Dans quelques heures, le Grand-duc Henri cédera le trône, après vingt-cinq ans de règne, à son fils aîné, le prince Guillaume. Plus qu’une simple passation, cet événement illustre la continuité d’une monarchie à la fois séculaire et adaptée aux exigences démocratiques, dont la légitimité, régulièrement questionnée, demeure largement soutenue par la population.
Ce 3 octobre 2025 va être une journée phare dans l’histoire de Luxembourg. Sur le trône depuis 2000, le Grand-Duc Henri, 70 ans cédera le trône à son fils Guillaume V, 43 ans, père de deux enfants. Un passage de témoin qui s’inscrit dans une histoire séculaire, où la monarchie, symbole d’unité nationale, conserve une place centrale malgré les interrogations que soulève son utilité dans un État profondément démocratique.
Un héritage dynastique unique en Europe
Depuis 1890, le Luxembourg est gouverné par la dynastie de Nassau-Weilbourg, une branche cadette de la maison de Nassau, d’origine germanique
Après l’armistice du 11 novembre 1918, le Luxembourg traverse une période d’incertitude politique et économique, son indépendance étant remise en question par les puissances alliées. L’union douanière avec l’Allemagne est rompue, ce qui fragilise le pays, tandis que la question de la monarchie et du maintien de la Grande-duchesse Marie-Adélaïde sur son trône vont diviser profondément la société.
Sous l’impulsion du gouvernement d’Émile Reuter, un référendum sur la forme de l’État est décidé, en s’appuyant sur le principe d’autodétermination des peuples. Mais la situation reste instable : le 9 janvier 1919, un comité de salut public tente d’instaurer une république. Le lendemain, le gouvernement annonce que la Grande-duchesse est prête à abdiquer. Finalement, le 14 janvier 1919, la Chambre proclame sa sœur Charlotte nouvelle souveraine. La crise politique n’est pas réglée pour autant et face à la contestation qui s’organise, un référendum sur le devenir des institutions est organisé le 28 septembre 1919 : 78 % des Luxembourgeois se prononcent en faveur du maintien de la monarchie, contre 20 % pour la république.
Ce vote confère une légitimité démocratique nouvelle à la dynastie, incarnée dès lors par la Grande-duchesse Charlotte, arrière-grand-mère du futur Guillaume V, figure respectée jusque dans la Seconde Guerre mondiale où elle devient le symbole de la résistance.
Une monarchie parlementaire au rôle limité
Le Luxembourg reste le seul Grand-duché au monde. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008-2009, qui a privé le souverain de son droit de sanctionner les lois après le refus du Grand-duc Henri de signer la loi sur l’euthanasie, le rôle du monarque est avant tout honorifique et représentatif. Le Grand-Duc promulgue les lois, nomme formellement le gouvernement, représente l’État dans les cérémonies officielles, mais ne gouverne pas. La nouvelle Constitution, adoptée en 2023, est venue encore clarifier ce cadre. Comme le souligne Luc Heuschling, professeur de droit constitutionnel, « l’article 60, qui est une hérésie dans la tradition monarchique, fait que la Chambre des députés peut décider que le Grand-Duc, parce qu’il n’a pas exercé sa fonction comme il aurait dû le faire – ça veut dire quoi ? – serait considéré comme ayant abdiqué. Il faut savourer la formule ! ».
Malgré ces limites, la monarchie conserve un large soutien. Selon un sondage Politmonitor réalisé par Ilres pour RTL et le Luxemburger Wort en juin 2025, 70 % des Luxembourgeois estiment que la monarchie parlementaire est le meilleur système politique pour le pays. Parmi eux, la moitié se dit « totalement convaincue ». Dans le détail, les électeurs du Parti populaire chrétien-social sont les plus monarchistes (84 %), suivis par ceux du Parti démocratique (80 %). Le soutien est plus nuancé au sein du Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (62 %) et chez les Verts (63 %). Les sympathisants du Parti de réforme alternative démocratique apparaissent les plus divisés (44 % favorables, 41 % opposés).
L’idée d’un référendum séduit près d’un citoyen sur deux : 48 % des sondés aimeraient que l’avenir de la monarchie soit soumis à un vote populaire, même si une majorité de l’électorat des grands partis traditionnels s’y oppose. Pour une partie de la société civile, la monarchie reste un repère, presque un patrimoine immatériel. Pierre Dillenburg, expert en sciences sociales, en est convaincu :« Quand je pense à ceux qui pourraient être présidents, ils n’auraient pas la même aura, on en changerait beaucoup ! ».
Ce sentiment renvoie à une réalité bien ancrée : dans un pays de petite taille, où le consensus politique domine, la figure du monarque joue un rôle de continuité et de neutralité au-dessus des partis.
Pour certains, un système dépassé ?
À gauche de l’échiquier politique, les voix républicaines ne manquent pas. David Wagner, député de déi Lénk, (La Gauche) n’est guère sensible à la dimension de « conte de fées » souvent associée à la monarchie ; aussi populaire soit-elle, pour la Gauche, elle reste une institution anachronique, où le chef de l’État échappe au principe fondamental de l’élection. « Les monarques peuvent paraître très sympathiques, ils le sont certainement. Ils ne prennent pas position politiquement, mais pourraient, en cas de crise, tout à coup le faire. C’est nous, le parlement, les vrais représentants du peuple. Si vous allez faire vos courses dans un supermarché, vous aurez plus de chances d’y rencontrer un député, voire même un ministre, que le couple royal. ». Et d’ajouter : « Ce n’est le système idéal pour aucun pays, comme je pars du principe que les êtres humains ont les mêmes besoins et les mêmes attentes partout. ».
Ces critiques n’empêchent pas la monarchie de s’adapter. Le passage de témoin entre Henri et son fils ainé Guillaume illustre cette volonté de préparer l’avenir en douceur, sans rupture institutionnelle. L’évolution constitutionnelle démontre également que le système est capable d’évoluer au rythme des attentes démocratiques.
La question demeure cependant : le Luxembourg a-t-il besoin d’une monarchie ? Pour l’instant, la réponse des sondages est claire : un oui massif. Mais l’ouverture d’un débat référendaire, souhaité par une partie croissante de la population, montre que la légitimité monarchique repose désormais moins sur l’évidence que sur un compromis avec la démocratie moderne.
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