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Le roi Michel Ier et le président Ion Iliescu, les dessous d'une révolution

La révolution roumaine de 1989 ne mit pas seulement fin à la dictature de Nicolae Ceaușescu. Elle ouvrit aussi une période de tensions politiques où deux figures s’opposèrent durablement : le roi Michel Ier, symbole de la légitimité historique et de l’exil, et Ion Iliescu, héritier du système communiste devenu président. Entre méfiance, hostilité ouverte et gestes de réconciliation tardifs, leur relation houleuse incarne les contradictions de la transition roumaine.

La chute du Mur de Berlin signe la fin de la mainmise communiste sur l’Europe de l’Est. La Roumanie est le premier pays à subir les conséquences de cet événement qui va bouleverser tout un continent et rebattre les cartes géopolitiques.

La chute du « génie des Carpathes »

Depuis 1965, Nicolae Ceaușescu a imposé un régime autoritaire, marqué par un culte de la personnalité extrême, une police politique omniprésente (la Securitate) et une économie asphyxiée par le remboursement de la dette extérieure. La population souffre de pénuries alimentaires, de coupures d’électricité et de restrictions de libertés. Même au sein du Parti communiste roumain (PCR), nul n’est à l’abri des coups de sang de celui qui se fait pompeusement nommer « le génie des Carpathes ».

Débutée à Timișoara le 16 décembre 1989, la protestation contre le régime va bientôt s’étendre à la capitale, Bucarest. Cinq jours plus tard, Ceaușescu tente d’haranguer la foule qui ne cesse de manifester sur la place du Palais. Pour la première fois, les Roumains osent le huer publiquement. Dès le lendemain, la capitale s’embrase : manifestations, affrontements avec les forces de sécurité, puis fraternisation d’une partie de l’armée avec les insurgés contraignent le dirigeant et son épouse à fuir en hélicoptère le 22 décembre. Ils seront très rapidement arrêtés, jugés sommairement par un tribunal militaire et exécutés le jour de Noël.

Le régime communiste disparu, le Front de salut national (FSN), dirigé notamment par Ion Iliescu, prend les rênes d’un gouvernement composé des anciens caciques du PCR, lesquels ont aussi agi de l’intérieur pour renverser Ceaușescu, craignant une nouvelle purge des cadres du parti. Si les médias internationaux saluent cette révolution qui fait les principales manchettes de tous les magazines et télévisions, un autre homme fait aussi l’objet de toutes les attentions : le roi Michel Ier, dernier monarque de Roumanie, forcé à l’exil en 1947 après un coup d’État organisé par les pro-soviétiques.

Le roi Michel Ier, ennemi public numéro 1 pour les post-communistes

L’ancien monarque est alors âgé de 68 ans et vit en Suisse. Il suit le déroulé des événements et fait part de ses inquiétudes, évoque des manipulations. « Nos sentiments étaient mitigés. Après la surprise, la peur face à la violence des affrontements et aux images diffusées à la télévision. [...] Cette évolution nous inquiétait. Autant nous avons soutenu et partagé, au début, ce formidable élan d'espoir qu'était la révolution roumaine, autant nous avons douté par la suite de sa spontanéité. Pour être honnête, je n'y crois plus du tout. Mais même si le déclencheur était artificiel, le soulèvement populaire contre le communisme était bien réel. [...] Aujourd'hui, je considère comme tout à fait possible, comme certains le prétendent, que les structures du KGB aient, de loin, guidé ces renversements. Cependant, il reste à découvrir quel était l'objectif exact poursuivi par Moscou. Je ne vois qu'une seule explication plausible. Les Russes sentaient que l'édifice Ceaușescu commençait à se fissurer. L'esprit latin des Roumains risquait de s'embraser et de jeter le communisme par-dessus bord. Afin d'éviter un renversement aussi radical et dans l'espoir de “sauver le système”, les Russes décidèrent de saborder Ceaușescu. »,  expliquera-t-il lors d’une interview donnée au journaliste français Philippe Viguié-Desplaces.

Pour autant, les monarchistes se sont réorganisés et font entendre leur voix. Le roi Michel Ier décide finalement de revenir en Roumanie et annonce souhaiter célébrer Pâques avec ses compatriotes. À peine débarqué en avril 1990 qu’il est renvoyé en Suisse. Le 25 décembre 1990, accompagné de plusieurs membres de la famille royale, il débarque à nouveau à l'aéroport d'Otopeni et entre dans le pays avec un passeport diplomatique danois, avec un visa de 24 heures dans le but de se rendre au monastère de Curtea de Argeș et se recueillir sur les tombes de ses ancêtres. Sur le chemin de Curtea de Argeș, le roi et ses compagnons sont arrêtés par une barricade de police, ramenés à l'aéroport sous un fallacieux prétexte et contraints de quitter le pays. Pour beaucoup de Roumains, la décision vient directement d’Ion Iliescu qui n’a pas apprécié de voir son rival se faire acclamer une fois le pied posé sur le sol de son pays. Entre les deux hommes, une animosité tenace va perdurer encore longtemps. « C’est un vieil homme qui devrait se retirer et nous laisser tranquilles », lâche d’ailleurs le nouveau dirigeant, très rapidement contesté par la rue à la suite d’une série de mesures impopulaires et le peu de démocratie qui s'installe dans le pays en dépit d'élections libres.

