Quand les Habsbourg saluent la mémoire croate

Sous le soleil de Slavonie, une cavalcade annuelle d’apparat rappelle que l’histoire impériale continue de vivre dans le cœur des Croates. À Bjelovar, la rencontre entre Karl de Habsbourg-Lorraine, prétendant au trône austro-hongrois, et un régiment historique de Hussards symbolise une certaine fidélité à l'Histoire.

C’est une image qui, pour beaucoup, dit tout de la persistance des liens entre l’ancienne monarchie des Habsbourg et la Croatie contemporaine : sous le ciel d’été de Bjelovar, au cœur de la Slavonie centrale, Karl de Habsbourg-Lorraine, 64 ans, a salué le régiment de Hussards des gardes-frontières, formation d’apparat qui perpétue la mémoire d’une unité d’élite de l’armée austro-hongroise.

Un héritage vivant : les Hussards de Bjelovar 1756

Cette année encore, la Theresiana – fête traditionnelle celébrée dans la ville depuis  trois décennies – a attiré citoyens, réprésentants de la République de Croatie, passionnés d’histoire et nostalgiques de l'Empire austro-hongrois. Parmi eux, le chef de la Maison de Habsbourg-Lorraine, petit-fils de l’empereur Charles Ier, dernier souverain d’Autriche-Hongrie et roi de Croatie, venu recevoir la Croix votive croate et saluer une fidélité mémorielle qui défie le temps.

Car Bjelovar elle-même est un legs direct de la dynastie impériale : en 1756, Marie-Thérèse, souveraine à poigne, décide d’en faire une place forte et une municipalité militaire. C’est là que se lèveront, pour défendre les confins sud-est de l’empire, ces hussards dont l’uniforme chamarré rappelle à chaque cavalcade le passé martial de la frontière militaire croate. À l’époque, la Croatie, longtemps territoire tampon entre l’Empire ottoman et Vienne, tient un rôle stratégique pour les Habsbourg. Les rois de Hongrie – et donc les empereurs autrichiens – y exercent leur autorité, souvent perçue comme protectrice face à la Sublime Porte, parfois ressentie comme une tutelle contraignante. À travers l’armée, l’administration, puis l’Empire austro-hongrois bicéphale né en 1867, la noblesse croate et la couronne impériale ont tissé une histoire faite de fidélités, de résistances et de compromis. On parle alors de royaume triunitaire de Croatie-Slavonie-Dalmatie.

En ce mois de juin 2025, la solennité de la cérémonie s’est doublée d’un message politique inattendu : Josip Trogrlić, colonel à la retraite et commandant des Hussards, a interpellé Karl de Habsbourg-Lorraine pour qu’il intervienne en faveur du retour des armoiries historiques croates sur le monument de Bleiburg, en Autriche, un geste hautement symbolique pour nombre de Croates attachés à la mémoire nationale.

Karl de Habsbourg : « Défendre nos patries et notre Europe »

Pour le prince Karl (qui a donné Zvonimir comme second prénom croaté à son fils aîné Ferdinand), ancien député européen, l’émotion était palpable. À la tribune, il a salué la vitalité d’une ville qu’il n’avait pas revue depuis trois décennies : « Même si des traces du passé sont encore visibles, Bjelovar est aujourd’hui une ville prospère qui se développe dans la direction que vous aspirez tous à atteindre. » Il a aussi souligné combien la préservation des traditions, incarnée par les Hussards et leurs chevaux Gidran – race militaire réintroduite après l’indépendance –, fait battre le « cœur de l’Europe ».

Durant les années 1990, l'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine (1912-2011), son père, a apporté son soutien moral et politique à l’indépendance de la Croatie vis-à-vis de la Yougoslavie communiste. Membre influent du Parlement européen, il a défendu la cause croate à Strasbourg et Bruxelles, plaidant pour une reconnaissance internationale rapide. Il a souvent été invité en Croatie pour des commémorations et a reçu la citoyenneté d’honneur de plusieurs villes.

Si la monarchie a disparu, les symboles demeurent : en 2011, déjà, ces mêmes Hussards avait escorté Otto von Habsburg, jusqu’à sa dernière demeure à Vienne, drapé du drapeau impérial frappé des armoiries croates. Entre la Croatie et les Habsbourg, le lien est donc moins une nostalgie qu’une mémoire partagée, traversée par le désir de transmettre un récit européen commun. « Nous vivons une période d’incertitude », a rappelé le prétendant au trône. « Il est important que nous soyons unis pour défendre nos patries, nos valeurs et notre Europe. » , a t-il ajouté sous les applaudissements. 

Aujourd'hui, la mémoire des Habsbourg en Croatie n’est ni folklore ni nostalgie figée. Elle témoigne d’un attachement à une histoire commune, mais aussi d’un message : préserver un esprit européen fondé sur les racines, les valeurs et la transmission. Selon un sondage daté de 2019 et commandé par l'association monarchiste Consilium Regium Croaticum, deux croates sur cinq souhaiteraient le rétablissement de la monarchie afin d'apporter une meilleure stabilité à cette ancienne province yougoslave.

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