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Habsbourg, Horthy et Orbán : trois lectures de la grandeur hongroise

Entre nostalgie monarchique et néo-horthysme, diplomatie de prestige et stratégie idéologique, la relation que cultive le Premier ministre hongrois Viktor Orbán avec la Maison de Habsbourg-Lorraine en dit long sur sa vision de l’Europe et de la Hongrie.

On aurait pu croire qu’un dirigeant nationaliste, farouche défenseur de la souveraineté hongroise, nourrirait une méfiance instinctive envers une dynastie étrangère qui régna durant des siècles sur le bassin danubien. Mais , le Premier ministre Viktor Orbán, revenu au pouvoir en 2010, constamment réélu depuis, a choisi une voie plus subtile : s’appuyer sur la Maison de Habsbourg-Lorraine comme relais diplomatique et symbole identitaire, au service de sa politique conservatrice et de son rapport complexe à l’Europe.

La Constitution modifiée en 2011 par le Fidesz a supprimé le terme de « République » pour mieux exalter les symboles monarchiques, au premier rang desquels figure la Sainte Couronne, jadis insigne du pouvoir royal. Cette réhabilitation, soigneusement orchestrée, rencontre une certaine faveur dans l’opinion. Selon un sondage de 2021, près de 46 % des Hongrois interrogés se disaient favorables à un retour symbolique d’un Habsbourg à la tête de l’État. Une nostalgie entretenue par la mémoire d’une Hongrie puissante dans la Double Monarchie austro-hongroise, avant les humiliations du traité de Trianon (1920).

Des ambassadeurs issus du sang impérial

Deux de leurs descendants occupent aujourd’hui des postes diplomatiques de premier plan. L’un écrit des livres célébrant le « mode de vie des Habsbourg » depuis son poste au Vatican, l’autre prône un contrepoids à Bruxelles lors de conférences aux accents droitiers. Tous deux servent, à leur manière, une vision du monde partagée avec le Premier ministre. « Nous pensons de la même façon », s’enthousiasme Viktor Orbán, qui se plaît à rappeler que « nous sommes à nouveau du même côté », comme « il y a huit cents ans ».

  • Eduard de Habsbourg-Lorraine, ambassadeur auprès du Saint-Siège depuis 2015, se fait le promoteur zélé de la politique familiale d’Orbán. « Le nombre de mariages a bondi de 84 % en neuf ans, les avortements ont diminué d’un tiers, et la fécondité progresse », rappelait-il récemment, chiffres à l’appui, pour démontrer l’efficacité du modèle hongrois. Il loue également l’exonération fiscale pour les mères de quatre enfants, les prêts familiaux ou encore l’aide aux grands-parents pour la garde des enfants. Fin 2023, il a publié un ouvrage programmatique, Parlez-vous Habsbourg ?, que Viktor Orbán n’a pas hésité à qualifier de « superbe ». Conçu comme un manifeste conservateur, le livre reprend presque certaines parties du le programme du Premier ministre, décliné en sept règles de vie : la famille, la foi, l’autorité et le rejet des « absurdités » modernes, tel le mariage homosexuel. L’archiduc y loue la monarchie, recommande les agences matrimoniales catholiques et invite les jeunes à « attendre le mariage » avant toute relation intime.
  • Georg (György) de Habsbourg-Lorraine, frère cadet de l’archiduc Karl (actuel prétendant au trône austro-hongrois), fils de l’archiduc Otto ( à qui on a proposé la présidence hongroise dans les années 1990) a été nommé  ambassadeur itinérant en 1996, président de la Croix-Rouge hongroise entre 2004 et 2012 et  ambassadeur en France de 2020 à 2025 avant de rejoindre l’Espagne. Chargé de renouer le dialogue avec Paris, il défend la « Hongrie des valeurs », attachée à la subsidiarité européenne, face aux critiques récurrentes sur l’État de droit. À l’instar d’Éduard, il n’hésite pas à endosser un rôle de relais politique : ainsi, en 2019, il affirmait devant les Landsmannschaften autrichiens que le groupe de Visegrád (qui rassemble les anciens pays de l’Empire défunt : la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie)  devait devenir un « contrepoids politique à Bruxelles ».

Tous deux participent régulièrement à des colloques et événements consacrés à l’empereur Charles Ier ( ou Charles IV de Hongrie), tout comme sa petite-fille, Anna Galitzine. Elle s’implique activement dans le mouvement archi-catholique et au sein du très controversé Congrès mondial des familles, qui défend des positions opposées aux droits LGBTQI+. En 2017, la princesse  a fait une apparition remarquée à Budapest, présentant le dernier souverain austro-hongrois comme un modèle de référence pour la politique familiale catholique.Par leur nom comme par leur discours, les Habsbourg offrent à Orbán une double légitimité : prestige dynastique et relais idéologique dans des capitales stratégiques.

Une convergence idéologique assumée

Les affinités ne tiennent pas qu’à la diplomatie. Elles plongent leurs racines dans une vision commune : celle d’un conservatisme chrétien intransigeant. Eduard de Habsbourg salue sans détour « la politique familiale la plus ambitieuse d’Europe », tandis que le Premier ministre s’érige en défenseur d’une Europe chrétienne menacée, selon lui, par l’immigration et le libéralisme culturel.

