Leur mariage avait été source de tous les espoirs pour les monarchistes géorgiens. Célébré dans l’imposante cathédrale de la Trinité à Tbilissi, devant un parterre de 3000 personnes, membres du gouvernement et diplomates étrangers compris, il avait scellé sous le regard de dieu, la réconciliation entre les deux branches rivales Bagration, Moukhrani et Gruzinsky. Largement médiatisé, une atmosphère de restauration de la monarchie avait alors parfumé l’air de ce pays du Caucase devenu indépendant à la chute de l’Union soviétique (1991). De cette cérémonie fastueuse entre le prince David et la princesse Ana, il ne reste aujourd’hui plus qu’une action en justice qui fait les choux gras des journaux locaux.
La date du mariage n’avait pas été choisie au hasard. Elle correspondait à celle célébrant l’acte unificateur de la Géorgie par le roi David IV le Bâtisseur (1073-1125). Tout était dans la symbolique pour les monarchistes réunis afin d’acclamer leur nouveau couple royal, tout de blanc vêtu. Connu pour ses déclarations en faveur de la restauration de la monarchie, le Patriarche Ilia II avait béni les deux héritiers dont l’avenir s’annonçait radieux et qui allait être bientôt couronné par la naissance du prince Georges (XV), en septembre 2011.
Peu de temps après le mariage, rapidement, les nuages gris s’étaient accumulés au-dessus de leurs têtes.
La presse avait longuement spéculé sur les raisons de leur soudaine séparation (notamment au sujet d’une relation extra-conjugale du prince avec l’actrice Shorena Begashvili), qui sera finalement confirmée par un communiqué publié sur le site officiel de la maison royale, le 15 décembre 2013. L’histoire, banale en soi en ce début de siècle naissant, inhérent à bien des familles royales, aurait pu s’arrêter ici si elle n’avait pas fait renaître les rivalités entre les deux branches pour un trône supprimé par les russes en 1801.
Le retour de la monarchie est un véritable enjeu pour la famille des Bagration, dont les multiples branches ont ceint des couronnes dans des principautés ou sont montées sur le trône de Géorgie au fil des affres de l’histoire de ce pays convoité par les turcs, les perses et les russes. Pour l’actuelle maison royale, régie par la loi salique, au regard du droit, ce sont les Moukhrani actuels menés par le prince David (XIV) Bagration (42 ans) qui sont les mieux placés pour monter sur le trône en cas d’une éventuelle restauration. Ce que conteste la branche des Gruzinsky dirigée par le prince Nugzar (68 ans), père de la princesse Ana (42 ans), sa seule fille et désormais ex-souveraine de jure de Géorgie. Le mariage fut–il arrangé dans le but de promouvoir la restauration de la monarchie et la princesse Ana contrainte de divorcer de son premier époux comme l’a affirmé, à un journal russe (avril 2010), l’ancien ministre de l’Intérieur, Vano Merabishvili ? Quel que soient les réponses, aujourd’hui l’ancien couple royal se retrouve depuis quelques jours devant les tribunaux, qui ont reçu pour mission incongrue de se plonger dans le conflit dynastique et de déterminer lequel des deux princes est le véritable prétendant au trône.
Une affaire qui irrite les monarchistes et qui pourrait mettre à mal leur campagne alors que depuis l’été 2017, un projet de référendum sur la question monarchique est évoqué et que la nouvelle présidente de la Géorgie (depuis 2019), Salomé Zourabichvili, s’est dite favorable à un retour des rois en Géorgie, affirmant que celui-ci pourrait contribuer à l’amélioration des relations avec les provinces séparatistes pro-russes sécessionnistes de l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. L’actuel président du Parlement, Irakli Kobakhidze, avait été lui –même de sa phrase, déclarant qu'une « monarchie constitutionnelle apporterait la paix à la vie politique [du pays] ». Au grand dam de l’opposition qui avait accusé le gouvernement de tenter de détourner les géorgiens des vrais problèmes du pays.
Ajouté au conflit dynastique (le prince Nugzar a plaidé en faveur de la désignation de sa fille aînée, Ana, comme unique héritière conformément à l’accord de réconciliation selon laquelle tout enfant de la princesse Ana devait hériter du trône), l’ex-épouse du prince David lui reproche également de se servir de son nom dynastique à des fins pécuniaires et de vendre des titres sans autorisation (le Daily Mail affirmant que le princesse a réclamé une enquête sur la présence en tenue d’apparat du prince David en mars 2017, au Palais de Kensington). Le prétendant au trône entend bien faire reconnaitre ses droits, lesquels sont reconnus d’ailleurs par le gouvernement géorgien depuis le retour de la famille royale en 1995 (bien qu’aucun budget ne lui ait été alloué et qu’il bénéficierait, selon la presse locale, d’aides financières de la part d’hommes d’affaires), comme son ascendance. Les deux avocats des deux branches ayant mis, chacun en doute, l’affiliation respective des princes aux Bagration, Pour régler ce conflit, le prince David a proposé un test ADN à son adversaire afin de les départager, mais celui a simplement refusé d’obtempérer. « Comment un test ADN peut-il déterminer le nom d’une famille » a finalement déclaré l’avocat du prince Nzugar pour justifier le refus de son client à se plier aux tests génétiques.
« Compte tenu de l'importance de l'affaire, elle sera examinée par un panel de trois juges » a déclaré la maison Gruzinsky le 12 mars. En effet,les plus grands historiens du pays ont été invités à siéger en tant que jurés dans cette affaire, qui est « sans précédent juridique en Géorgie » commente la presse. La cour fera intervenir les historiens Roin Metreveli et Giorgi Otkhmezuri et tentera, sur la base de leurs réponses, de déterminer quelle branche à le droit d'utiliser le nom de la maison royale de Géorgie.
Avec la présidente du Comité des questions juridiques de l'époque, Eka Beselia, le président du Parlement, Irakli Kobakhidze a rencontré le patriarche Ilia II en juin 2017 afin de discuter de la mise en place du référendum sur la question monarchique (soutenue par 30 à 40% des géorgiens). Beselia avait alors confirmé qu'il serait possible de mettre en place, cette « idée remarquable », mais que « les géorgiens devaient d'abord en comprendre l’essence et quel était le but de celle-ci ». Pas sûr que ce règlement de compte entre les deux prétendants ne permettent à l’idée monarchique de progresser favorablement. Les experts et juges devraient rendre leurs conclusions le 11 avril prochain, selon les médias.
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Publié le 21/03/2019