Ancien souverain et Premier ministre de Bulgarie, Siméon II de Saxe-Cobourg-Gotha pourrait-il revenir au pouvoir comme…Président de son pays ? Telle est la question qui agite la classe politique bulgare depuis plusieurs semaines.
La présidente du Parti socialiste bulgare, Korneliya Ninova, a annoncé le 25 juillet que le nom de l’ancien monarque, Siméon II de Saxe-Cobourg-Gotha, avait été intégré à la liste des potentiels candidats pour la prochaine élection présidentielle de 2017. Alors qu’il ne cesse de se défendre de tout potentiel retour en politique, après avoir régné de 1943 à 1946 sur son pays puis l’avoir dirigé comme Premier ministre de 2001 à 2005, Siméon II fait désormais l’objet de fortes pressions de la part de différents partis afin qu’il se jette de nouveau dans l’arène politique. Depuis son retrait officiel de la vie politique en 2009, Siméon II a pris soin de ne pas commenter directement celle-ci bien qu’il ait reconnu lors d’une interview au journal El Mundo, en décembre 2015, « qu’il jouait volontiers les conseillers pour différents partis politiques ». Acteur majeur de l’intégration de son pays au sein de l’Union européenne en 2007 et figure de consensus national, la proposition du Parti socialiste bulgare ne semble pas si anodine que cela au vu de l’aura dont bénéficie le souverain.
C’est en 1991, sur la décision du président de la République Jeliou Jelev (ancien communiste) que le roi Siméon II avait pu retrouver sa pleine citoyenneté. Son retour, le 25 mai 1996, avait été un véritable triomphe. Des centaines de milliers de personnes avaient alors envahi l’aéroport de la capitale, Sofia, ou s’étaient massés le long de la route pour apercevoir le souverain. Le voyage avait été minutieusement préparé. Acheminé avec son épouse depuis l’Espagne via un petit avion affrété par le roi Juan-Carlos Ier, c’est depuis Zurich qu’il avait embarqué à bord de la Balkan Airlines avec un passeport délivré au nom de « Siméon Borissov Sakskobourggotski ». À sa descente, le ciel bulgare s’était couvert d’un nuage d’acclamations en sa faveur. Lors de son entrée dans la capitale, des fleurs aux couleurs du pays, blanches, vertes et rouges avaient été jetées sur le cortège royal. Submergé par une vague d’émotion, le roi n’avait pas revu son pays depuis la chute de la dynastie. Trois ans avant son retour officiel, c’était sa mère, Jeanne de Savoie (1907-2000), qui avait été autorisée à visiter la Bulgarie sur laquelle elle avait régné aux côtés de Boris III, entre 1918 et 1943.
Le règne de Siméon II avait débuté par une véritable tragédie. Le 23 août 1943, neuf jours après une entrevue houleuse avec le chancelier Adolf Hitler, Boris III avait été pris par de violents vomissements dont il ne s’était pas relevé. Siméon II, âgé de six ans, était devenu roi d’un pays pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Dans ses veines, coulait à la fois le sang des Orléans et des Savoie, celui d’une dynastie aux origines allemandes qui régnait sur la Bulgarie depuis 1886. Immédiatement un conseil de régence s’était mis en place avec à sa tête, le frère du roi disparu, le prince Cyrille, l’ancien Premier ministre pro-nazi Bogdan Filov et le général Mikhov. Les Alliés profitèrent immédiatement de la disparition du roi pour bombarder régulièrement le pays afin de le contraindre à quitter son alliance de facto avec l’Axe.
En dépit de la récupération de la Dobroudja roumaine, Boris III n’avait jamais adhéré au pacte Tripartite et avait tant bien que mal tenté de garder son pays sous le drapeau de la neutralité. Il résumait volontiers la politique de son pays ainsi : « Mes généraux sont germanophiles, mes diplomates anglophiles, la reine est italophile, et mon peuple russophile. Je suis seul neutre en Bulgarie ». Si Hitler ne voyait que dans ce pays agricole de la Mitteleuropa, un vaste garde-manger, Boris III faisait quant à lui preuve d’une certaine résistance face à cette collaboration de guerre imposée, non sans agacer fortement le dirigeant nazi. La loi qui touchera la communauté juive sera très peu appliquée et Boris refusera même de valider les actes de déportation. Le pays participe à peine à l’effort de guerre. Hitler s’en irrite. Ces conversations épuiseront le souverain qui rentre dans un avion orné d’une croix gammée. Les événements vont s’accélérer. L’armée rouge pénètre en septembre 1944 en Bulgarie et s’impose rapidement. C’est une véritable épuration qui est organisée par les soviétiques. 2730 condamnations à mort sont prononcées. Les trois régents, vingt-deux anciens ministres, soixante-sept députés, huit conseillers du roi, quarante-sept officiers supérieurs, des milliers de Bulgares seront ainsi passés par les armes des Soviétiques.
