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Monarchie ou République ? Un siècle de dilemme autrichien

Depuis 1918, l’Autriche vit en République, mais la nostalgie des Habsbourg perdure. De Charles Ier à Otto de Habsbourg-Lorraine, les Légitimistes ont rêvé d’un retour impérial. Aujourd’hui, le monarchisme n’est plus qu’un héritage culturel et mémoriel, ancré dans l’identité autrichienne.

Lorsque l’Empire austro-hongrois s’effondre en novembre 1918, sous le choc de la Première Guerre mondiale et des revendications nationales, l’Autriche se dote d’une institution républicaine à l’avenir incertain. Les partisans de la monarchie dualiste sont nombreux, la noblesse conserve ses privilèges. La République dirigée par les socialistes de Karl Renner s’empresse alors de faire voter une loi anti-Habsbourg (« Habsburgergesetze ») qui n’autorise les membres de la famille impériale à rester dans le pays qu’à la seule condition de renoncer à toutes prétentions au trône ou à leurs titres, à prêter serment à la République.

Au dernier moment, avant de quitter l'Autriche, le 24 mars 1919, l’empereur Charles Ier (1887-1922), dernier souverain de l’Autriche-Hongrie,  dénonce l’abdication qu’il avait été contraint de signer  : « Au moment même où je m'apprête à quitter l'Autriche allemande pour pénétrer sur le sol hospitalier de la Suisse, j'élève une protestation solennelle, en mon nom et au nom de ma maison, dont le souci constant a été le bonheur et la paix de ses peuples, contre toutes les mesures qui violent mes droits souverains séculaires et que le gouvernement, l'Assemblée nationale provisoire et constituante de l'Autriche allemande, ont prises depuis le 11 novembre 1918 et qui ont été annoncées pour l'avenir, telles que la destitution et l'expulsion de moi-même et des membres de la maison de Habsbourg-Lorraine. ».  L'Autriche avait oublié qu'il avait tenté de mettre fin à ce conflit meurtrier (1917) et qu'il avait tenté de réformer l'empire afin qu'il n'éclate pas en une multidtude de nations. 

D’une grande piété, Charles Ier tentera vainement par deux fois se recouvrer son trône en Hongrie (1921). Il meurt en exil, à Madère,  sans jamais avoir revu l’Autriche. C’est son fils, Otto de Habsbourg-Lorraine (1912-2011) qui va alors incarner les espoirs des Légitimistes, ces monarchistes partisans d’un retour de l’Empire des deux côtés du Danube.

L’entre-deux-guerres : une tentation monarchiste

Durant les années 1920 et 1930, plusieurs mouvements émergent et militent pour un retour à la monarchie, perçue comme garante d’unité nationale et d’un équilibre entre les peuples de l’ancien empire. L’Action autrichienne, qui puise ses origines dans sa consœur française, tient haut le pavé et nombreux de ses membres seront parmi les fondateurs du parti conservateur OVP. Citons encore l’Anneau de Fer, la Force de défense patriotique « Ostmark », le Groupe de travail austro-légitimiste, le Mouvement de jeunesse autrichien « Ottonia », parmi les nombreuses ligues et associations qui luttent pour l'idée monarchique.

En 1932, l’arrivée au pouvoir du chancelier Engelbert Dollfuss est une source d’espoirs pour les Légitimistes. L’Autriche est alors frappée de plein fouet par la crise de 1929. Sa politique d’austérité va permettre au pays de se redresser mais n’échappe pas aux méfaits du parlementarisme. Dolfuss finit par mettre fin à la République et à imposer une dictature, attaquée tant par les républicains que par les nazis qui essaiment en Autriche.

