« Nous les Savoie, nous nous excusons pour les lois raciales »

Emmanuel-Philibert de Savoie devant le portrait du roi Victor-Emmanuel III« Je condamne les lois raciales de 1938, dont je sens encore aujourd'hui tout le poids sur mes épaules et avec moi toute la maison royale de Savoie ». La déclaration du prince Emmanuel-Philibert de Savoie  n’est pas passée inaperçue en Italie et a fait les principaux titres des médias locaux et internationaux. Pour la première fois de son histoire, la maison royale reconnaît implicitement  son rôle comme sa participation dans la Shoah et demande « officiellement pardon » à la communauté juive. Lors d'un entretien au quotidien « Il Tirreno » et dans l’émission TG5, le prince de Venise s’est expliqué sur les motivations qui l’ont conduit à prendre cette décision.

Lettre du prince Emmanuel-Philibert aux juifs italiens«J'ai écrit une lettre à la communauté juive italienne et le grand rabbin Riccardo Shemuel Di Segni comme la présidente de la communauté juive de Rome, Ruth Dureghello, ont en reçu une copie. Il n'y a pas de but précis dans cette lettre. Je considère que c’est un exutoire. Un sentiment personnel, une acceptation de notre responsabilité ». Héritier au trône d’Italie, Emmanuel-Philibert de Savoie est l’arrière-petit-fils du roi Victor–Emmanuel III dont le nom est associé à la montée du fascisme en Italie et aux  lois raciales (Leggi razziali) de septembre 1938. Il a accordé un entretien au quotidien « Il Tirreno » et explique pourquoi il  a décidé de demander « officiellement pardon » à ses compatriotes de confession juive. Une lettre qui a fait le buzz dans la botte de l’Europe y compris dans les médias internationaux qui ont répercuté l’information.

«J'ai commencé à m'intéresser à la question juive dès mon plus jeune âge entre 10 et 11 ans. En commençant à lire Primo Levi, j'ai commencé à bien comprendre ce qui s'était passé dans les camps de concentration et ce qui se passait dans la société à cette époque, comment nous nous sommes comportés envers les juifs » explique Emmanuel-Philibert de Savoie. « Nous avons toujours parlé des lois raciales et de ce qui s'est passé au sein de notre famille. Nous ne pouvions pas l'ignorer » reconnaît le prince qui a effectué plusieurs voyages en Israël à titre personnel. «J'ai toujours eu beaucoup d'amis juifs. Le besoin de demander pardon pour ce qui s'est passé est quelque chose dont j'ai toujours eu envie de faire » poursuit Emmanuel-Philibert. En 2017, il a fait ramener la dépouille du corps du roi Victor-Emmanuel III en Italie, dans un pays qui porte un regard divisé sur l’attitude du monarque durant la période fasciste. «  Il a trahi la Constitution, accepté Mussolini,  signé des lois supprimant les libertés fondamentales, promulgué des lois raciales et entraîné l'Italie dans la guerre » résumait alors l’historien Piero Craveri lors de ré-inhumation du roi dans le mausolée de Vicoforte.

