Emmanuel-Philibert de Savoie : « L'Italie souffre et va souffrir »

Emanuele filiberto di savoiaPetit-fils du roi Humbert II, le prince Emmanuel-Philibert est âgé de 48 ans. Ancien banquier, il est revenu s’installer en Italie en 2002 après l’abrogation de la loi d’exil votée 56 ans plus tôt, peu de temps après un référendum truqué qui avait signé la fin de la monarchie. Il a tenté l’expérience politique mais ses résultats n’ont pas été à la hauteur de son nom prestigieux entaché par sa compromission avec le régime fasciste. Producteur, il a participé à divers reality-shows. Marié à l’actrice Clotilde Coureau, père de deux filles, il récemment modifié la loi de succession afin de permettre à son aînée de revendiquer la couronne d’Italie, contestée par ses cousins d’Aoste. Il a récemment fondé une chaîne de Food trucks aux Etats-Unis et un mouvement politique, sorte de Think-tank qui prône la restauration de la monarchie. Il a répondu aux questions du quotidien «Affaritaliani». Extraits de cette interview où il évoque la querelle dynastique, sa famille, ses ambitions politiques, le covid, sa vie professionnelle et sa lettre à la communauté juive.

Prince de Piémont, prince de Venise. En Italie, la loi ne reconnaît pas les titres de noblesse. Quelle importance attachez-vous à  votre titre ? Et il y’a aussi cette querelle avec l’autre branche de la Maison de Savoie. D’ailleurs où en sommes-nous sur ce point ?

Ce sont des petites querelles auxquelles, en toute sincérité, je n'ai jamais accordé autant d'attention ni d'importance. Evidemment pour la République italienne les titres n'existent pas, ils ne sont pas reconnus par la loi. Concernant l’autre lignée de la Maison de Savoie, je rappelle qu’elle est juste une branche cadette sans droits. Le fils du roi est mon père [Victor-Emmanuel-ndlr], le petit-fils du roi [Humbert II-ndlr] c'est moi.  Il n'y a jamais eu rien d'écrit de mon grand-père dans lequel il exprime le désir d'éloigner mon père de la succession. Le seul représentant / héritier de la Maison de Savoie reste mon père.

Emmanuel-Philibert de Savoie et sa familleÉtait-ce difficile d'être un enfant unique?

Je dois dire que je n'ai jamais manqué d’amour de la part de mes parents. J'ai grandi dans un environnement très protecteur, mais aussi extrêmement beau. Je n'ai jamais trouvé ça difficile parce que j'étais entouré d'amis et de personnes de mon âge. Je suis allé à l'école en Suisse, puis en internat. J'ai créé mon « petit » monde autour de moi. J'ai toujours eu une merveilleuse relation avec eux. Nous parlons fréquemment avec mon père, ainsi qu'avec ma mère. Je dois dire qu'il existe une profonde confiance mutuelle, un dialogue prolifique et aussi une grande liberté de ton.

Victor-Emmanuel de Savoie, son épouse et son filsPouvez-vous nous expliquer cette amitié de votre famille avec le Shah d’Iran ? Est-ce l’origine de deux de vos prénoms Reza et Cyrus ?

Le Shah d’Iran était un peu ce père  que  mon père n'a jamais eu. Une personne qui l'a pris sous son aile protectrice. Mon père, jeune homme, a quitté l'Italie [à la chute de la monarchie], a passé quelque temps au Portugal avant de s'installer en Suisse. Il a toujours eu ce manque de figure paternelle. A chaque fois que mon père parle du Shah, il est ému, évoque une amitié extraordinaire, forte et profonde. Il lui a donné l'opportunité de travailler en représentant les industries italiennes de son pays. J'étais petit, j'ai des flashs assez vagues mais nous nous avons de nombreuses photos à la maison. Nous avions l'habitude de le voir  à Saint-Moritz. Il est décédé en 1980, j'avais à peine 8 ans.

 Beaucoup aimeraient savoir (ou du moins sont curieux de savoir) ce que vous faites et qu’elle est votre activité professionnelle ?

Actuellement,  je suis très concentré sur l’ouverture de mon premier restaurant de pâtes fraîches en Amérique, de type restauration rapide mais exclusivement de bonne cuisine italienne. Tout est parti d'un réseau de « Food Trucks »  que j'ai mis en place il y a quatre ans aux États-Unis. Il s’agira d’une franchise, nous pensons en ouvrir une cinquantaine de restaurants dans toute l'Amérique du Nord. J’ai également  ma propre marque de mode. Je suis à la tête des  Ordres Dynastiques de la Maison de Savoie, un organisation de charité qui est essentiellement philanthropique. Nous sommes présents  dans toutes les régions d'Italie avec des projets très concrets et dans dix-sept pays à l'étranger.

Mariage de clotilde coureau avec emmanuel philibert de savoieEmanuel-Philibert, vous considérez-vous comme un mari et un père heureux ?

 Je suis une personne qui laisse beaucoup de liberté. J'espère donner de bons conseils, parfois (comme tout le monde) j'essaye de mettre des limites car les jeunes en ont besoin. Mais de manière générale,  j'aime pouvoir leur laisser  faire ce qu’elles veulent, je leur fais confiance. J'ai deux filles extraordinaires, studieuses et très polies. Vittoria (17 ans)  terminera ses études cette année et a l'intention de s'inscrire à Bocconi. Luisa  (14 ans) est encore petite. Je ne peux nier que je suis très fier d’elles.

Quels sont les souvenirs que vous gardez de votre mariage en Italie? Pouvez-vous nous parler de cette journée ?

