En refusant de promulguer la loi autorisant l’IVG votée par le Conseil national, le prince Albert II réaffirme la singularité d’une Principauté où le catholicisme demeure le socle institutionnel. Entre fidélité à l’identité monégasque et critiques croissantes de la société civile, cette décision relance un débat essentiel : Monaco peut-il évoluer au rythme européen sans renoncer à ce qui le définit ?
En refusant de donner suite à la proposition de loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le prince Albert II, 67 ans, rappelle la singularité d’un micro-État où la religion catholique demeure le fondement constitutionnel. Une décision saluée par le diocèse, critiquée par les féministes, et qui interroge sur la capacité de la principauté monégasque à évoluer au rythme des sociétés occidentales.
Un vote historique… resté lettre morte
Le 21 mai 2025, le Conseil national de Monaco avait surpris en adoptant un texte ouvrant — timidement, mais clairement — la voie à la légalisation de l’IVG sous conditions. Dix-neuf élus s’étaient prononcés pour, seulement deux contre. Une révolution annoncée sur le Rocher, l’un des derniers États d’Europe où l’avortement demeure interdit, sauf cas extrêmement spécifiques.
Mais le 18 novembre , dans une interview accordée à Monaco Matin, le souverain monegasque a tranché : « J’ai demandé d’informer le Conseil national qu’il ne sera pas donné suite à sa proposition de loi. ». Le prince Albert II prend soin de mesurer ses mots, assure « comprendre la sensibilité du sujet », mais rappelle surtout une ligne rouge :« Le cadre actuel respecte ce que nous sommes au regard de la place qu’occupe la religion catholique dans notre pays. ». En clair : pas question d’aligner Monaco sur la France voisine ou sur les standards européens, ni de succomber à des idéologies contraire aux principes d’État.
Une décision qui s’ancre dans la Constitution
Le message est limpide : Monaco n’est pas un État laïque. Le catholicisme y est religion d’État, inscrit dans l’article 9 de la Constitution de 1962, qui fait des principes de la foi catholique « le fondement des institutions publiques et des lois ».
Rappelé à plusieurs reprises ces derniers mois par le diocèse, ce socle a servi de boussole au souverain. Dès mars, l’archevêque Mgr Dominique-Marie David dénonçait un « point de non-retour », un « changement de société », voire un « franchissement d’un cap anthropologique majeur ». Selon lui, la légalisation de l’IVG entraînerait une rupture profonde : « Cela avaliserait que la Principauté ne se reconnaîtrait plus dans les valeurs sociales du catholicisme. ».
Et de rappeler que, si la France peut invoquer la laïcité comme principe unificateur, « à Monaco, c’est la foi catholique ». Le prélat en appelait même à un « sursaut spirituel », convaincu que sans ce socle religieux, Monaco perdrait une part de son identité : « Sans le catholicisme, la Principauté ne possède plus tout son ADN. ».
Un statu quo encadré : Monaco n’interdit pas tout, mais refuse d’aller plus loin
Contrairement à une idée répandue, Monaco ne se trouve pas dans une situation de prohibition totale. Depuis 2009, l’IVG est autorisée en cas de viol, de malformation grave du fœtus, de maladie grave ou lorsque la vie de la mère est en danger.
En 2019, la dépénalisation de l’acte pour les patientes est venue compléter ces évolutions. Mais toute IVG pour convenance personnelle reste illégale. Les Monégasques désireuses d’avorter doivent se rendre en France, généralement à Nice, comme c’est le cas depuis des décennies. La proposition de loi du Conseil national prévoyait, elle, d’autoriser : l’IVG jusqu’à 12 semaines, jusqu’à 16 semaines en cas de viol, l’abaissement du consentement parental de 18 à 15 ans.
La décision du prince a immédiatement suscité la réaction des associations engagées. Citée par France 3, Juliette Rapaire, fondatrice du collectif féministe Les Nouvelles Réformatrices, souligne : « Il y a de la déception. Dans tous les cas, les femmes continueront d’avorter. ». Un constat pragmatique, presque fataliste : légal ou non, l’acte existera — mais ailleurs. Au Conseil national, la gêne est palpable. La présidente de la commission des droits de la famille indique avoir « pris note », tout en attendant de connaître « les motivations » du refus avant de se prononcer. Une manière polie de dire que la balle est désormais dans le camp du gouvernement princier.
Le ministre d’État doit en effet présenter prochainement des « mesures d’accompagnement » destinées à améliorer le soutien aux femmes engagées dans des grossesses difficiles. Une manière d’atténuer la tension sans infléchir la doctrine. Pour les observateurs, le choix d’Albert II est tout sauf improvisé. Il traduit une conviction personnelle, mais aussi un choix politique : celui de maintenir la spécificité monégasque.
À l’heure où l’Europe célèbre la libéralisation de l’avortement comme un marqueur démocratique, Monaco revendique sa singularité. Une micro-monarchie catholique, où le souverain demeure protecteur d’un ordre moral — mais où la société évolue, lentement. Le prince a préféré conforter ce modèle, quitte à s’exposer aux critiques internationales. Une posture assumée, ancrée dans la tradition monarchique de continuité.
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