de la monarchie qui reprochent les nombreuses concessions accordées aux catholiques.

Arlene Foster, ancienne premier ministre DUP entre 2016 et 2017 avant que son gouvernement ne tombe après une sérieuse crise politique, a rencontré le secrétaire d’état pour l’Irlande du Nord, nouvellement nommé par le premier ministre britannique Boris Johnson. Un baptême du feu pour Julian Smith qui a dû essuyer la colère du député Foster qui a exigé qu’on lui explique le pourquoi de cette « folie ».

Avant de réclamer à son tour le retour des portraits enlevés. Lee Hegarty, l’employé à l’origine de cette crise, a bien proposé que le portrait officiel de la reine Elizabeth II soit remplacé par celui où figure la souveraine serrant la main à l’ancien chef de l’Irish Rebellion Army (IRA) , le député Mac Guinness (2012)  mais la responsabilité de ce dernier dans la crise qui perdure en Irlande du Nord, qui a éclaté après sa démission en janvier 2017 (et qui lui a été fatal puisqu’il est décédé deux mois plus tard), n’a pas permis au tribunal de statuer favorablement à cette proposition. Le fonctionnaire aura tout de même et étrangement attendu 20 ans, date à laquelle il est entré au service de Sa Majesté, pour se plaindre de sa présence picturale.

« L'idée que quelqu'un puisse s'offusquer du portrait de Sa Majesté la Reine est ridicule » a simplement dit le député DUP de Londonderry-Est, Gregory Campbell. « Il est tout aussi ridicule que le siège du gouvernement de Sa Majesté en Irlande du Nord ne puisse afficher autant d'images de la reine qu'il le souhaite. » a ajouté le député agacé.

51 2En guise de réponse aux députés du DUP qui incarnent la droite très conservatrice de la monarchie, Julian Smith s’est contenté de répondre que le gouvernement britannique avait « à coeur de prendre en compte les préoccupations exprimées par les employés gouvernementaux en Irlande du Nord » et qu’il avait été heureux de voir le sourire de la reine sur un petit portrait installé sur son bureau de travail,  au palais de Stormont. Un communiqué qui a encore plus irrité le DUP qui n’y voit  ici« qu'une nouvelle tentative d'érosion de l'identité britannique dans cette partie du Royaume-Uni » comme l’a déclaré à la presse le député Gregory Campbell. Le débat sur le retour du portrait royal s’est rapidement déplacé sur les différentes chaines de la télévision britannique. Interviewé dans l’émission « « ITV Good Morning Britain , le professeur d’université, Kehinde Andrews, a expliqué comprendre la demande du fonctionnaire car « il y’a derrière le regard de la reine toute l’histoire douloureuse de la colonisation irlandaise » depuis le XVIème siècle par les anglais. « Si vous n’aimez pas le portrait de la reine, ne le regardez simplement pas »  a t-il toutefois ajouté avant de confirmer que les portraits faisaient également parti des regalias officiels de la monarchie britannique y compris au sein des pays membres du Commonwealth. Un point sur lequel a surenchéri l’ancien conseiller du ministère de la défense, Sir Simon Mayall, qui a déclaré que le Royaume-Uni était  «une monarchie dont la reine est le 41ème monarque en 1000 ans d'histoire ». « La reine représente une force stabilisatrice en politique. Elle est le chef de l'Etat. Elle a le droit d'avoir la photo ou la photo dans n'importe quel édifice gouvernemental » s’est défendu cet officier qui a servi au Kosovo et en Irak.

«Je demande instamment au secrétaire d'Irlande du Nord non seulement de restaurer les portraits originaux de Sa Majesté et du duc d'Édimbourg, mais aussi d'accélérer le versement de l'indemnité relativement dérisoire due à des personnes plus méritantes que ce fonctionnaire opportuniste » a déclaré Lord Maginnis qui a levé l’oriflamme de la résistance monarchiste face à ce qu’il dénonce être un « attentat indépendantiste ».

Entre–temps, Lee Hegarty a été promu secrétaire et comptable de la commission de régulation des défilés (orangistes). Une provocation de plus que ne supporte pas le DUP et qui a contesté formellement l’avantage qui avait été octroyé à ce « rebelle »  pour prix de son silence.

«Le secrétariat d'Irlande du Nord devrait réfléchir sérieusement au fait qu'il est un bureau du gouvernement du Royaume-Uni. Il n'y a pas de honte à cela » a rappelé  sèchement le député unioniste Gavin Robinson à Julian Smith qui tente de minimiser un polémique qui ne cesse pourtant d’enfler et qui renvoie aujourd’hui l’Irlande du Nord aux heures les plus complexes de son histoire. Frederic de Natal

Ajouter un commentaire