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Monténégro : la monarchie, entre nostalgie et déni politique

Symbole de la souveraineté et de la continuité historique du Monténégro, la dynastie Petrovitch-Njegosh a incarné pendant plus de deux siècles l’indépendance nationale face aux empires voisins. Déchue en 1918 par une annexion contestée, elle demeure, à travers le prince Nikola II, le témoignage vivant d’un État qui ne s’est jamais entièrement résigné à la disparition de sa monarchie.

Malgré le retour au multipartisme et la réhabilitation symbolique de la dynastie Petrovitch-Njegosh, l’idée monarchique reste marginalisée au Monténégro. Si la mémoire du trône persiste dans la culture et dans les cœurs, elle ne semble pas encore pouvoir se traduire politiquement.

Une idée monarchique étouffée

Dans un Monténégro où le système républicain est profondément ancré, la monarchie apparaît aux yeux de beaucoup comme un vestige du passé. L’historien Petar Lekić rappelle que les idées républicaines étaient déjà fortes au début du XXe siècle « Lorsque l'on remonte dans le temps et que l'on étudie l'organisation d'élections permettant de déterminer si une personne était favorable à une république ou à une monarchie, on retrouve les élections de 1920 au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, où au moins six députés sur dix du Monténégro étaient favorables à un régime républicain. ». Le 28 novembre 1918, le royaume du Monténégro, proclamé huit ans auparavant, dans la suite de la principauté existante, a été abolie dans des circonstances controversées. 

Dans la réalité, quatre d’entre eux étaient issus du Parti communiste de Yougoslavie et deux du Parti républicain démocrate. En exil, le roi Nicolas Ier n'avait même pas pu revenir dans son pays annéxé pour défendre ses droits. Les partisans du roi (Verts) n'arrivèrent pas à s'imposer aux élections signant la fin d'une dynastie de princes- évêques. Aujourd’hui encore, la société monténégrine semble rester rétive à l’idée d’un retour à la monarchie. Ivan Mijanović, journaliste et membre de l’association non gouvernementale « Antifascistes de Cetinje », estime qu’il n’existe « aucune base pour la restauration de la monarchie au Monténégro ». « Il n'y a jamais eu de tentative de création d'un parti ou d'un mouvement monarchiste. L'idée politique monarchiste est quasi inexistante au Monténégro. Il existe des formes de nostalgie culturelle et historique, mais pas comme base pour un mouvement politique sérieux. », assure t-il.

L’ancrage républicain, héritage du socialisme

Le poids historique du mouvement antifasciste et de la république socialiste pèse toujours sur l’imaginaire collectif. Mijanović souligne que la monarchie fut associée à un pouvoir jugé réactionnaire, qu’il s’agisse des Petrovitch-Njegosh ou des Karageorgevitch. « Dès les débuts du mouvement communiste au Monténégro, la monarchie représentait pour eux un gouvernement extrêmement réactionnaire, incarnation des inégalités de classe et de la répression politique. », affirme t-il. Petar Lekić ajoute que la mémoire républicaine s’enracine aussi dans les difficultés économiques du royaume à l’époque du roi Nicolas Ier « N'oublions pas que le pays a traversé de nombreuses crises économiques, que de nombreuses personnes ont quitté le Monténégro pour travailler à l'étranger, gagner de meilleurs salaires et trouver une vie meilleure. Le Monténégro a connu un exode migratoire, notamment à l'époque du prince Nicolas, et la situation économique n'était pas brillante. »

