La foi, la couronne et la nation : la Roumanie célèbre son unité
La foi, la couronne et la nation : la Roumanie célèbre son unité
Moment historique à Bucarest : la Cathédrale nationale du Salut de la Nation a été consacrée en présence du patriarche œcuménique, des autorités roumaines et de la famille royale, scellant l’union séculaire entre la Couronne et l’Église orthodoxe.
Drapés de drapeaux roumains, des pèlerins venus des quatre coins du pays ont participé à la consécration solennelle du tableau de la cathédrale, cérémonie présidée par le patriarche œcuménique Bartholomée Ier et le patriarche Daniel de l’Église orthodoxe roumaine, entourés d’un impressionnant collège de 65 hiérarques, 70 prêtres et 12 diacres. Dans l’assistance, les plus hautes autorités du pays – le président Nicușor Dan, le Premier ministre Ilie Bolojan, la présidente moldave Maia Sandu, mais aussi les anciens chefs d’État Traian Băsescu et Emil Constantinescu – ont côtoyé la famille royale de Roumanie, incarnation vivante de la mémoire nationale.
Une idée née sous le sceptre de Carol Ier
La cathédrale, achevée après quinze années de travaux et un coût estimé à 270 millions d’euros, est bien plus qu’un monument : elle est l’accomplissement d’un rêve vieux de près de 150 ans. L’idée d’une « cathédrale nationale » fut en effet formulée dès 1884, sous le règne du roi Carol Ier qui promulgua une loi ordonnant sa construction. À l’époque, il s’agissait déjà de doter la jeune Roumanie moderne d’un symbole spirituel et national à la hauteur de son unité retrouvée.
Mais les guerres, la crise économique de 1929 et surtout la dictature communiste ont longtemps étouffé ce projet. Ce n’est qu’après la révolution de 1989, dans l’élan de liberté retrouvée, que le patriarche Teoctist relança l’idée, la liant à la mémoire des églises détruites sous le régime de Nicolae Ceaușescu. En 2007, le patriarche Daniel bénit le terrain sur la colline de l’Arsenal, à deux pas du gigantesque Palais du Parlement, symbole du passé totalitaire renversé peu de temps après la chute du Mur de Berlin (1989).
Dédiée à la fois à l’Ascension du Seigneur et à saint André le Premier-Appelé, protecteur de la Roumanie, la Cathédrale du Salut de la Nation se veut un sanctuaire pour les héros et les martyrs de l’histoire nationale. Haute de 127 mètres, elle est aujourd’hui la plus grande église orthodoxe du monde.Son esplanade, d’une superficie de 11 600 m², peut accueillir plus de 23 000 fidèles, tandis que son vaste espace souterrain, la « Grotte de la Ville de Saint-André », offre un lieu d’activités culturelles et sociales. Les 27 portes de bronze de l’édifice, ornées d’icônes du Christ, de la Vierge et des saints roumains, rappellent la richesse de la tradition iconographique orthodoxe.
L’un des moments marquants de son histoire récente demeure la visite du pape François en mai 2019, geste d’unité œcuménique rare, marquant la volonté de la Roumanie d’être un pont entre Orient et Occident.
La famille royale, gardienne de la mémoire spirituelle
À la cérémonie de consécration du 26 octobre dernier, Sa Majesté Margareta, Gardienne de la Couronne, 76 ans, et le prince Radu de Roumanie, 65 ans, ont une fois encore réaffirmé le rôle historique de la monarchie dans la construction morale du pays. Dans son message, la reine Margareta a rendu hommage à l’œuvre de ses prédécesseurs : « J’admire profondément le fait que, malgré les difficultés, mes ancêtres Carol Ier et Ferdinand Ier aient trouvé la force et la clairvoyance de penser, pendant des années, à la construction d’une cathédrale nationale à Bucarest. ».
La Gardienne de la Couronne a également souligné le triple anniversaire célébré cette année : « Nous célébrons le 140e anniversaire de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe roumaine, sous le règne du roi Carol Ier et du métropolite Calinic, ainsi que le centenaire de l’élévation de l’Église au rang de patriarcat, sous le roi Ferdinand Ier et le patriarche Miron. ».
Depuis la fondation du royaume en 1881, l’Église orthodoxe roumaine et la Maison royale partagent un destin étroitement lié. Carol Ier, premier souverain moderne, voyait dans la foi orthodoxe un ciment national capable d’unir les provinces roumaines. Son successeur, le roi Ferdinand Ier, poursuivit cette œuvre en soutenant la reconnaissance du patriarcat en 1925, symbole d’une Église indépendante et pleinement nationale.
Sous la monarchie, les grandes fêtes orthodoxes étaient célébrées avec faste à la cour de Bucarest, et les patriarches figuraient parmi les conseillers spirituels du roi. Aujourd’hui encore, cette symbiose se perpétue. Comme l’a affirmé la reine Margareta : « Le lien entre la Couronne et l’Église est plus solide que jamais. Je suis également pleine d’espoir pour l’avenir, dans lequel la société roumaine trouvera le juste équilibre entre modernité et foi, entre prospérité, liberté et préservation de l’identité nationale. ».
Une cathédrale pour le XXIe siècle
À travers la consécration de la Cathédrale nationale, la Roumanie a voulu réconcilier son passé monarchique, sa foi orthodoxe et son identité moderne. Dans un pays où la religion reste un pilier social majeur, ce sanctuaire monumental n’est pas seulement un lieu de culte, mais un manifeste de continuité historique.Sous les mosaïques dorées et les coupoles étincelantes, c’est toute l’âme roumaine qui s’exprime – celle d’un peuple attaché à sa spiritualité, à sa monarchie et à sa mémoire.
Et lorsque la Gardienne de la Couronne déclare : « La consécration du tableau et l’ouverture de la cathédrale nationale au service liturgique témoignent du triomphe des valeurs nationales », elle résume en une phrase la portée profonde de cet événement : la Roumanie, entre foi et souveraineté, vient de consacrer son cœur.