Le Duce Mussolini et le roi Victor-Emmanuel III« Sur le plan personnel, j'ai toujours condamné les lois raciales. Je suis revenu en Italie en 2002 et l’année suivante je suis allé à l'Altare della Patria (Autel de la Patrie), lors du Jour du Souvenir. J'ai rencontré le Grand Rabbin Riccardo Di Segni et le Président de la République Carlo Azeglio Ciampi et je leur ai remis une lettre condamnant les lois raciales. A titre personnel, je précise, car pour moi demander pardon pour ce qui s'est passé  me semblait naturel ». Le prince ne cherche pas à minimiser la signature du roi apposée sur le décret qui a envoyé à la mort plus de 8000 juifs mais souhaite re-contextualiser les faits historiques. « En Italie, le roi régnait mais ne gouvernait pas. De par le statut Albertin, il avait l’obligation de signer les lois votées par le Parlement. Trois fois, Victor-Emmanuel a renvoyé ces lois raciales devant la chambre et à chaque fois, il a demandé si vraiment les députés voulaient voter cela. Il n’a pas eu le choix » se justifie le prince. Lors de son arrivée au pouvoir, les fascistes de Mussolini ne montrent aucun sentiment antisémite. D’ailleurs, Benito Mussolini s’affiche volontiers avec Margherita Sarfatti, à la fois son égérie et sa maîtresse juive. C’est à elle que les fascistes doivent son programme et sa ligne directrice. Tout change pourtant lorsque le Duce décide de se rapprocher du régime nazi en 1936 qui impose à leur alter-égo italien ses théories raciales. D’un coup de plume,« les Juifs présents en Italie depuis l’Antiquité ne relèvaient plus de la race italienne et n'appartenaient officiellement plus au peuple italien » explique Edoardo Fritoli dans « Panorama ». Des milliers de juifs vont alors fuir l’Italie, traverser la frontière française comme le rapporte le « Petit Niçois » en 1939 qui dénonce le «  jeu du chat et de la souris entre les nouveaux apatrides et les gardes-frontières italiens ».

Victor emmanuel iii« Attention: maintenant, en disant cela je ne cherche pas à excuser Victor-Emmanuel III. En réaction à ma lettre et à ma demande de pardon, de nombreux monarchistes me disent: « Mais vous savez que la responsabilité n'incombe pas à Victor-Emmanuel III car ces lois ont été votées à une large majorité par le Parlement ». À toutes ces remarques, je réponds: d'accord, c'est exact. Ce sont les faits mais cela reste quand même sa faute » explique Emmanuel-Philibert au journaliste qui s’étonne que le prince revienne sur ses faits 80 ans après. « Il était le roi d'Italie et représentait tous les Italiens. Il était le garant de l'unité nationale, de tous les citoyens. Les lois auraient donc pu être votées par n'importe qui, mais au final la signature dont on se souvient, est malheureusement celle du roi. Il est également juste de comprendre comment les événements se sont déroulés, pourquoi il y a eu  des lois raciales et  il est juste de reconnaître que Victor-Emmanuel III les signées » renchérit celui qui dirige une chaine de restauration de pâtes de luxe aux Etats-Unis. « Si Victor-Emmanuel n'avait pas signé les lois raciales, que serait-il arrivé ? Mussolini, au sommet de sa popularité, l'aurait évincé. Victor-Emmanuel III serait devenu un héros, personnellement, mais qui Mussolini aurait-il mis  à la place de mon arrière-grand-père ? Peut-être son cousin [Amédée de Savoie-ndlr] Aoste qui était très proche des fascistes ? Puis il aurait fini par prendre le pouvoir et les lois raciales auraient été bien pires qu'elles ne l'ont été en Italie [sous le règne de Victor-Emmanuel-ndlr] » continue dans une certaine uchronie le prince de Venise qui souhaiterait aussi que l’état Italien présente également ses excuses.  Il est d’ailleurs rejoint dans sa demande par l’Union monarchique Italienne, la plus importante association royaliste d’Italie,  qui a publié un communiqué en ce sens, quelque peu embarrassée par ces excuses royales.

A la chute de Mussolini en 1943, les lois raciales furent immédiatement abrogées mais il était trop tard. « Si nous pouvons amorcer un dialogue, si nous pouvons parler de ce qui s'est passé, si nous pouvons regarder ensemble l'avenir ensemble, sans jamais oublier ce qui s'est passé, je le ferais avec grand plaisir. Mais il est important de demander pardon, sans rien attendre, et de dire ce que chacun de nous a dans son cœur » rappelle le prince Emmanuel-Philibert de Savoie qui entend désormais clore ce chapitre douloureux de l’histoire de sa famille qui reste « une tache indélébile » à ses yeux, celle de la participation de la Maison royale à la Shoah. 

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Date de dernière mise à jour : 24/01/2021

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