République épuisée, Empire en embuscade : mythe ou avenir ?
République épuisée, Empire en embuscade : mythe ou avenir ?
Depuis la chute de Napoléon III, une minorité irréductible continue de croire à la résurrection de l’Empire. Héritiers du plébiscite, partisans d’un pouvoir fort, ces bonapartistes impérialistes ont traversé trois Républiques en rêvant de sacrer à nouveau un Napoléon. Qui sont-ils ? Que pèsent-ils ? Et que reste-t-il, aujourd’hui, de leur rêve césarien ?
Plus de 150 ans après la chute du Second Empire en 1870, l’héritage napoléonien continue d’irriguer certaines franges du débat politique et identitaire français. Si le bonapartisme n’occupe plus les tribunes parlementaires, il subsiste à travers une fidélité dynastique, des cercles d’influence, et un imaginaire collectif façonné par la geste impériale.
Mais que reste-t-il véritablement du monarchisme napoléonien aujourd’hui ? Qui sont ses prétendants ? Et quelle place ce courant peut-il espérer retrouver dans une République en proie au doute ?
1873 : le dernier souffle du retour
Le 4 septembre 1870, la défaite de Sedan met fin au Second empire après 18 ans d’existence. Plébiscité quelques mois encore par les Français, la figure de l’Empereur Napoléon III est encore respectée. Malgré l’avènement de la IIIe République, qui s’apparente plus à un coup d’Etat qu’à une volonté de la France de changer de régime, l’idée impérialiste ne s’effondre pas d’un seul coup. Dans la France rurale et conservatrice, surtout dans l’Ouest et le Sud-Ouest, beaucoup de paysans restent attachés à l’institution défunte et à la promesse d’ordre et de prospérité que celle-ci lui a octroyé.
Avec 20 élus (réunis sous l’étiquette de l’Appel au Peuple), proches de la mouvance monarchiste majoritaire au Parlement, les Bonapartistes peuvent encore espérer un retour de l’Empereur sur son trône. Mais son décès en 1873 alors qu’il s’apprêtait à revenir d’exil place le mouvement impérialiste dans une situation politique délicate en dépit du charisme du jeune prince impérial, Louis Napoléon, dont l’éducation est supervisée par l’Impératrice Eugénie. Il faut alors se renouveler pour donner au bonapartisme un nouvel élan. Certains députés bonapartistes, comme Paul de Cassagnac, vont alors défendre l’idée d’un plébiscite pour rétablir l’Empire. Le restaurer non par droit divin, mais par le suffrage universel, en s’appuyant sur le peuple contre les élites parlementaires. Le programme qui résume les grandes lignes d’un bonapartisme autoritaire (ordre, centralisation, suffrage universel, modernisation économique et grandeur nationale) relayé par une presse partisane leur permet même d’obtenir 76 élus aux élections de 1876 (notamment en Aquitaine et en Corse), de former un grand bloc conservateur avec les monarchistes (légitimistes et orléanistes).
La mort du prince Louis Napoléon dans le Zoulouland (1879) va mettre un sérieux coup d’arrêt aux espoirs qu’il suscitait. Le bonapartisme va se scinder en deux mouvant : celle qui suit le prince Jérôme Napoléon (gauche) et celle qui reconnaît son fils le prince Victor (droite) désigné comme prétendant au trône de France par testament. Ces divisions, les hésitations du prince Victor à profiter des scandales qui affaiblissent la République et ses tergiversations dans l’épisode du général Boulanger vont considérablement affaiblir le bonapartisme au fur et à mesure de deux décennies. En 1902, seuls 5 élus siègent encore au Parlement. L’idée monarchique va alors s’amenuiser au profit de celle de la république à laquelle va progressivement se rallier Victor Napoléon V, reprenant le chemin qui avait conduit Napoléon III à la présidence de la Seconde république en 1848.