Les premières élections du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en 1920 virent émerger un fort courant antimonarchiste, républicain et communiste. Pour Mijanović, la république socialiste yougoslave a marqué durablement les esprits, y compris chez les jeunes générations : « Même les jeunes générations, nées après l'éclatement sanglant du pays et les guerres des années 1990, perçoivent la Yougoslavie socialiste comme une société prospère et progressiste. Elle a véritablement représenté l'apogée du développement social global. ». Pourtant, si l’idée monarchiste reste marginalisée sur le plan politique, elle n’a pas disparu de la mémoire collective. Petar Lekić note que même les autorités issues du régime communiste ont reconnu l’importance de la dynastie. « Il ne faut pas oublier qu'en 1989, les dirigeants communistes ont restitué les restes de la dynastie Petrović Njegoš à Cetinje. », qui a connun un succès inédit alors que le pays vivait une crise identitaire.  Et d’ajouter : « En 2011, le Parlement monténégrin a adopté une loi sur les droits des descendants de la dynastie Petrovitch-Njegosh sur le territoire de l'actuel Monténégro. ».Lekić estime que la vision positive que les Monténégrins ont de cette époque tient à une certaine forme d’égalitarisme historique : « Lorsque l'on évoque la dynastie Petrovitch et la monarchie, je pense que beaucoup de Monténégrins s'identifient à la société paysanne, initialement égalitaire, qui prévalait à cette époque… C'est précisément ce statut économique qui a créé au Monténégro un terreau fertile pour le renforcement des idées socialistes. ».

Il ajoute que cette égalité était même reconnue par les souverains : « Les dirigeants dynastiques reconnaissaient la société tribale et l'égalitarisme social comme fondements de leur État, et même les autorités républicaines n'étaient pas autorisées à y renoncer. ».

L'idée monarchique considérée comme source de divisions

La loi votée en 2011 prévoyait plusieurs mesures : création de la Fondation Petrović Njegoš, restitution de la maison du roi à Njeguši, et droit à un revenu équivalent au salaire présidentiel. Mais son application reste partielle. Le prince héritier Nikola Petrovitch-Njegosh s'en est félicité dans une interview accordée à Vijesti en 2022.« Je suis déjà heureux que nous ayons obtenu la loi sur le statut des héritiers de la dynastie, adoptée par le Parlement en 2011, qui réhabilite historiquement la dynastie et notre famille et nous permet d'être utiles au Monténégro grâce à la Fondation Petrovitch-Njegosh. » Installé au Monténégro après 70 ans d’exil, il se veut résolument au service du pays : « Leur seule préoccupation est de renouer avec le Monténégro et d’y être présents. », clame t-il.

Ivan Mijanović rappelle toutefois que le prince Nikola n’a jamais eu d’ambitions politiques :« Par son engagement jusqu'à présent, il a démontré qu'il est une personnalité apolitique et qu’il ne voudrait ni ne pourrait probablement être à la tête d'un tel mouvement. ». Difficile de dire le contraire, le prétendant au trône lui-même affirme ne rien revendiquer : « Lorsque vous me demandez mon avis sur le retour de la monarchie, je vous répondrai : Pour l'établissement de la monarchie au Monténégro, je tiens à vous dire que cela ne dépend pas de moi. Le nom Petrovitch-Njegosh appartient à tous les Monténégrins et fait partie de leur histoire. Il leur appartient de décider démocratiquement de la place qu'ils souhaitent lui accorder. » Il insiste également sur l’indépendance politique de sa famille :« Nous ne sommes affiliés à aucun parti politique au Monténégro et nous coopérons avec des organisations de la société civile par l'intermédiaire de la Fondation. ».

Le Monténégro ne possède actuellement aucun parti monarchiste structuré, contrairement à la Serbie, la Roumanie ou la Bulgarie, où des mouvements royalistes sont présents sur la scène publique, voir disposent d'élus. Pour Mijanović, l’idée même de restaurer la monarchie est un facteur de tension supplémentaire : « Le retour de la monarchie ne résoudrait pas les divisions monténégrines, mais la candidature d'une telle idée en créerait de nouvelles. ». Selon lui, une partie de la population préférerait les Petrovitch-Njegosh, l’autre les Karageorgevitch, aggravant ainsi les fractures existantes.

Reste à savoir si, à l’avenir, la monarchie monténégrine pourra sortir du rôle de simple mémoire pour redevenir une institution vivante, garante de l’unité nationale. Pour cela, il faudra peut-être, comme le disait le roi Nicolas Ier, s’en remettre à la seule voix légitime : « La véritable volonté du peuple était et sera notre loi. ».

Une dynastie enracinée dans la montagne et le sang des tribus, l’effacement historique et l’exil

L’histoire de la famille Petrovitch-Njegosh est inséparable de celle du Monténégro. C’est à la fin du XVIIe siècle que Danilo Ier, prince-évêque de la métropole orthodoxe monténégrine, établit la dynastie dans les montagnes de Cetinje. Alliant autorité spirituelle et pouvoir temporel, les Petrovitch ont su préserver l’indépendance de leur territoire face à l’Empire ottoman, à l’époque où les autres nations balkaniques étaient soumises.

