Près de huit décennies après la fin de la monarchie en Italie, le nom de Savoie continue de susciter débats et curiosités. Le prince Emmanuel-Philibert, héritier d’une dynastie longtemps éclipsée par les blessures de l’histoire, parvient à imposer son image dans le paysage médiatique et à tester l’attrait, parfois inattendu, d’une possible résurgence monarchique.
Né en 1972, Emmanuel-Philibert de Savoie est le fils du prince Victor-Emmanuel, lui-même fils du dernier roi d’Italie, Humbert II, contraint au départ après le référendum controversé de 1946 qui a aboli la monarchie. Pendant des décennies, les Savoie ont vécu loin du pays, rejetés par une République qui leur interdisait de fouler le sol italien. Ce n’est qu’en 2002 que la loi d'exil a été abrogée grâce au Président du Conseil Sivio Berlusconi, permettant à l’héritier de s’installer à Rome et de se rapprocher de ses compatriotes.
Contrairement à son père, dont la vie a été souvent éclaboussé par des scandales et des polémiques judiciaires, Emmanuel-Philibert de Savoie a su cultiver une image plus lisse. Son aisance médiatique, ses participations à des programmes de divertissement comme Ballando con le stelle (l’équivalent italien de Danse avec les stars), mais aussi ses initiatives philanthropiques et culturelles, l’ont installé dans le quotidien des Italiens. Aujourd’hui, une majorité de la population le connaît et le suit sur les réseaux sociaux.
L’idée monarchique a le vent en poupe en Italie
Le prétendant au trône, depuis le décès de son père en 2024, a déjà fait des incursions en politique. Sans grand succès. Pourtant, selon Il Giornale, il serait désormais prêt à revenir dans l’arène sous les couleurs de son mouvement Più Italia, lancé en grande pompe mais sans suite, fort de chiffres qui démontrent un intérêt de ses compatriotes pour la monarchie. 90 % des Italiens affirment bien le connaître, 44 % l'évaluent favorablement et 15 % pensent qu'il pourrait apporter une contribution positive au pays.
Les réponses sur son rôle futur dessinent un prince, père de deux enfants, qui intrigue : 36 % le verraient dans la politique, 29 % dans la philanthropie, seulement 9 % dans le divertissement. « Je suis satisfait des résultats de ce sondage. Mon service public est reconnu et récompensé. À l’avenir, je pourrais même opter pour un retour en politique », confie le prince. 30 % ont même une opinion positive des Savoie, et 27 % la jugent « populaire ».
La Maison de Savoie reste cependant marquée par son rôle ambigu avec l’idéologie fasciste. Les lois raciales de 1938 ont considérablement terni l’image de la dynastie qui avait pourtant été l’artisan de l’unité nationale au XIXe siècle. En, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie a officiellement présenté ses excuses mais certains partis politique ont du mal à passer encore l’éponge sur la compromission des Savoie avec le Duce Mussolini.
Les chances réelles d’une restauration
Dans l’Italie contemporaine, la perspective d’un retour à la monarchie relève davantage du symbole que d’une véritable possibilité politique. Aucun parti de gouvernement ne porte ce projet et les Italiens, dans leur grande majorité, restent attachés à la République confort par l'article 139 qui empêche toute remise en cause de cette institution.
Cependant, ce sondage met en lumière une donnée intéressante : seuls 22 % des Italiens ont une opinion favorable des autres monarchies européennes, quand près d’un tiers gardent une sympathie pour la Maison de Savoie. Autrement dit, l’idée monarchique n’est pas totalement rejetée, même si elle demeure largement minoritaire. Emmanuel-Philibert de Savoie conscient de ces limites, joue une autre carte : celle de l’influence douce. En cultivant sa notoriété, en apparaissant comme un acteur soucieux des problèmes quotidiens des Italiens, il tente de transformer son nom en « marque », susceptible de séduire une Italie en quête de repères comme d’effacer les querelles dynastiques qui divisent depuis deux décennies sa famille. La monarchie, dans cette perspective, devient moins un projet institutionnel qu’un levier identitaire et médiatique.
Le petit-fils d’Humbert II n’est pas un nostalgique. « Nous entretenons aujourd’hui une nouvelle relation avec notre pays, malgré tout l'opprobre qu’ils nous ont jeté », reconnaît-il, tout en affichant son optimisme. Dans un pays fragmenté, marqué par la crise politique et le désenchantement vis-à-vis des élites, Emmanuel-Philibert mise sur une carte subtile : rappeler aux Italiens que la monarchie a jadis unifié la péninsule, tout en se présentant comme un homme de son temps.
La monarchie italienne ne reviendra sans doute pas dans les circonstances actuelles en dépit des sympathies ou réelles adhésions de certains membres du gouvernement (comme Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères) , mais elle continue d’habiter l’imaginaire collectif.
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