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Anna Bagration-Gruzinsky : Un rôle incertain, une mémoire vivante

Dans les ruelles pavées de Tbilissi, sous les coupoles des églises orthodoxes, plane encore l’ombre des Bagration, rois de Géorgie et gardiens de son âme. Parmi les potentiels prétendants à la couronne, la princesse Anna Nugzar Bagration-Gruzinsky, héritière d’un trône aboli mais source d’un espoir vivace.

Peu de maisons royales peuvent se prévaloir d’une lignée ininterrompue comme celle des Bagration. L’histoire de cette famille se confond avec celle de la nation géorgienne elle-même et affirme même descendre du roi David, figure importante de la Bible. Dès le Haut Moyen Âge, ses ancêtres règnent sur divers royaumes de l’actuelle Géorgie : Ibérie, Tao-Klarjeti, puis Kartli et Kakhétie. Sous David IV le Réformateur (1073-1125), le pays connaît son premier âge d’or. Son arrière-petite-fille, la reine Tamar (1160-1213), qui va poursuivre son oeuvre, reste, aujourd’hui encore, l’une des figures les plus révérées de l’histoire nationale — une souveraine guerrière et pieuse, qui fit rayonner la culture chrétienne au carrefour des mondes byzantin, perse et arménien.

Après l’invasion mongole et les siècles de domination perse et ottomane, le royaume de Géorgie parvient à préserver une relative autonomie avant son annexion par l’Empire russe en 1801. Georges XII, dernier roi couronné, voit sa dynastie contrainte à la vassalité et à l’exil à Saint-Petersbourg où son destin va se mêler à celui des Romanov (avec lequel elle est liée généalogiquenent). À travers les Bagration-Gruzinsky — descendants directs de ce dernier souverain — et la branche des Bagration-Mukhrani, issue d’une lignée princière cadette, la flamme royale n’a pourtant jamais cessé de brûler. Même lorsque la répression soviétique tente d’effacer jusqu’au souvenir de la monarchie, l’idée d’un trône géorgien renaît, transmise de génération en génération.

Anna, l’héritière d’un nom et d’une mission

Née dans cette mémoire pluriséculaire le 1er novembre 1976, Anna Bagration-Gruzinsky est la fille aînée du prince héritier Nugzar Petrovitch Bagration-Gruzinsky (1950-2025) et de la princesse Leila Kipiani (née en 1947), issue d’une autre grande famille aristocratique géorgienne. À ses côtés, sa sœur cadette, la princesse Maya, incarne également cette jeunesse héritière d’un passé prestigieux.

Anna grandit à Tbilissi, entre un père soucieux de préserver les droits dynastiques et une mère attachée à la transmission des valeurs chrétiennes. Après des études à l’Université d’État de Tbilissi, la jeune femme se tourne vers le journalisme — métier rare dans une famille royale — avant de partager son savoir comme enseignante. Elle devient ainsi une figure discrète, ancrée dans la réalité quotidienne de ses concitoyens.

Mais son destin ne pouvait échapper aux jeux complexes de l’histoire. En 2001, elle épouse Grigori Malania, descendant par sa mère du dernier roi Georges XII. De cette union naissent deux filles, Irina et Mariam, qui portent fièrement le nom Bagration-Gruzinsky. Le mariage est finalement dissous en 2007, mais déjà se profile un autre chapitre, plus politique qui va rappeler la jeune princesse à ses devoirs.

Le mariage de tous les espoirs

Le 8 février 2009, sous les voûtes de la cathédrale de la Sainte-Trinité de Tbilissi, plus de 3 000 invités assistent à l’union de la princesse Anna et du prince David Bagration-Moukhrany, son cousin éloigné et héritier au trône. La cérémonie, bénie par le Catholicos-Patriarche Ilia II, retransmise à la télévision nationale, aura une portée symbolique considérable : pour la première fois depuis deux siècles, les deux branches rivales de la dynastie s’unissent.