Entre tradition dynastique et césarisme sans dynastie
Au XXᵉ siècle, l’influence politique du bonapartisme impérialiste s’effrite. La Seconde Guerre mondiale marginalise l’idée d’autant le culte du Maréchal Pétain vampirise l’ancienne idée césarienne. Le prince Louis Napoléon liquide le bonapartisme politique afin que celui-ci ne tombe pas aux mains de l’occupant nazi (1940). Le fils du prince Victor incarne l’idée impériale, sera résistant aux côtés de son cousin le prince Joachim Murat, descendant du Maréchal du même nom, tombé au champ d'honneur. Ses partisans suivent le chemin et bien peu adhèrent aux principes fascistes de l’époque.
Après 1945, l’image de l’Empire reste cantonnée aux cercles de collectionneurs, nostalgiques et d’historiens. Mais sur le plan doctrinal, le bonapartisme survit sous d’autres formes : le gaullisme en est l’héritier direct. Héros de la Libération, symbole de la France qui a résisté au nazisme, le général Charles de Gaulle lui-même se voyait comme un César républicain : plébiscité par le peuple, garant de l’unité nationale, méfiant envers les partis. Des intellectuels comme René Rémond qualifieront même le gaullisme de « bonapartisme républicain ». Le prince Louis Napoléon est de tous les combats, respecté au sein de l’armée française dont une fraction songera à l'appeler au plus fort des événements de 1958. Le prétendant ne donnera pas suite en dépit de ses accointances avec les partisans de l’Algérie française. La Corse reste fidèle à l’idée bonapartiste mais a fini par abandonner le projet de restauration impériale sous sa forme monarchique. Le Comité central bonapartiste fera encore la pluie et le beau temps de la politique de l’île de Beauté jusqu’au début des années 2000 avant d’être trucidé par le prince Charles Napoléon, trop à gauche pour accepter une compromission avec un mouvement très ancré à droite. Entre l'héritier et les impérialistes, une cassure dont le bonapartisme monarchique peine à se relever.
Le décès de Louis Napoléon VI en 1997 est suivi d’une crise dynastique qui a été résolu récemment par la renonciation à toutes prétentions de Charles Napoléon (aujourd’hui « Bonaparte ») en faveur de son fils, le prince Jean-Christophe Napoléon, 39 ans, désigné initialement par testament. Si ce dernier incarne la continuité dynastique, il reste toutefois discret, se limitant à un rôle de représentation symbolique. Vivant à Londres, il cultive soigneusement une image apolitique, se tient à l’écart des querelles politiques et refuse tout discours de restauration, évitant soigneusement le sujet. À ses côtés, une poignée de nostalgiques continuent d’imaginer, sur des forums ou lors de banquets, le jour où l’Aigle reprendra son vol.
La renaissance de la mouvance monarchique impérialiste
Dans la France du XXIᵉ siècle, l’hypothèse d’un retour de l’Empire sous sa forme monarchique demeure extrêmement improbable. Aucun parti structuré ni mouvement d’envergure ne défend concrètement ce projet, et moins encore n’a les moyens de l’imposer. Pourtant, le socle idéologique bonapartiste — mêlant monarchie dynastique et césarisme plébiscitaire — continue de nourrir une fascination pour la figure de l’homme providentiel, capable de rendre à la nation son prestige perdu. L’idée d’un pouvoir exécutif fort, incarné par un chef élu directement par le peuple, conjuguée au fantasme du « coup de balai » contre les partis, se superpose à celle, plus romantique, d’un prince ressuscitant son trône — que ce soit par la voie des urnes ou, pour les plus radicaux, par un coup d’État.