En 1852, Danilo II abandonne la fonction ecclésiastique pour se faire proclamer « prince séculier » du Monténégro. Cette transformation marque le tournant vers une monarchie héréditaire moderne. En 1910, Nicolas Ier, le plus célèbre des souverains de la dynastie, se fait couronner roi, érigeant le Monténégro en royaume indépendant, reconnu par les puissances européennes. Sous son règne, le pays modernise ses institutions, développe une armée régulière et participe aux guerres balkaniques contre l’Empire ottoman. Mais la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, bouleverse la donne  et le roi Nicolas Ier est contraint de finir sa vie à Antibes, en France.

Après 1918, la dynastie est bannie, son patrimoine confisqué, sa mémoire réduite au silence par les autorités serbes puis yougoslaves. Les descendants du roi Nicolas vivent en exil pendant plus de sept décennies, principalement en France et en Italie. Le prince héritier Danilo, puis son frère Mirko, et enfin leurs descendants, mènent une existence discrète, loin des projecteurs politiques. Si on excepte la proposition italienne de créer un royaume monténégrin, bien qu'il y'aura une tentative de rapprochement avec la république socialiste de Tito, cette dernière ne reconnaîtra ni leurs titres ni leurs droits. Pourtant, malgré l’oubli officiel, les Monténégrins n’ont jamais complètement effacé le souvenir de leurs anciens souverains. Le retour des cendres du roi Nicolas et de la reine Milena à Cetinje, en 1989, marque une première étape de reconnaissance posthume.

En 2011, le Parlement du Monténégro adopte une loi sur le statut des descendants de la dynastie Petrovitch-Njegosh. Ce texte reconnaît officiellement leur contribution historique, leur garantit certains droits symboliques (usage d’un domaine, résidence, revenu équivalent au salaire présidentiel) et permet la création de la Fondation Petrović Njegoš. Celle-ci a pour vocation de promouvoir la culture, l’éducation et la réconciliation nationale.

Cette loi n’a toutefois été que partiellement appliquée. La résidence promise n’a jamais été construite, et les financements publics restent limités. Malgré cela, la dynastie réintègre progressivement l’espace public par des engagements civiques et culturels.

Nikola II, un prince d’aujourd’hui

Le chef actuel de la Maison royale est le prince Nikola II Petrovitch-Njegosh, né en 1944 à Saint-Nicolas-de-Port, en France. Arrière-petit-fils du roi Nicolas Ier, issu d'une famille de résistants,  il est architecte de formation, marié et père de deux enfants. Installé au Monténégro depuis les années 2000, il se veut avant tout un artisan de la mémoire nationale, loin de toute revendication politique.  Dirigeant la Fondation Petrović Njegoš, il coopère avec des institutions culturelles et des ONG, sans engagement partisan. « Depuis notre retour, après 70 ans d’un exil injuste et douloureux, notre seule préoccupation est de renouer avec le Monténégro et d’y être présents », affirme-t-il.

À l’image de nombreuses familles royales d’Europe de l’Est, les Petrović symbolisent aujourd’hui une continuité historique. Contrairement à d’autres prétendants dans les Balkans, Nikola II n’a jamais milité pour un retour à la monarchie, mais n’exclut pas une éventuelle restauration, si elle venait d’une volonté populaire Alors que d’autres pays de l’ex-Yougoslavie ont vu ressurgir l’idée monarchiste dans le débat public – notamment la Serbie, la Roumanie ou la Bulgarie –, le Monténégro reste frileux à toute discussion sur le sujet. Les partisans d’une monarchie constitutionnelle peinent à émerger, dans un paysage politique dominé par les héritages républicains et socialistes.

Pour autant, la figure des Petrovitch-Njegosh, discrète mais respectée, demeure. Elle représente une mémoire historique, un vecteur de stabilité morale, et peut-être, à terme, une alternative politique de rassemblement dans un pays toujours en quête d’unité.

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Date de dernière mise à jour : 14/08/2025