La victoire des partis nationalistes flamands aux dernières élections fédérales a fait resurgir le spectre d’une crise politique dans le royaume de Belgique et les menaces de sécession de la Flandre. Le roi Philippe va devoir démontrer une nouvelle fois toute sa capacité à unir derrière lui une région qui regarde toujours la monarchie avec méfiance depuis deux siècles.
En 1830, la Belgique décide de se séparer des Pays-Bas qui administraient historiquement cette partie de l’Europe. Transformée en monarchie sous la coupe des Saxe-Cobourg-Gotha, le nouveau royaume se divise alors en trois régions spécifiques qui perdurent encore de nos jours : la Flandre (néerlandophone), la Wallonie (francophone) et Bruxelles (bilingue). Au fil des décennies, qui vont se succéder, le ressentiment flamand à l’égard de la royauté va s’accentuer en raison d’une élite dirigeante majoritairement francophone. L’émergence du mouvement nationaliste, qui gagne en puissance avec les deux Guerres mondiales et la crise royale de 1950, a fini par créer un fossé irréconciliable avec l’institution royale qui tente de maintenir tant bien que mal l’unité du pays. Les crises politiques belges, comme celle de 2010-2011 où la royauté est restée sans gouvernement pendant 541 jours, ont mis en lumière ce rôle crucial joué par la monarchie en Belgique.
Un monarque qui doit assurer l'unité de son jeune royaume
Monté sur le trône en 2013 après l’abdication de son père, le roi Albert II, le roi Philippe a toujours maintenu une position de neutralité, évitant les déclarations polémiques dont il avait gratiné la presse lorsqu’il était prince héritier. Son mariage avec Mathilde d'Udekem d'Acoz (51 ans), dont la famille réside en Flandre, a également permis à la monarchie de redorer un blason quelque peu terni dans la région. S’exprimant en flamand, avec un léger accent français, il participe régulièrement à des événements culturels et historiques en Flandre, permettant ainsi de renforcer les liens avec cette partie de la Belgique. De nombreuses actions qui ont « bluffé » la presse néerlandophone généralement acerbe vis-à-vis de ses monarques, devenue quelque peu « dithyrambique » à l’égard du roi Philippe (53 ans).
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La poussée des partis nationalistes aux dernières élections fédérales
En Belgique, le vote est obligatoire pour tous, excepté pour le roi des Belges et son épouse. Le 9 juin 2024, coïncidant avec le scrutin européen les sujets du roi Philippe ont été appelés à renouveler le Parlement fédéral. Une élection marquée par la légère poussée des partis nationalistes flamands conduits par la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) et le Vlaams Belang (VB) qui ont respectivement obtenus 24 et 20 sièges, par le Mouvement Réformateur (centre-droit) pour la Wallonie (26 sièges). Conformément à la Constitution, le souverain a convoqué les différents leaders des partis politiques pour « consultation ». Après plusieurs heures d’entretiens avec chacun d’entre eux, il a décidé de confier la mise en place d’un rapport d’information, en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, à Bart De Wever, dirigeant de la N-VA. Ce dernier (qui avait boycotté la cérémonie d’intronisation du monarque en 2013) devra rendre sa feuille finale, le 26 juin prochain. Selon toute vraisemblance, le leader autonomiste devrait appeler à la formation d’une coalition (déjà baptisée par les médias belges du nom d’Arizona), qui regrouperait, outre la N-VA et le MR, le parti des Engagés (ex-parti des Sociaux-démocartes chrétiens), les socialistes de Vooruit et les Chrétiens-démocrates du CD&V.
Le Vlaams Belang, une épine dans le pied des Saxe-Cobourg Gotha
Exit donc le Vlaams Belang qui voit aussi la porte du pouvoir lui glisser entre les mains en Flandre. Le parti d’extrême-droite a été porté sur les fonts baptismaux en 2004 après la dissolution du Vlaams Blok connu pour avoir réclamé l’abrogation du décret de novembre 1830 « portant exclusion perpétuelle de la famille d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique ». Dirigé par un controversé Tom Van Grieken, trentenaire sur la fin, l’homme politique belge le plus populaire sur les réseaux sociaux a réussi à dédiaboliser son parti sans renier aucunement son socle fondateur. Le VB, qui pointe régulièrement du doigt les difficultés économiques de la Wallonie, s’irrite de devoir compenser les factures de cette région, surfant sur le sentiment irrédentiste présent en Flandre. Un mouvement accusé par son opposition d’être islamophobe, liant la montée de l’insécurité à l’accroissement de l’immigration (60% des Flamands et des Wallons réclament pourtant l’interdiction du voile islamique). Un parti nationaliste également soupçonné par ses détracteurs de vouloir la chute de la monarchie. En 2020, le Vlaams Belang avait d’ailleurs déposé un projet de loi réclamant la nette diminution des dotations attribuées aux « royaux », appelant la dynastie par leur patronyme de « Cobourg » avec un certain mépris.
En dépit d'une certaine méfiance, les Flamands attachés à la monarchie
Pour de nombreux Flamands, une réforme de la monarchie est nécessaire si elle veut être pérenne et doit adopter, selon eux, une forme plus protocolaire à l’image de nombreuses monarchies où les souverains ne jouissent d’aucun pouvoir autre que celui de représenter leur pays. Le quotidien Le Vif a publié un récent sondage sur l’avenir de la monarchie et s’est intéressé à la position des Flamands. Si les Belges ne plébiscitent pas l’institution royale, ils conservent pour elle une certaine affection et une fidélité. Les chiffres restent cependant sans appels. Seuls 46% des Flamands souhaitent son maintien contre 57% des Wallons. 58% des électeurs du Vlaams Belang préfèrent même la République à une royauté qui se défend toujours de tout favoritisme en faveur des francophones. La monarchie ne recueille que 28% (soit un quart) d’adhésion de la part des votants en faveur du VB. Un soutien qui tranche avec celui recueilli chez les partisans du N-VA qui ont seulement plus de 35% à souhaiter la fin de la monarchie. Il est pourtant peu probable que la Flandre fasse sécession en dépit des menaces qu’elle fait peser. Un argument avancé pour obtenir plus d’autonomie vis à vis du gouvernement central que la N-VA et le VB regardent avec méfiance. A peine 40% des Flamands interrogés sur cette question sont favorables à l’indépendance, une courte majorité préférant la sécurité et la stabilité de la monarchie à un avenir incertain ou une absorption aux Pays-Bas qui ne revendiquent pas la Flandre pour autant.
Reçu pour la seconde fois par le roi Philippe en cinq ans, l’entretien avec le monarque n’a duré que 25 minutes. Tom Van Grieken n’a pas fait de commentaires à la sortie du Palais royal, expliquant juste que le souverain s’était borné à l’écouter. La remise du rapport d’information devrait avoir lieu le 26 juin prochain. Il appartiendra dès lors au fils du roi Albert II à démontrer sa capacité à rassembler les différents partis politiques sous la bannière royale afin de préserver cette unité si fragile sans ostraciser les partis nationalistes qui n’attendent qu’une occasion pour exploiter les failles de la monarchie et tenter de réduire les pouvoirs du roi Philippe et de ses successeurs.
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