Le bonapartisme est majoritairement républicain mais n’hésite pas à applaudir à chaque sortie du prince impérial. Sa mouvance monarchique a fait un timide retour avec le mouvement Renouveau bonapartiste dont l’existence a été brève (seconde décennie des années 2000), peinant à revenir sur le devant de la scène, au sein d’un napoléonisme associatif (toujours) piégé par de profondes querelles d’ego. Ce mouvement a défendu un modèle monarchique, perçu comme garantie la plus efficace possible en termes de démocratie, de stabilité, de dialogue et, principalement, d'unité. Défenseur convaincu de l'option dynastique du bonapartisme, Renouveau Bonapartiste (RB) s'attaquait également de façon régulière à ce qu'il considérait comme les dérives du royalisme français, condamnant aussi bien les errances de l'orléanisme que du légitimisme tout en se faisant l’avocat d’un rassemblement des forces monarchistes françaises autour du bonapartisme et du prince Napoléon. Aux yeux du mouvement, le discrédit du royalisme faisant du bonapartisme le seul avenir possible pour la monarchie française. Pour autant, faute de percer au sein de la mouvance bonapartiste et faute de militantisme accru, il a fini par cesser ses activités.
Le prince Murat, favori des bonapartistes monarchistes
Avec la crise identitaire que traverse la France, cette mouvance refait discrètement surface bien qu’elle ne soit pas structurée au sein d’un parti (Il est difficile de quantifier leur nombre). Plutôt jeune (18-35 ans), idéologiquement à droite (répartis chez Les Répbulicains, Reconquête et le Rassemblement National, l'Appel au Peuple), professant l'idée d'un empire basé sur la restauration de l'autorité et la mise en avant du respect et de l'importance de la nation, principalement active sur les réseaux sociaux, elle a su capter l’attention des générations précédentes sans que celles-ci ne portent l’idée. Tous les 5 mai, date anniversaire de la mort de Napoléon Ier survenue en 1821, un millier de fidèles se rassemble autour de l'imposant tombeau de granit rose. Il n’est pourtant pas rare d’entendre sous la coupole des Invalides, là où reposent le fondateur de la dynastie qui a marqué de son sceau l’histoire de France, des « Vive l’Empereur ! » à chaque arrivée du prince Jean-Christophe Napoléon, déclenchant des sourires amusés du principal concerné et sous l'oeil sérieux des membres de la famille impériale.
Mais faute de le voir s’impliquer dans les affaires intérieures du pays, ces adeptes du « Troisième Empire », qui ont leur militantisme, ont reporté leurs espoirs sur le prince Joachim Murat, actuel héritier de la maison du même nom. Bien qu’il s’affiche volontiers républicain, c’est un politique, charismatique, médiatique et l’ancien candidat aux élections européennes présente une capacité de rassemblement qui permettrait aux deux tendances de s’unifier sous son nom. Le couple qu’il forme avec la princesse Yasmine Murat, elle-même impliquée dans la défense du patrimoine français sous toutes ses formes, est plébiscité par les bonapartistes. Depuis quelques années, les Murat suscitent un engouement qui va au-delà des clivages partisans. Le prince de Pontecorvo, a récemment qu’il ne « s’interdisait rien ». De quoi galvaniser ces impérialistes de l’ombre comme les bonapartistes républicains qui sont nombreux à se délecter et partager sur les réseaux sociaux toutes ses interviews « punchy » et profondément engagées. «Si vous êtes malade ou dépressif, j'ai un remède efficace : une dose de Napoléon matin, midi et soir. Napoléon, c'est de la vitamine pure », affirme le descendant du maréchal du premier empire et roi de Naples. Aujourd'hui, ils tentent de se muer en mouvement afin de s'imposer dans le débat bonapartiste sans que l'on sache si cela aboutira sur le camp national.
À l’heure où la République semble en proie à un désenchantement croissant, minée par les divisions partisanes, le désintérêt civique et la quête d’un récit commun, le bonapartisme — dans sa version monarchique comme dans son versant plébiscitaire — retrouve une étonnante actualité. S’il ne constitue en rien une force politique organisée et encore moins électorale, il incarne un imaginaire puissant : celui d’un pouvoir fort, légitimé par le peuple, enraciné dans l’histoire nationale et porté par une figure unificatrice. L’Aigle ne plane plus sur les assemblées, mais son ombre persistante au-dessus de la France n’a peut-être pas dit son dernier mot.