Si Orbán mobilise les Habsbourg, ce n’est pas par nostalgie dynastique mais par stratégie. Son projet s’inscrit dans une lecture historique de la Hongrie, centrée sur la perte territoriale du traité de Trianon (1920), qui priva le pays des deux tiers de son territoire et transforma des millions de Magyars en minorités nationales. « Le récit de la perte est profondément ancré dans la conscience nationale », explique le politologue Zsolt Enyedi. Orbán en a fait un instrument politique, allant jusqu’à poser en 2022 avec une écharpe de football représentant la « Grande Hongrie » d’avant 1920.

Ce traumatisme nourrit sa rhétorique d’un pays « assiégé » par des puissances extérieures : hier Vienne, aujourd’hui Bruxelles. À l’intérieur, le Premier ministre se présente comme le protecteur d’une « nation élargie » en intégrant les Hongrois de l’étranger — plus d’un million en Roumanie et en Serbie ont obtenu la nationalité, et votent massivement pour lui. » Je ne vois pas le gouvernement comme très eurosceptique. Je vois un gouvernement qui critique les processus et les structures politiques de l'Union européenne. Et je pense que c'est juste, car l'UE connaît de nombreux problèmes », a d’ailleurs déclaré l’archiduc Georg lors d’une interview à Euronews. (2021) «  Nous faisons partie de cette famille, nous en sommes membres, et il est également important de réfléchir à ce qui pourrait être amélioré. Nous ne pouvons pas dire ainsi : "Tout va bien, tout va bien, je suis satisfait de tout". Nous devons également critiquer l'Union européenne, nous devons dire ce qui ne fonctionne pas. », rappelle le prince impérial.

Le parallèle avec le Compromis austro-hongrois de 1867 s’impose à nombre d’analystes. Comme ses ancêtres politiques, qui arrachèrent une autonomie considérable à Vienne, Orbán pratique une diplomatie du rapport de force avec Bruxelles. Tantôt il menace de bloquer des décisions européennes cruciales, tantôt il négocie habilement des concessions financières. Une attitude qui rappelle la stratégie de Budapest au sein de la Double Monarchie : loyauté conditionnelle et souveraineté jalousement défendue.

Un retour du néo-horthysme ?

Pour certains détracteurs du régime hongrois actuel, le gouvernement de ViKtor Orban n’est qu’une sorte de néo-horthysme qui ne dit pas son nom. Miklós Horthy, amiral de la flotte impériale devenu chef de l’État hongrois (1920-1944) après avoir chassé les communistes du pouvoir, incarne la revanche nationaliste de l’après-guerre. Il gouverna un pays privé des deux tiers de son territoire par le traité de Trianon. Tout en proclamant le retour de la monarchie, empêchant le roi Charles IV de revenir par deux fois sur son trône (1921) , il préféra se proclamer « régent », chef d’une nation obsédée par ses frontières perdues. Son régime, autoritaire et conservateur, reposait sur le culte de la patrie blessée et la quête de révisions territoriales, qui conduisirent la Hongrie à s’allier (contrainte et forcée) un temps avec Adolf Hitler lors de la Seconde Guerre mondiale avant que le rouleau compresseur soviétique ne s’installe à la tête du pays, interdisant toute activité monarchique (les Habsbourg seront très investis dans ele combat pour la liberté des hongrois et vont jouer un rôle non négligeable dans le chute du rideau de fer).

Dans l’imaginaire collectif, Horthy reste une figure controversée : pour certains, le défenseur d’une Hongrie humiliée ; pour d’autres, un dictateur ayant entraîné son pays dans la collaboration et les persécutions. Viktor Orbán a réhabilité en partie sa mémoire (dans un pays qui qui a érigé  des statues) et évoquant son rôle important de « patriote » dans l’histoire hongroise. Il n’a pas choisi entre Habsbourg et Horthy : il les conjugue. Des Habsbourg, il retient l’ancrage catholique, la vision d’une Hongrie intégrée à une « Europe centrale historique » et le prestige aristocratique, intégrant habilement le symbolisme de la monarchie à son récit nationaliste. En s’entourant de leurs héritiers, il montre que son projet n’est pas un repli, mais une continuité avec une histoire plus vaste, impériale et sacrée.

D’Horthy, il adopte la rhétorique du traumatisme de Trianon, la défense des minorités hongroises à l’étranger et le discours d’un État menacé par des puissances extérieures. Certains observateurs voient même dans cette proximité un retour à une « tradition habsbourgeoise » : la famille comme socle social, la religion comme ciment identitaire, l’autorité politique comme garante de l’ordre. D’autres y discernent un paradoxe : Orbán, qui commémore chaque 15 mars la révolution de 1848 contre les Habsbourg, instrumentalise aujourd’hui leurs héritiers pour asseoir son pouvoir.

Le 20 août 2025, la Hongrie a célébré le 1025e anniversaire de sa fondation. Dans la tribune officielle, les Habsbourg. C’est peut-être là le secret de sa stratégie : conjuguer le mythe national à l’autorité des symboles monarchiques pour mieux affirmer, face à Bruxelles comme face à ses opposants, que la Hongrie demeure une nation « singulière », jalouse de sa souveraineté et de ses racines.

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Date de dernière mise à jour : 21/08/2025