Une révolution confisquée par les post-communistes

En avril 1992, Ion Iliescu n’a plus le choix. Il doit laisser le roi Michel Ier revenir. Un demi-million de Roumains se rassemblent pour acclamer la famille royale. Pour la vieille génération, le roi Michel reste le symbole de la résistance à toutes les dictatures. En 1944, il a lui-même préparé un complot pour renverser le maréchal Antonescu, alors homme fort de la monarchie. Mais l'enthousiasme de la population suscite l'inquiétude des autorités, qui interdirent ensuite au monarque et à sa famille l'entrée en Roumanie pendant cinq ans. En 1994, après une nouvelle tentative de retour, le PDSR demanda au ministère des Affaires étrangères de le déclarer persona non grata. Le roi ne fut pas autorisé à descendre de l'avion, les autorités prétextant que les visas ne sont pas accordés à la frontière. Bien qu'il ait réussi à descendre de l'avion, il fut contraint de rebrousser chemin. Les images de ces deux épisodes n'ont été diffusées par  la châine de télvision TVR qu'en 2013, jetant un nouveau regard sur les dessous d'une révolution populaire confisquée par ses élites communistes et militaires.

Ion Iliescu justifie alors sa décision en affirmant que l'arrivée du roi Michel est un « acte de déstabilisation », mené sans le consentement des autorités et dans un contexte de tensions sociales et politiques. « Le roi est arrivé sans programme précis, sans le minimum d'informations de la part des autorités, nous plaçant devant le fait accompli », a déclaré Iliescu. En réponse, le roi Michel a condamné sévèrement ce geste, le qualifiant de preuve de la « mentalité communiste » du nouveau gouvernement. « Je ne suis pas autorisé à venir dans mon pays en tant que simple citoyen, après 43 ans d'exil. C'est un acte d'une lâcheté sans bornes », regrette le roi Michel lors d'une interview accordée à la presse internationale.

Une repentance tardive qui ne trompe personne

Des années plus tard, toujours pointé du doigt pour avoir empêché le roi Michel de revenir dans son pays, revenu aux affaires pour un second mandat (2000-2004), Ion Iliescu se réfugie derrière le problème de citoyenneté du souverain. Privé de sa nationalité à la chute de la monarchie, le roi Michel ne récupérera sa citoyenneté qu’en 1996 grâce à un gouvernement qui inclut des partisans de la royauté. « Il existe un cadre normal pour les relations avec les citoyens étrangers ou ceux qui souhaitent obtenir la citoyenneté. Ils doivent donc déposer une demande de visa et rédiger la motivation correspondante. Ils ne l'ont pas fait. Et il ne s'agit pas de se référer à des déclarations d'il y a un an ou deux, mais d'indiquer expressément aujourd'hui dans quel contexte ils demandent un visa, et de laisser le gouvernement en juger », déclarera un brin méprisant Ion Iliescu.

Dans une lettre publique adressée par Ion Iliescu au roi Michel en 2011, l'année de ses 90 ans, l'ancien président prend un ton complètement différent à l’égard du monarque : « Votre Majesté, permettez-moi de vous transmettre mes salutations les plus chaleureuses. Votre nom est particulièrement lié à un moment décisif de l'histoire contemporaine de la Roumanie : l’acte du 23 août 1944. Et vos mérites, en tant que chef d’État, pour avoir accompli cet acte sont indéniables. ». Pleinement réhabilité, sa maison redevenue le centre des intérêts du pays, Michel Ier n’est pas dupe alors qu’il doit prononcer un discours historique au Parlement. Ion Iliescu, présent également à la cérémonie, s'approche de l'ancien souverain, la main tendue, mais le roi ne lui rend pas son salut, et Iliescu est contraint de retirer sa main, embarrassé, sous l’œil des caméras qui ne ratent pas une miette de la scène. Le temps assagit les rancunes. Au décès du roi Michel Ier en 2016, l’ancien président écrit sur son site personnel : « J'ai appris avec tristesse la nouvelle du décès de l’ancien souverain de Roumanie, Michel Ier. Sa vie, au cours d'un siècle mouvementé, n'a été ni simple ni facile. Il a accompli son devoir avec honneur, il a pris des décisions décisives pour l'avenir du pays. Il a fait preuve d'un patriotisme exemplaire durant les années difficiles de son exil. ».

Pour autant, du côté monarchiste, rien n’a été oublié et il est accusé de faire preuve d’hypocrisie. « Je me souviens des discussions que nous avons eues au fil du temps, après 1989, tant à Versoix qu'à Bucarest. Notre relation n'était pas simple, dans la période mouvementée du début de la transition. La raison et le sens de l'intérêt général, quelle que soit notre position, étaient plus forts, et ensemble, nous avons réussi à envoyer un message fort à nos partenaires, celui d'assumer les valeurs de la communauté européenne », plaide l’ancien Président face à ses contradicteurs.

Ion Iliescu est décédé le 5 août 2025, à 95 ans. Peu de temps avant sa mort, il était l’objet d’une enquête judiciaire pour crimes contre l’humanité, accusé d’avoir participé aux exactions du régime communiste et à la répression contre les mineurs lorsqu’il était au pouvoir au cours de son premier mandat. Il n’a jamais été jugé.

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Date de dernière mise à jour : 18/08/2025