Il n’est pas une rue de Vienne qui ne sente pas le parfum de la monarchie défunte des Habsbourg-Lorraine. Dans la capitale autrichienne, les portraits de Sissi et François-Joseph, le couple impérial dont l’histoire fut romancée à outrance et mis sur le grand écran par la magie d’Ernst Marischka, ornent toutes les vitrines des magasins. Le nom de cette famille, dont l’origine serait suisse ou alsacienne, on ne sait plus trop vraiment, prête encore aujourd’hui à tous les fantasmes alors que l’Europe est entrée de plein fouet dans le XXIème siècle. Cent ans après la chute de la monarchie, tous ne rêvent pas de retour à la monarchie. Ou presque. Ils sont pilotes de course, experts en droit, politiciens ou même prêtres, ils incarnent cette nouvelle génération d’archiducs nés au sein d’une maison impériale et royale d’Autriche –Hongrie dont la devise reste toujours « AEIOU » : Il appartient à l'Autriche de commander à tout l'Univers !
Il a 21 ans et s’appelle Ferdinand-Zvonimir. Un nom d’empereur-roi dirait certains connaisseurs de l’histoire des Habsbourg-Lorraine. Lors des cérémonies organisées par les diverses associations monarchistes de l’ancien empire dualiste, on le traite avec déférence. Avec son 1 mètre 85, il impose autant par sa taille que par le titre qu’il porte. Ce jeune homme au sourire facile, que l’on pourrait confondre avec n’importe quel adulescent de son âge, n’est autre que le fils de l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine, le prétendant au trône. La politique ? Très peu pour lui ou alors le service minimum requis avouait-il en 2015, fraîchement majeur. Sa passion ? Le Karting et la formule 1. Talentueux, il a été repéré par une célèbre écurie, Carlin Motosport, brûle le bitume en monoplace accumule les succès. 4 podiums en 2017 et une victoire à Spa. Non sans quelques accidents comme en 2015 où il frôlera la mort lors d’une course. C’est un habitué d’Instagram, (@fhabsburg62), des réseaux sociaux en tout genre, plus de 7000 personnes le suivent quotidiennement. Son père le soutient. « Les lauriers ne sont pas héréditaires et rien ne justifie que l’on se repose dessus » avait dit une fois l’archiduc Karl.
Le casque du prince est orné d’un aigle à deux têtes stylisé. Car tout pilote qu’il soit, Ferdinand-Zvonimir n’oublie pas ses racines pour autant. Chaque référence qu’il donne lors de rares interviews est un extrait de l’aventure de ces Habsbourg-Lorraine qui régnèrent sur un empire dont le soleil ne se coucha jamais. Faut-il l’appeler Altesse impériale ? Il s’en amuse. «Non, je ne peux pas porter ce titre, vous savez bien que je serais condamné à payer 18 euros d’amende » ricane- t-il, un brin rebelle, devant le journaliste du journal « Krone » qui l’interrogeait en juin 2015 et qui avouait une petite passion pour la ville de Salzbourg. Le retour de la monarchie ? « Je porte le nom des Habsbourg et j’en suis fier. Il me reviendra d’écrire un jour un nouveau chapitre de son histoire » a t-il affirmé récemment au Salzburger Nachrichten (mai 2018). De quoi ravir ses partisans qui s’inquiétaient. Le prince a grandi.
Ils sont à peu près 500 membres de cette famille aux destins divers et fascinants à porter le nom de cette maison prestigieuse. Et autant de branches cadettes qui ont colonisé les 5 continents de la Terre. Johannes de Habsbourg-Lorraine est l’arrière-petit-fils du dernier couple impérial. Il est né en 1981 et a été élevé dans la tradition catholique, une religion indissociable de la dynastie. Il passe une partie de sa jeunesse à Fribourg, se destine aux métiers de la banque et s’installe à Paris. « Prestige, argent, visibilité, j’ai trouvé tout ce que je cherchais » avouait-t-il il y a peu. Et il a rencontré Dieu. Lui qui allait à la messe par esprit de famille, qui avait suivi en la béatification du dernier empereur Charles Ier en 2004, qui n’avait d’yeux que pour les courbes de ses amies, décide subitement de consacrer sa vie à la religion. Personne n’y trouve rien à redire. Pourquoi le ferait-on ? De Vienne à Jérusalem, les Habsbourg portèrent l’oriflamme de la défense des chrétiens. Encore aujourd’hui. Son cousin, Edouard est l’ambassadeur de Hongrie au Saint-Siège. Hier vilipendés, les Habsbourg ont été réhabilités à Budapest. Pourquoi un tel choix ? « J’ai lu à l’âge de 16 ans la biographie de mes arrière-grands-parents, Charles et Zita de Habsbourg, qui ont régné sur l’Autriche et la Hongrie. J’ai été extrêmement frappé de leur amour pour leur peuple et surtout pour les plus pauvres, qui provenait de leur foi très profonde. J’ai été encore plus frappé… par mon propre égoïsme ! A partir de là le combat spirituel a commencé dans mon cœur : tout pour les autres ou tout pour moi ? Mais à 19 ans, soucieux de me garder quand même un peu pour moi, je pars direction la finance en vue d’une « belle carrière ». Cette carrière s’ouvre effectivement après mes études à St-Gall avec une grande banque d’affaire américaine… Après une petite année, je déchante en moi-même : comment est-il possible de me sentir si seul et si vide intérieurement, alors qu’extérieurement je suis comblé en tout point ? Je me retrouve en 2005, totalement désabusé au sujet du sens de la vie, sur les bancs de l’Institut Philanthropos. Les prises de conscience affluent, d’abord intellectuelles : l’amour vrai existe, il a pour nom la « grâce » ; le vrai combat de ma vie n’est pas ma satisfaction personnelle, mais la recherche de Dieu et de sa volonté. Un matin, lors de la Messe, Jésus vient lui-même me dire toutes ces choses, mais non plus au niveau de la tête, mais dans le cœur… eh oui, car il est vraiment vivant ! C’est à partir de ce moment que j’ai sérieusement commencé à penser lui donner toute ma vie » racontait le jeune prince qui aura droit à deux pages au sein du magazine « Point de Vue ».
