Charles III au Canada : la Couronne en rempart de la souveraineté
Charles III au Canada : la Couronne en rempart de la souveraineté
Dans un contexte géopolitique tendu, la visite éclair du roi Charles III au Canada prend des allures de geste politique fort. Plus qu’un simple devoir monarchique, ce déplacement symbolise le soutien indéfectible de la Couronne à la souveraineté canadienne, à un moment où celle-ci est remise en question par des menaces venues d’outre-frontière.
Lundi 26 mai 2025, c’est sous les ors discrets du soft power à la britannique, que le roi Charles III et la reine Camilla sont attendus sur le sol canadien pour une visite officielle de 48 heures. À 76 ans, encore fragilisé par sa maladie mais déterminé, le souverain britannique foulera une terre qu’il connaît bien — pour la 20ᵉ fois — mais qu’il va redécouvrir en tant que roi du Canada. Une nuance qui, en cette année 2025 traversée de secousses géopolitiques, prend tout son sens.
Un chef d’État attendu, dans une démocratie ébranlée
Un programme chargé attend le couple royal. C’est en tant que chef d’État du Canada que Charles III prendra la parole au Sénat pour prononcer un discours du Trône ouvrant la 45ᵉ législature. Une tradition monarchique que sa mère, la reine Élisabeth II, avait elle-même honorée à deux reprises, en 1957 et 1977. Mais cette fois, le contexte est tout autre. Le président américain Donald Trump, dans un de ses nombreux élans provocateurs dont il a le secret, a suggéré l’annexion du Canada en tant que 51ᵉ État des États-Unis, suscitant une indignation transpartisane dans le pays de l'érable. Selon une étude d'opinion, ils sont 54% à rejeter cette adhésion contre 21% qui se prononcent en faveur de Donald Trump, 31% ne sachant pas répondre.
Le Premier ministre Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, a d’ailleurs réaffirmé fermement que son pays « n’était pas à vendre » et que « le Canada avait un défenseur indéfectible en la personne de son souverain ». C’est donc un roi porteur de message, incarnation de la continuité constitutionnelle, qui se tiendra à la tribune parlementaire. Un test historique, soulignent les observateurs, pour une monarchie confrontée à l’épreuve de la distance, de la modernité… et de la légitimité.
La monarchie et le Canada : un lien plus politique qu’affectif
Peu de nations du Commonwealth vivent une relation aussi ambivalente avec la Couronne que le Canada. Monarchie constitutionnelle depuis 1867, le pays n’a jamais rompu avec la figure royale, même après l'adoption de sa nouvelle Constitution en 1982. Pourtant, la monarchie demeure pour une majorité de Canadiens une institution périphérique, souvent perçue comme lointaine et anachronique.
C’est paradoxalement dans un moment de crise nationale que cette institution révèle, selon certains, toute sa pertinence. Pour Carolyn Harris, la présence de Charles III agit comme un « geste de soutien» et une réaffirmation symbolique de l’identité canadienne. Un roi « au-dessus des partis » qui incarne cette permanence de l’État et qui transcende les conjonctures électorales, assure cette historienne. Dans un sondage en ligne mené auprès d'un échantillon national représentatif publié en mars 2025, 3 Canadiens sur cinq préféreraient que le Canada demeure une monarchie, soit une hausse de huit points depuis un sondage similaire mené par Research Co. Un an auparavant. Bien que le roi Charles III ne soit pas très populaire, (les Canadiens lui préférant de loin le prince William de Galles, son fils), plus de la moitié des habitants du Canada (53 %, +1) croient que le pays restera « certainement » ou « probablement » une monarchie dans deux décennies, tandis qu'un peu moins d'un tiers (32 %, -1) pensent que le pays aura « certainement » ou « probablement » un chef d'État élu. Une idée républicaine qui progresse que peu. Le soutien public au maintien de la monarchie au Canada est d’ailleurs plus élevé chez les Canadiens de 55 ans et plus (36 %) que chez leurs homologues de 18 à 34 ans (31 %) et de 35 à 54 ans (25 %).