Puis vint le temps de la chute de la monarchie. Truquant le référendum qui proposait aux Bulgares de choisir leur régime le 8 septembre 1946, les communistes prièrent la famille royale de quitter immédiatement le pays. Siméon II n’abdiquera pas. Le chemin de l’exil conduira le jeune roi tour à tour en Égypte (où il rejoindra un autre souverain exilé, Victor-Emmanuel III d’Italie, durant cinq ans), l’Espagne et enfin le Portugal en 1976 laissant derrière lui son pays sombrer dans les bras de la dictature communiste. Un régime qui devait tomber peu après celui du mur de Berlin, en Allemagne (1989). Il avait épousé Margarita Gómez-Acebo en 1962 (il aura cinq enfants dont les prénoms ont cette particularité de tous commencer par la lettre « K ») et sa voix à la radio, devenue la porte-parole de la démocratie et de la liberté
Cérémonies d’hommage et réceptions se succéderont à un rythme effréné durant trois semaines. Lorsqu’il part le 16 juin 1996, c’est un pays qui lui demande de rester. Son départ coïncidait avec la date de son 59e anniversaire. S’était-il souvenu à ce moment précis que pour sa naissance, ce fut Georges Vartan, le père de la célèbre chanteuse Sylvie Vartan, qui composa cette berceuse qui fut remise à son père ? Le synode orthodoxe bulgare persiste toujours à l’appeler par ses titres royaux mais de ces années d’exil, Siméon II a en gardé la modestie, le pragmatisme et la simplicité. Lui qui avait dans sa jeunesse traversé l’Europe avec un camping-car qu’il gardera longtemps dans son jardin. C’est en 1998 qu’il obtient de la Cour constitutionnelle la restitution des biens dont sa famille avait été spoliée. Le pays a renoué avec sa démocratie mais la corruption endémique menace toutes les réformes entreprises. Siméon II aura hésité mais sa figure semble faire consensus. N’avait-il pas reçu les communistes à Madrid ? Le 28 avril 2001, il fonde le mouvement national Siméon II (NMS-II/NDSV) qui va le porter au pouvoir le 17 juin de la même année. 120 députés sur 240 acquis au roi font leur entrée au Parlement. Son parti ne présentera pas pour autant de candidat à l’élection présidentielle, remportée par un socialiste. Siméon II instaure dès le départ une ère de cohabitation. Si l’ancien monarque réduit de 18 à 12 % le chômage, stabilise le taux de croissance et arrime la monnaie (le lev) à l’euro, son bilan restera mitigé. Il a prêté serment à la République et ses partisans ont attendu en vain qu’il proclame le retour de la monarchie. Pour Siméon II, « cette idée n’aurait pas manqué de réveiller un esprit de division et de déstabiliser l’ordre constitutionnel qui venait à peine d’être adopté. » L’économie bulgare n’aura de cesse de dégager des excédents budgétaires et le niveau de vie dans le pays, de demeurer toujours aussi bas. C’est la déception chez les Bulgares qui sanctionnent sa politique lors des élections de 2005. Entre libéralisme et socialisme, les Bulgares choisiront la deuxième option. Siméon II, qui exècre toute forme de nationalisme, a vu son parti être taxé de populisme durant la campagne et bien qu’il ait perdu 67 sièges, celui-ci reste encore la deuxième force politique du pays. Les socialistes décident de former une coalition avec le parti de l’ancien monarque qui obtiendra les postes de vice-Premier ministre, celui de la Défense, de l’Intérieur, de l’Administration et des Affaires européennes. L’accroissement du taux de chômage et de la corruption laminera la coalition en juillet 2009. Pire, le parti de Siméon est exclu totalement du Parlement. C’est une défaite qui le contraindra à démissionner des instances dirigeantes de son parti.
Officiellement retiré des affaires publiques, l’ombre du roi pèse toujours sur la politique bulgare. Le gouvernement de Boïko Borissov, l’ancien maire NSDV de Sofia et ancien garde du corps du roi, tente de récupérer les palais de Siméon II. L’affaire sera portée devant les tribunaux tandis que le pays s’enfonce lentement dans une crise institutionnelle qui perdure encore. En novembre 2013, Siméon II se sent obligé d’appeler tous les partis au dialogue et redevient peu à peu incontournable bien qu’il se défende quotidiennement de vouloir organiser son retour aux affaires de l’État.Le 18 avril dernier, le Mouvement (monarchiste) national pour la stabilité et le progrès (ex-NDSV), qui conserve encore une centaine de mairies, a appelé au cours de son congrès Siméon II à se présenter aux élections. Quelques jours auparavant, l’ancien Premier ministre Sergueï Stanichev avait invité et s’était entretenu lui-même avec Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha quelques minutes durant le congrès du Parti socialiste. Le début d’un renouveau politique qui pourrait mener à la restauration de la monarchie ? À la question « Avez-vous projeté de rétablir un jour la monarchie ? » posée par le journal belge L’Éventail en novembre 2014, Siméon II, qui cite régulièrement Louis-Philippe d’Orléans en exemple, avait répondu : « J’ai trop de respect envers les Bulgares pour leur imposer un système en bloc. Ils ont vécu quarante ans d’isolement total et de critiques anti-monarchiques. Pour le moment, la République et la démocratie fonctionnent et c’est le plus important. Et puis, le pays était confronté à des défis bien plus essentiels que le rétablissement de la monarchie. ». Destin singulier d’un homme qui reste le seul roi à avoir été Premier ministre après cinquante ans d’exil et dont le dernier chapitre reste encore à écrire.
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Publié en 2016 sur le blog Voie Royale