«Joyeuse fête nationale à la Maison de Sa Majesté, la curatrice de la Couronne». Pour la fête nationale de Roumanie, le premier ministre Ludovic Orban a témoigné une nouvelle fois son attachement à la maison royale dont l’histoire se confond avec celle du pays. Monarchiste convaincu, Ludovic Orban pourrait être bien tenté d’ouvrir (enfin) la voie à un référendum sur la question monarchique.
Le 10 mai est une date importante dans l’histoire de la monarchie roumaine. En 1866, le prince Charles (Carol) de Hohenzollern-Sigmaringen, le nom de la maison royale jusqu’en 2007, est appelé à diriger les principautés de Moldavie et de Valachie réunies sous son sceau. Onze ans plus tard, jour pour jour, Carol proclame officiellement l’indépendance de la Roumanie. Et pour marquer cet anniversaire, il est couronné souverain d’un pays à cette même date en 1881. En raison de la crise sanitaire du covid-19 qui secoue la Roumanie, cette année aucune commémoration officielle ou même garden-party au Palais Elizabeth n’ont pu être organisées. Seul le représentant de la princesse Margareta a pu déposer sous la statue équestre du fondateur de la Roumanie moderne, un dépôt de gerbe orné du monogramme royal.
Le retour du 10 mai comme fête nationale, la Roumanie le doit à un autre monarchiste, C?lin Popescu-T?riceanu, ancien président du Sénat entre 2014 et 2019. Il appartient au même parti que l’actuel Premier ministre Ludovic Orban, le Parti national Libéral (PNL) qui compte dans ses rangs de nombreux partisans au retour de la monarchie. En fonction depuis le 4 novembre 2019, Ludovic Orban n’a cessé de multiplier les gestes en faveur de la maison royale depuis son investiture. Peu de temps après sa nomination, il se rend au Palais Elizabeth et confirme publiquement que la princesse héritière au trône et fille du charismatique roi Michel Ier, une icône nationale, se verra désormais confier des missions diplomatiques de représentation. Il est vrai que la maison royale de Roumanie jouit d’un statut officiel inédit dans cette partie des Balkans, presque un état dans l’état et qui est régulièrement invitée à s’exprimer au Parlement dans un hémicycle toujours comble. S’affichant régulièrement avec la princesse Margareta, la proximité de Ludovic Orban avec la famille royale fait toutefois débat au sein de l’opposition. Dernier cadeau fait par l’actuel gouvernement à la curatrice du trône, la gratuité du Palais Elizabeth que Margareta louait jusqu’ici à la République. Un palais, objet d'une crise qui a fait chuter le gouvernement social-démocrate en 2018 et une dynastie pro-européenne qui n'a pas hésité à critiquer la Russie, provoquant un conflit diplomatique avec Moscou. C'est d'ailleurs vent debout que la République de Roumanie s'est portée au secours de son héritière. C’est dire l'influence de la maison royale de Roumanie dans les affaires de l'état.
Renversée illégalement par les communistes en décembre 1947, la question monarchique agite la Roumanie depuis la double chute du mur de Berlin et du régime dictatorial des Ceaucescu. Maintes fois promis et soumis au bon vouloir du parlement, le référendum sur la question se fait attendre, crispe et fait débat. Le communiqué du Premier ministre a surpris les roumains et a été repris par tous les médias locaux qui en ont fait leur principale manchette. «L'indépendance nationale et l'institution de la monarchie se sont installées dans notre conscience collective comme des étapes décisives pour la consolidation d’un état roumain moderne, prospère et respecté en Europe depuis le début du siècle dernier » a déclaré Ludovic Orban. « La famille royale de Roumanie a toujours été proche des Roumains. Ses membres se sont battus, depuis leur triste exil, contre cette dictature qui a mis à genoux le pays. Pendant la période post-décembriste, ils ont été de véritables ambassadeurs des intérêts de la Roumanie. La détermination, la dignité et l'honneur dont ils ont fait preuve dans leurs actions sont des moments forts, moraux que notre société doit valoriser et demeurer des exemples sur lesquels doivent s’appuyer les générations actuelles et futures » a ajouté le chef du gouvernement.
Même le Vicaire-évêque patriarcal orthodoxe de Roumanie y a été de son laïus lors d’une cérémonie religieuse. « Nous prions toujours pour le repos des âmes des rois de Roumanie ... Le roi Carol 1, la reine Elisabeth, le roi Ferdinand, la reine Marie, le roi Carol II, la reine Hélène, le roi Michel et la reine Anne (…) » a déclaré le Père Varlaam Ploie?teanul et sous la bénédiction de sa Béatitude le Patriarche Daniel. Avant de rappeler que ces monarques avaient «tout donné au pays et n’avait rien gardé pour eux », vague allusion à la corruption endémique au sein de la classe politique roumaine.
Selon un sondage daté de décembre 2019, seuls 37% des roumains souhaiteraient le retour de la monarchie en Roumanie. Des chiffres qui cependant fluctuent au gré des enquêtes d’opinion. Car si elle draine des milliers de roumains derrière elle, l’idée monarchique souffre de ses divisions internes [Le PNTCD qui été au pouvoir au sein d’une coalition entre 1996 et 2000 n’est plus que l’ombre de lui-même. L’Alliance nationale pour la restauration de la monarchie (ANRM) a connu deux scissions depuis sa fondation en 2013] y compris au sein même de la maison royale qui n’a toujours pas réglé son délicat problème de succession à venir.
En dépit de l’enthousiasme monarchique du Premier ministre Orban qui a conclu son communiqué en souhaitant une «joyeuse fête nationale à la Maison de Sa Majesté, la curatrice de la Couronne», la question du retour de la monarchie reste toujours lié au bon vouloir d’une classe politique qui a plus intérêt à maintenir le statu quo avec la maison royale en la courtisant régulièrement que de la voir ceindre une couronne. Reste à savoir si Ludovic Orban va prendre le risque de soumettre au vote parlementaire la mise en place d’un référendum sans prendre le risque de devoir affronter une nouvelle motion de censure.
«Espoir et confiance » a déclaré dans un message commun à la Roumanie et la Moldavie, la princesse Margareta. Deux mots qui, bien qu’ils soient relatifs à la crise du covid-19, sonnent aussi étrangement comme une réponse au Premier ministre Ludovic Orban qui pourrait réaliser le rêve d’une partie de ses compatriotes : Couronner la République de Roumanie.
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