Le Québec, entre mémoire et distance
Au Québec, province francophone aux velléités indépendantistes anciennes, le rapport à la monarchie britannique demeure teinté d’une réserve prudente, voire d’une franche hostilité. Le Bloc québécois, parti souverainiste, a d’ailleurs profité de la visite royale pour renouveler sa demande de supprimer le serment d’allégeance au roi pour les élus fédéraux. Un acte perçu comme une survivance coloniale par de nombreux Québécois. Un récent sondage, commandé par TVA Nouvelles, indique que 52 % de la population francophone serait favorable à une république, contre seulement 21 % qui souhaitent maintenir le lien avec la Couronne.
Pour autant, l’histoire commune est là : le roi Charles, dans son discours, devrait éviter toute allusion directe au débat constitutionnel, mais pourrait évoquer l’unité et la diversité canadienne d’un ton rassembleur. Selon Daniel Béland, politologue à l’Université McGill, « il s’agira d’un moment d’équilibre, d’apparente neutralité, mais hautement symbolique.».
Pour autant, l'idée d'indépendance de la Belle Province ne fait plus recette. 59% des Québécois ne souhaitent pas se séparer du reste du Canada selon un sondage daté du 10 mai 2025 contre 32% qui entendent poursuivre ce combat désormais rejeté par la jeunesse francophone (65% pour les 18-34 ans). Un épouvantail agité par les différents partis québéois pour obtenir plus d'autonomie de la part du gouvernement fédéral.
Un ballet de diplomatie douce
Le programme royal, quoique bref, est calibré avec minutie : entre une gerbe déposée au mémorial de la Seconde Guerre mondiale, un survol militaire de l’Aviation royale canadienne, une partie de hockey de rue, et une traversée des rues d’Ottawa, dans l’historique landau d’État de 1902, tout a été conçu pour conjuguer enracinement populaire et majesté monarchique.
La reine Camilla prêtera également serment en tant que membre du Conseil privé du roi pour le Canada, marquant ainsi la volonté d’inscrire le couple royal dans la trame institutionnelle canadienne. À Ottawa comme à Londres, on espère que cette visite dissipera les critiques sur l’absence d’implication du roi depuis son couronnement et donnera un second souffle à la monarchie dans un Commonwealth en mutation.
La visite canadienne précède de peu une potentielle visite du roi aux États-Unis. Initialement, Charles III devait accueillir Donald Trump à Londres, mais la diplomatie a été réajustée en raison des tensions transatlantiques. Le message envoyé est clair : la souveraineté canadienne ne saurait être remise en question, fût-ce par des alliés.
Le haut-commissaire canadien au Royaume-Uni a déjà évoqué ce déplacement royal comme d’un moment « de soft power à l’état pur ». Pour la journaliste Patricia Treble, spécialiste des affaires royales : « Chaque mot du roi sera scruté. Tout, de sa cravate à ses chaussures, devra exprimer la défense du Canada. ».
Une monarchie pour une ère nouvelle ?
Si la monarchie veut perdurer au Canada, elle doit se réinventer. La visite de Charles III marque peut-être le début de cette métamorphose : moins cérémonielle, plus politique. À travers cette visite, le roi ne se contente plus d’incarner, il agit — prudemment, certes — mais avec poids. Il reste à savoir si ce souffle retrouvé saura convaincre une population de plus en plus détachée du lien monarchique, notamment les jeunes et les francophones. Le faste ne suffira pas ; seule une démonstration tangible d’utilité politique pourra raviver le flambeau.
En somme, Charles III ne vient pas seulement saluer un dominion du Commonwealth. Il vient rappeler que la monarchie, même transatlantique, peut encore être un pilier discret mais solide d’une nation moderne et souveraine.