Surnommée l’île aux épices, la Grenade a officiellement aboli le serment d’allégeance au roi Charles III. Une étape hautement symbolique qui s’inscrit dans une dynamique caribéenne visant à couper les derniers liens coloniaux avec Londres à court terme.
Vendredi 8 août 2025, alors que les nations des Caraïbes célébraient le Jour de l’Émancipation, marquant l’abolition officielle de l’esclavage dans l’Empire britannique en 1834, la Grenade a franchi un pas historique. Les représentants de l’État — du gouverneur général aux ministres en passant par les parlementaires — ne prêteront désormais plus serment au roi Charles III ni à ses successeurs. Désormais, l’allégeance sera faite « au peuple de la Grenade ».
La Grenade sur le chemin de la République
Le texte, baptisé projet de loi n° 1 de 2025 sur la modification de la Constitution (serment d’allégeance), efface toute référence à « Notre Souverain Seigneur le Roi » des lois écrites, pour la remplacer par « le peuple de la Grenade ». Pour le sénateur à l’origine de la proposition, il s’agit de « mettre fin à un héritage de subordination impériale » et d’« affirmer pleinement notre souveraineté ».
Le Premier ministre Dickon Mitchell, arrivé au pouvoir en 2022, ne cache pas son ambition : faire de la Grenade une république. Si, à la mort de la reine Élisabeth II, il avait salué « le leadership constant » de l’ancienne souveraine, son ton avait changé quelques mois plus tard. « Si le public est convaincu, alors nous avancerons », avait-il déclaré en 2023, tout en reconnaissant des divisions au sein de la population. Le dernier sondage sur l'avenir institutionnel de la Grenade montre pourtant un attachement à la monarchie avec 56 % des Grenadiens favorables à son maintien contre 42 % qui soutiennent une république. Pour Gus John, universitaire grenadien installé au Royaume-Uni et militant contre les inégalités raciales, l’enjeu dépasse cependant la simple symbolique : « Nous avons nos drapeaux, notre hymne. Mais sommes-nous vraiment économiquement indépendants ? Nous devons revenir à nos racines et comprendre l’importance de nos ancêtres. ».
Une monarchie critiquée pour son colonialisme persistant
La décision grenadienne s’inscrit dans un mouvement caribéen plus large. Depuis la disparition d’Élisabeth II, la question de la destitution du monarque britannique comme chef d’État est revenue avec insistance dans plusieurs chancelleries régionales.
La Barbade a ouvert la voie en 2021 en se proclamant république. La Jamaïque a suivi en lançant un projet de loi visant à remplacer le gouverneur général par un président élu localement. Son Premier ministre, Andrew Holness, avait même confié au prince William en 2022 que le pays souhaitait être « indépendant ». Aux Bahamas, à Saint-Kitts-et-Nevis, à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et à Antigua-et-Barbuda, les débats sont similaires : comment rompre avec l’héritage colonial, obtenir des réparations pour l’esclavage, et affirmer une souveraineté pleine et entière ?
Graham Smith, directeur du mouvement britannique Republic, en est convaincu : « Les pays des Caraïbes se débarrasseront de la monarchie. La question n’est pas de savoir si, mais quand. ». Ces velléités républicaines ne sont pas sans conséquences pour Buckingham. La tournée caribéenne du prince William et de Kate Middleton en 2022 avait été entachée de polémiques, accusée de relents coloniaux. Celle du prince Edward et de Sophie à Grenade avait même été annulée in extremis. Le roi lui-même semble avoir acté ce qui est inéluctable.
L'esclavage au coeur des demandes des Caraïbes
Le roi Charles III règne encore sur 14 royaumes du Commonwealth — dont l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et plusieurs nations du Pacifique — mais son influence dans les Caraïbes semble désormais s’effriter à vive allure. Certains pays estiment que la Couronne doit payer le prix de l'esclavage. Ainsi, la Grenade s'est engagée à intensifier ses efforts pour obtenir des excuses et des réparations de la part du roi Charles, après que de nouvelles recherches ont révélé que George IV a personnellement profité de l'esclavage sur cette île caribéenne.
Arley Gill, président de la Commission des réparations de la Grenade, a déclaré : « Nous avons toujours su que la famille royale avait directement profité de la traite négrière transatlantique et de l'esclavage, mais maintenant que nous savons qu'elle a directement profité de l'État de la Grenade, nous renouvelons notre appel, avec encore plus de force, à ce que la famille royale présente des excuses et verse des réparations. ». Le roi Charles III a exprimé sa tristesse face à l'esclavage dans un discours prononcé devant les dirigeants du Commonwealth en 2022. L'année dernière, alors que des discussions sur les réparations étaient en cours lors du sommet des dirigeants du Commonwealth, le monarque a reconnu les « aspects douloureux » du passé britannique, sans toutefois aborder directement la question épineuse des réparations.
Si la tendance se confirme, le souverain britannique pourrait bien terminer son règne en ne portant plus la couronne que sur le Royaume-Uni.