Réparer sans effacer : la Maison de Savoie face à ses fautes
Réparer sans effacer : la Maison de Savoie face à ses fautes
La réouverture de la synagogue de Viareggio, rendue possible notamment grâce au soutien financier d’Emmanuel-Philibert de Savoie, dépasse le simple cadre patrimonial. Elle s’inscrit dans une démarche mémorielle plus vaste, au croisement de l’histoire italienne, des responsabilités monarchiques et du travail de réconciliation avec la communauté hébraïque.
Après près de dix années de fermeture en raison de graves infiltrations d’eau rendant l’édifice inutilisable, la synagogue de Viareggio a solennellement réouvert ses portes le dimanche 21 décembre 2025, jour de Hanoucca, fête des lumières et de la persévérance. Un symbole fort pour une communauté longtemps meurtrie par l’histoire du XXᵉ siècle italien.
Parmi les donateurs figure le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, prétendant au trône d’Italie, 53 ans, dont le geste s’inscrit dans la continuité d’excuses publiques formulées en 2021 à l’égard des lois raciales, promulguées sous le régime fasciste et contresignées par son arrière-grand-père, le roi Victor-Emmanuel III. « Nos excuses pour les lois raciales interviennent après trop d’années de silence », a reconnu le prince au micro d’Il Giornale de Italia.
Les lois raciales : une tache indélébile sur la monarchie italienne
Adoptées à l’automne 1938 par le Parlement italien, les lois pour la défense de la race marquent un tournant dramatique dans l’histoire du Royaume d’Italie. Inspirées par l’idéologie nazie et imposées par le duce Benito Mussolini, chef du gouvernement, dans le cadre de son rapprochement stratégique avec l’Allemagne hitlérienne, elles instaurent une politique de discrimination systématique à l’encontre des Juifs italiens.
Ces textes excluent brutalement des milliers de citoyens de la vie nationale : élèves juifs expulsés des écoles publiques, professeurs et universitaires révoqués, fonctionnaires, magistrats et officiers destitués,intellectuels bannis des académies, avec l’assentiment d’une large partie des élites. Si le régime fasciste porte la responsabilité politique directe de ces lois, la signature du roi d’Italie les validant demeure l’un des épisodes les plus controversés de la monarchie italienne. En renonçant à user de son droit de veto, le souverain a engagé moralement la Couronne dans une politique qui conduira, après 1943, à la déportation de milliers de Juifs italiens vers les camps d’extermination.
Pendant des décennies, la Maison de Savoie est restée silencieuse sur cette page sombre. Une exception toutefois : la reine Marie-José, épouse d’Humbert II et dernière reine d’Italie Antifasciste convaincue, elle a exprimé très tôt son opposition aux lois raciales. En signe de protestation,en dépit des menaces qu’elle encourait, elle s’est rendue à Lucerne pour témoigner son soutien au chef d’orchestre Arturo Toscanini, qui avait publiquement dénoncer ces textes comme des « choses dignes du Moyen Âge ».
Ce geste isolé n’effaça cependant ni la responsabilité institutionnelle de la monarchie, ni le traumatisme laissé au sein de la communauté juive italienne.
Des excuses aux actes : la synagogue de Viareggio
C’est dans ce contexte historique lourd que s’est inscrit l’engagement du prince Emmanuel-Philibert de Savoie Informé en 2021 de la dégradation avancée de la synagogue de Viareggio, il a décidé d’apporter une contribution financière significative, demeurée volontairement discrète, afin de permettre la restauration du bâtiment. « Redonner vie à un lieu d’identité et de culture est toujours une étape importante pour la civilisation et son évolution », souligne-t-il.
Pour l’héritier de Savoie, la réouverture de la synagogue revêt une portée qui dépasse la seule conservation du patrimoine religieux : « Aujourd’hui encore, nous devons à la communauté juive respect et solidarité pour les blessures qu’elle endure, malgré le temps et la maturation des cultures. ». Il n’élude pas les échos contemporains de cette mémoire douloureuse. Évoquant un attentat récent survenu à Sydney lors des célébrations de Hanoucca, qui a fait 16 mort et autant de blessés le 14 décembre dernier, il rappelle que l’antisémitisme demeure une réalité préoccupante : « La haine a transformé un jour férié en un camp d’extermination symbolique, sapant le respect des personnes, des traditions et du sentiment d’appartenance. »;
Dans cette perspective, la réouverture de la synagogue de Viareggio devient un acte de résilience : « Elle exprime une volonté de ne pas baisser la tête face à la violence et incarne une humanité qui rejette la haine raciale. », assure le petit-fils du roi Umberto II, dernier roi d’une monarchie tombée en 1946 à la suite d’un référendum controversé. Le soutien apporté à la synagogue de Viareggio apparaît aujourd’hui comme le premier geste concret dans cette direction. « Je reste toujours informé de ce qui se passe en Italie, explique-t-il, et j’espère pouvoir rencontrer prochainement la communauté juive de Viareggio, car elle représente une mémoire précieuse. », déclare le prince.
En rouvrant ses portes à Hanoucca, la synagogue de Viareggio ne retrouve pas seulement sa fonction cultuelle. Elle devient le témoin d’un dialogue renouvelé entre histoire, responsabilité dynastique et mémoire collective. Pour la Maison de Savoie, ce geste tardif mais significatif rappelle que les monarchies, même déchues, demeurent comptables de leur héritage moral. Et que certaines fautes du passé, sans jamais pouvoir être effacées, peuvent au moins être reconnues, assumées et transmises comme avertissement aux générations futures.