Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Felipe VI : Ne pas céder à la tentation du passé !

Cinquante ans après la mort du général Franco, la monarchie espagnole commémore non seulement sa restauration, mais aussi le modèle politique qu’elle a contribué à façonner. À l’occasion de cet anniversaire hautement symbolique, le roi Felipe VI a rappelé, avec gravité et précision, que la Transition démocratique n’est pas un mythe figé, mais une méthode toujours actuelle : celle du dialogue, du respect et de la recherche du consensus.

Dans une Espagne fracturée, où les tensions politiques semblent retrouver des accents d’autrefois, lors de la remise de la Toison d'Or à la reine Sofia, sa mère, le roi Felipe VI, 57 ans,  a invité son pays à revisiter l'héritage monarchique non pour l’idéaliser, mais pour en restaurer l’esprit, ne pas céder à la tentation du passé.

Un appel à refuser la nostalgie franquiste : le message de Felipe VI

Lors de la cérémonie célébrant le cinquantenaire de la restauration monarchique, Felipe VI a insisté sur l’importance de ce moment fondateur.

« À une époque où le désaccord s'exprime avec tension, regarder vers cette période peut nous servir non pas à l'idéaliser, mais à nous rappeler sa méthode : la parole face au cri, le respect face au mépris, la recherche de l'accord face à la contrainte », a-t-il déclaré. Ce rappel n’est pas seulement historique : il est politique. Le souverain, garant de l’unité du royaume mais aussi observateur privilégié des fractures régionales et idéologiques, adresse un message à une société où la polarisation s’est profondément installée.

La Transition reste indissociable de la figure du roi Juan Carlos Ier. Proclamé souverain en novembre 1975, deux jours après la mort du Caudillo Francisco Franco à l’âge de ans, il a hérité des pouvoirs absolus du dictateur, assurant se placer dans la continuité du régime franquiste. Pourtant, en quelques mois, il décide de rompre volontairement avec cette idéologie, soutenant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et un système parlementaire. Ce renoncement sera considéré une trahison pour les franquistes les plus orthodoxes, mais une respiration pour l’ensemble du pays.

Les élections libres de 1977 et la Constitution de 1978 ont posé les bases institutionnelles d’une démocratie moderne, qui a permit à l’Espagne de renouer avec l’Europe et de s’intégrer progressivement dans les structures internationales dont elle était tenue à l’écart depuis la guerre civile (1936-1939). Marqué par la tentative de putsch de février 1981, le roi Felipe VI l’a rappelé : « La Transition fut un acte de dialogue et de modération où la priorité n'était jamais la victoire idéologique, mais bien le pacte et la coexistence. ».

Proclamation de Juan Carlos comme roi en 1975 avec sa famille

Une ombre sur l’héritage : les scandales de Juan Carlos

Mais le récit lumineux de la Transition s’est assombri dans les dernières années du règne de Juan Carlos Ier. Les révélations sur sa fortune, ses comportements privés et ses affaires opaques ont profondément écorné son image, au point de provoquer son abdication en 2014. Oubliées toutes les réalisations sous son règne qui ont permis à l’Espagne d’entrer dans le monde moderne et participer aux grandes décisions de l’OTAN et de l’Union européenne ( ex-CEE), un pays aussi exemple de pluralisme fédéral politique.

Cité longtemps comme un exemple, il est désormais honni. L’ex-roi vit depuis 2020 en exil volontaire aux Émirats arabes unis, revenant ponctuellement dans son pays. La publication récente de ses mémoires, où il tient des propos indulgents sur Franco, a ravivé une polémique que son absence n’éteint pas. Le père de la démocratie est devenu pour certains l’image du symbole de dérives, un glissement qui influence fortement la perception de la Couronne chez les jeunes générations.

Juan Carlos n’a d'ailleurs pas été invité à la cérémonie anniversaire, laissant la reine Sofía, née princesse de Grèce en 1938,  recevoir l’Ordre de la Toison d’or, hommage public à une vie passée dans l’ombre du roi et au service de l’institution avec beaucoup de dévouement. L'ancien monarque a du se contenter d'un déjeuner  familial avec les princes de la Maison Bourbon (parmi lesquels Louis-Alphonse de Bourbon) et ceux de Grèce. 

Sondage El Mundo sur la monarchie. Novembre2025

Le regard des Espagnols : une monarchie utile, mais contestée

La question de la monarchie divise les Espagnols depuis de nombreuses années. Selon le dernier sondage réalisé par le journal de centre-droit El Mundo, 55,5 % des Espagnols jugent la monarchie « utile », tandis que 40,6 % la contestent.  Le clivage est net :

  • Le PSOE demeure équilibré : 52,6 % de ses électeurs reconnaissent le rôle positif de la monarchie, 44,9 % pensent l’inverse. La droite (PP, Vox) soutient massivement la Couronne.
  • La gauche radicale (Sumar, Podemos) y reste très hostile.
  • Les jeunes générations (18-30 ans) se montrent plus critiques, largement influencées par les scandales de Juan Carlos et par une culture politique plus républicaine, mais plébiscitent l'Infante Léonor comme future souveraine avec 75% d'approbation selon l'enquête.

L’institution reste donc un facteur de stabilité… mais aussi de débat identitaire, notamment en Catalogne et au Pays basque, où la légitimité monarchique est régulièrement contestée. Depuis son accession, Felipe VI s’efforce d’incarner une monarchie vertueuse, transparente et institutionnelle, en rupture avec les excès de son père. La distance mesurée avec Juan Carlos, le recentrage sur ses fonctions constitutionnelles et sa fermeté lors du défi catalan de 2017 ont renforcé son autorité. La cérémonie du cinquantenaire fut l’occasion de rappeler non seulement la trajectoire historique de l’institution, mais aussi sa capacité d’adaptation.

Le roi Felipe VI apparaît aujourd’hui et toujours comme le garant d’un équilibre fragile entre héritage et renouveau, unité nationale et diversité des sensibilités politiques. Loin de célébrer la monarchie comme une relique, il la présente comme un outil de continuité, un pont entre les Espagnols, et peut-être comme l’un des derniers espaces de neutralité dans une démocratie très disputée

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 24/11/2025