Johannes a été ordonné le 18 juin dernier au sein de la « fraternité Eucharistein, qui a pour mission l’adoration du Saint Sacrement et l’accueil de personnes en difficulté répondant à trois vœux: pauvreté, chasteté et obéissance » nous indique la revue Aleteia. Un prince tout en humilité qui veille désormais sur l’âme dévote d’un empire défunt. « La vraie noblesse, c’est Jésus » dit-il.
Florence, ville des Médicis mais aussi ville des Habsbourg. C’est au XVIIIème siècle que la maison impériale monte sur le trône d’un Grand-duché qu’elle gardera jusqu’en 1859 avant que le Risorgimento ne submerge toute la botte de l’Europe. Leopold regarde la Hofburg sans nostalgie. Il travaille comme expert en droit immobilier au sein du cabinet Sattler & Schanda. Père de 3 enfants, à 45 ans, il fuit les commémorations. On peut être prince et ne pas vouloir se replonger dans les affres d’une guerre qui a mis à mal l’empire et dont son cousin Karl, bataille ardemment pour que l’on cesse d’accuser l’Autriche d’être responsable du premier conflit mondial. « Je ne revendique rien, je ne porte même pas mon titre, la monarchie n’a pas vraiment d’importance aujourd’hui encore moins dans ma vie » affirme-t-il, pragmatique. Regrette-t-il pourtant son ADN ? « C'est fascinant, même d'un point de vue juridique, de lire d'anciens contrats familiaux. » dit-il. Et c’est bien ici que bat son cœur de Habsbourg.
Karl est conservateur européen, son cousin issu d’une branche cadette très ancré dans le combat pour la sauvegarde de l’environnement. Il n’est ni prince ni archiduc mais juste comte. Ulrich de Habsourg-Lorraine est le « Che Guevarra de l’écologie » au sein de la maison impériale. Son nom n’est pas un inconnu de ses concitoyens. Conseiller régional des verts en Carinthie jusqu’en 2010, il a donné des sueurs froides à l’extrême-droite très ancrée dans cette partie de l’Autriche.
Il est né en 1941, 3 ans après l’Anschluss de son pays par l’Allemagne nazie. A l’époque, on avait évoqué la restauration de la monarchie pour empêcher Adolf Hitler d’élargir son « espace vital ». La chancellerie viennoise y avait été favorable, mais avait trop tardé et tergiversé scellant le destin de l’Autriche. Il l'arrière-petit-fils du dernier grand-duc Ferdinand IV de Toscane et, en même temps, le neveu au troisième degré d' Otto de Habsbourg-Lorraine . Ce dernier exécrait tellement le leader nazi que lorsque le Reich décida de l’annexion de l’Autriche, son plan d’invasion fut baptisé du prénom de l’ancien prétendant au trône. Il tente de faire abolir la loi de 1919, la Habsburgergesetz, qui empêchait un Habsbourg de se présenter au poste de Président de la République. En octobre 2011, ce sera chose faîte….partiellement. Une révolution en douceur. Il a soutenu la candidature à la présidence d’Alexandre Van Bellen, élu, mais aujourd’hui, Ulrich de Habsbourg-Lorraine est un prince déçu de cette « petite république» comme il appelle l’état autrichien. Il avait espéré que le président tiendrait une promesse faite au détour d’un meeting de campagne. Un référendum sur l’éventuel rétablissement de la monarchie.
A peine 12% de la population autrichienne soutiendrait le principe de la restauration mais faute de leaders, de partis, les monarchistes font modestement campagne avec peu d’échos. « Sans les Habsbourg, il n’y aurait pas eu de république » martèle le comte. « La proclamation de la république a eu lieu en accord avec le dernier empereur, sans révolution et sans effusion de sang » rappelle-t-il, espérant que le centenaire de l’armistice qui coïncide aussi avec celui la chute de la maison impériale sera aussi le moyen « aux autrichiens d’enfin assumer leur histoire ».
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Publié le 16/11/2018