Je vais la résumer ainsi : « souvenir d'une journée merveilleuse ». C’était aussi très symbolique. Pour la première fois, depuis de nombreuses années, un Savoie se mariait à Rome. Double bonheur, pour ma femme et pour mon pays. Difficile, presque impossible, de décrire même certaines émotions par écrit ou verbalement.

Emanuele filiberto DI Savoia  ipaOù et comment avez-vous vécu cette année de pandémie qui vient de s’écouler ?

Très durement.  J'ai aussi perdu des amis. Une immense douleur. C’est une chose très sérieuse qui doit être prise au sérieux. J'ai essayé de faire  très attention. Durant le confinement, j’étais dans les montagnes en Suisse. Nous n’avons pas bougé de la maison. Le seul avantage que nous avions, c’était un grand parc. On pouvait donc sortir et se promener. Je suis conscient que de ce côté-là nous avons eu plus de chances que d’autres personnes coincées dans leur maisons et qui ont vraiment souffert de ce confinement. Il est vrai aussi que nous faisons face aujourd’hui à une situation très alarmante au niveau économique, qu'il ne faut pas sous-estimer. Moi qui suis dans le monde de la restauration, je sais ce que cela signifie. Je ne peux que m'inquiéter de la situation de ce secteur qui n'a pas reçu d'aide. Si je suis un partisan du confinement, je ne peux pas accepter qu’on lâche les entrepreneurs. Il y a eu des aides mais jusqu’ici, l’état n’a pas été en mesure de nous expliquer comment cet argent sera dépensé. Je pense que l’Italie n’a pas géré parfaitement cette aide qu’elle a donné aux entreprises. Cela me fait pas plaisir de le dire, mais c'est ce que je pense.

Proclamation de la republique en 1946Que pensez-vous de la politique italienne actuelle ?

L'Italie était déjà en récession avant la pandémie. Le Covid-19 n'a rien fait d'autre que d’accélérer cette situation. Malheureusement, nous n'avons pas un gouvernement très réceptif sur ce sujet. Nous l'avons vu et nous le voyons aujourd'hui et, surtout, nous le verrons encore au cours des cinq prochaines années. Car l'Italie souffre et va souffrir. Dommage de voir une nation, un si beau pays, avec autant de grands entrepreneurs qui, petit à petit, s'est retrouvé derrière tout le reste Europe. Tant de gouvernements qui se sont succédés  et qui ont démontré qu'ils n'avaient aucune véritable politique sérieuse. Notre voix ne compte même plus à Bruxelles, c’est très triste. Ce que Renzi [ancien président du Conseil de 2012 à 2016-ndlr] a fait, à mon avis, est une immense folie alors qu'il nous fallait une vraie politique d’union nationale afin d’essayer de trouver des solutions concrètes pour l'Italie. Les politiciens devraient cesser de chercher à se faire réélire  et plus se soucier ses problèmes des citoyens. Je constate un manque de préparation total de la part de nos politiciens. Et l’histoire malheureusement, se répète. Nous avons eu près de quatre-vingts gouvernements en quatre-vingts ans de République. Comment un pays peut-il continuer ainsi ?

Realta italiaVous avez fondé le mouvement associatif « Realtà Italia ». Envisagez-vous de vous présenter lors de la prochaine élection à venir ?

J’ai fondé ce mouvement l’été dernier afin de parler, à travers des webinaires, d’économie, de  tourisme ou de culture. Me présenter en ce moment ne fait pas partie de mes priorités, je n'y pense pas. Je pense que pour s'engager en politique, il faut être utile à l'Italie. Si un jour je me rends compte que j'ai quelque chose de plus à offrir que d'autres, je ferais de la politique. Pour le moment je la regarde et je préfère m’investir dans les Ordres Dynastiques qui me permettent d’aider  concrètement les gens. La politique est une chose noble qui ne doit pas répondre à des ambitions personnelles. Cependant, il ne faut jamais dire jamais.

Votre lettre écrite à la communauté juive ne semble pas avoir été très bien pris par les personnes concernées.  Vous évoquez cette « ombre indélébile pour votre famille. Une autocritique forte qui a fait beaucoup parler, pensez–vous que votre geste a été compris ?

Oui, cela a été compris, mais l'Italie est le pays de la polémique. Surtout quand un Savoie fait quelque chose. Ma lettre est un cri d'amour, un acte sincère,  une envie d'exprimer un sentiment et de parler d'Histoire. Je l'ai vraiment fait sans rien attendre en retour. Je ne voulais rien. Ceux qui ont répondu, au nom des communautés juives, ont donné leur avis mais à mon sens ils ont aussi exagéré dans leur réponse en disant qu’il « était trop  tard » etc, etc.  J’ai reçu de très bons retours, si on excepte quelques voix chagrines en Italie, à l’international, les réactions ont été excellentes y compris en Israël. Même à gauche  et des républicains. Parler de notre responsabilité dans les lois raciales est essentiel pour pouvoir regarder notre avenir sans oublier le passé et pour pouvoir construire un monde plus juste.  Aujourd'hui, de plus en plus, il y a des actes de racisme ou d'antisémitisme et je pense qu'il est très important de pouvoir en discuter. Je l'ai fait aussi et surtout pour les jeunes générations, en mémoire de ceux qui ne sont plus là pour en parler. J’accepte les critiques mais je ne m’en préoccupe pas. Je pense que beaucoup comme moi devraient s'excuser, car il est vrai que le roi [Victor-Emmanuel III-ndlr] a été responsable de cet événement tragique, mais la faute incombe également à tous ceux qui ont voté presque à l'unanimité pour ces lois abominables.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 30/01/2021

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