Dans un pays qui a recouvré son indépendance à la chute de l’URSS  (avril 1991), qui a connu plusieurs troubles intérieur comme extérieur, avec une paix qui reste fragile, le patriarche ne cache pas son souhait : « Qu’un fils né de cette union puisse, si telle est la volonté de Dieu et du peuple, être le roi de la Géorgie ». Cette déclaration fait renaître l’idée d’une monarchie constitutionnelle, rêve caressé par une frange de la population lassée des turbulences politiques post-soviétiques.  En 1995, les Bagration sont officiellement revenus en Géorgie. Depuis, la mouvance monarchiste a refait surface et même tenté de s'emparer du pouvoir démocratiquement ou non.

De cette union est né, en 2011, le prince Georges Davidovitch, salué comme un symbole vivant de l’unité dynastique. Mais la réalité est moins lisse : Anna et David se séparent quelques mois après leur mariage, puis divorcent officiellement en 2013. La princesse obtient la garde de leur fils — un héritier potentiel dont le nom est déjà dans toutes les conversations monarchistes.

Une figure sociale et spirituelle

Si la princesse Anna a vu ses rêves conjugaux se fracasser sur les écueils du quotidien, elle n’en a pas moins affirmé sa stature de figure morale. Engagée auprès des populations déplacées par le conflit russo-géorgien de 2008, elle collabore avec Heifer International et d’autres ONG pour améliorer les conditions de vie des réfugiés et des familles vulnérables. Cette implication sur le terrain, discrète mais concrète, tranche avec l’image figée d’une royauté réduite à un symbole. Anna entend prouver qu’un héritier de la dynastie doit servir avant de régner.

En mai 2025, la reconnaissance officielle de son statut de chef de la Maison royale par l’assemblée spirituelle et académique géorgienne lui confère une légitimité nouvelle. La cérémonie, ouverte par le métropolite Shio Mujiri et marquée par la lecture solennelle du testament successoral du prince Nugzar, acte une continuité incontestable. Elle intervient alors même que, dans l’opinion publique, le soutien à l’idée d’un retour de la monarchie reste toujours minoritaire mais réel et vivant : autour de 20 % des Géorgiens, selon divers sondages, verraient d’un bon œil l’avènement d’un roi, garant symbolique de l’unité nationale.

« Dans une déclaration historique, Son Éminence le métropolite a officiellement réaffirmé le Décret n°2, émis en 2009 par feu le prince héritier Nugzar Bagration », explique la Maison royale dans son communiqué officiel. « Ce décret désigne sa fille aînée, la princesse Anna, comme héritière légitime et successeur en tant que chef de la Maison Royale. Cette annonce solennelle marque une pleine reconnaissance du rôle de la princesse Anna par les milieux ecclésiastiques et scientifiques de Géorgie. », a assuré la petite assemblée réunie pour cette occasion.

Un rôle encore incertain, une mémoire vivante

En dépit des divisions internes — la mouvance monarchiste soutienant majoritairement le prince David Bagration-Moukhrany comme prétendant plus « pragmatique et légitime » — la princesse Anna a su rallier à elle une petite partie de l’élite intellectuelle et religieuse. Pour ses partisans, sa double stature de mère du jeune prince Georges et de prétendante reconnue de la lignée Gruzinsky la place au centre d’une possible restauration.

Les réalités géopolitiques, toutefois, laissent peu de place à une monarchie à court terme. Mais en Géorgie, la monarchie n’est pas qu’un projet institutionnel : elle est un fil d’or, un repère dans l’histoire troublée d’un peuple fier de ses racines chrétiennes et de sa souveraineté retrouvée. « J’espère que ce jour sera le plus heureux de ma vie », confiait la princesse Anna à la télévision géorgienne le jour de son mariage avec le prince David. Quinze ans plus tard, alors qu’elle se tient au chevet de son peuple, ses espoirs personnels se sont mués en une mission plus vaste.

Sans trône ni sceptre, Anna Bagration-Gruzinsky continue d’incarner cette fidélité à une tradition millénaire — une fidélité qui, pour beaucoup de Géorgiens, vaut déjà toutes les couronnes.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 28/07/2025