Il sera brutalement assassiné par les nazis qui tente de s’emparer du pouvoir (1934). Son successeur Kurt Schuschnigg instaure un régime autoritaire, le « Ständestaat » (État corporatif). Bien que non monarchique, ce régime s’inspire d’une certaine nostalgie impériale et cherche à se démarquer du nazisme allemand par une identité autrichienne distincte, parfois teintée d’habsbourgeoisme. On évoque la restauration de la monarchie au plus haut niveau de l’état. Otto de Habsbourg-Lorraine plaide alors pour que le dirigeant autrichien lui cède le pouvoir. Le chancelier lui déclare que l'abrogation des lois des Habsbourg et l'instauration de la monarchie en Autriche étaient, pour lui, « une religion pour laquelle il se battait depuis 1920 ».  Otto Habsbourg-Lorraine et Schuschnigg, ainsi que le chef de la Heimwehr Rüdiger (von) Starhemberg, se rencontrèrent à plusieurs reprises durant cette période, mais sans parvenir à une avancée décisive sur la question de la restauration.

L’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich en 1938 (Anschluss) va balayer momentanément toute perspective monarchiste. Peu de temps avant l’inéluctable, Otto Habsbourg-Lorraine saisit l'occasion de se positionner politiquement. Il présenta un plan pour sauver la patrie, proposant à Schuschnigg de le nommer chancelier afin de « remplir son devoir de fils de l'empereur martyr Charles, de fervent patriote autrichien et d'empereur légitime de ce pays ». Tout est de bon augure mais face à la menace des canons allemands, Schuschnigg hésite, tergiverse, pense pouvoir sauver la situation. Trop tard.

Les Habsbourg, souvent hostiles à Hitler, se retrouvent une nouvelle fois en exil, certains membres de la famille rejoignant même la résistance et les armées alliées, d’autres sont arrêtés comme les Hohenberg, fils de l’archiduc François-Ferdinand assassiné à Sarajevo en 1914, envoyés en camp de concentration.

Après 1945 : le retour impossible

La Seconde Guerre mondiale terminée, l’Autriche renaît comme République, sous occupation alliée jusqu’en 1955. Les Habsbourg tentent de revenir sur la scène nationale. Otto de Habsbourg-Lorraine incarne cette renaissance monarchique. Figure charismatique, polyglotte et profondément européen, il se positionne comme un intellectuel et homme politique moderne. Ennemi public numéro 1 des nazis, il s’efforce de maintenir tout au long du conflit l’Autriche dans le camps des Alliés.  Il fait campagne à New York pour le report ou l'arrêt des bombardements sur l'Autriche (1943). Le projet de Winston Churchill, Premier ministre britannique, de créer une Fédération du Danube sous la direction des Habsbourg, accroît les chances de restauration. Il sera finalement relégué aux oubliettes à la Liberation de l’Europe.

Le retour de Karl Renner aux affaires du pays n’augure rien pour le mouvement monarchiste qui a considérablement souffert durant l’Anschluss. Ils doivent se réorganiser alors que la « Habsburgergesetz » demeure.  Otto doit alors officiellement renoncer à toute prétention au trône pour pouvoir revenir en Autriche en 1961. Ce renoncement symbolique lui ouvre les portes de la vie publique, mais enterre juridiquement toute perspective de restauration monarchique. Du moins dans les faits des textes car dans la réalité, l’archiduc jouit d’une forte popularité. De nombreuses villes le font « citoyen d’honneur », irritant au passage la Seconde république. Son retour en 1966 va provoquer un large débat. La gauche autrichienne parle de coup d'État légal et organise des manifestations ouvrières contre l'archiduc.

Plutôt que de se cantonner à un rôle nostalgique, Otto de Habsbourg-Lorraine se réinvente comme acteur majeur de la construction européenne. Député européen de la CSU bavaroise (1979-1999), il devient l’un des défenseurs ardents de l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, fidèle à l’héritage multinational de l’Empire austro-hongrois, prenant la présidence de de l'Union paneuropéenne. Un poste qu’il occupe jusqu'en 2004. Son engagement va contribuer à maintenir une mémoire monarchique vivante, mais déplacée du champ strictement autrichien vers une perspective continentale. Otto est alors perçu davantage comme un intellectuel humaniste qu’un prétendant en exil.

Un monarchisme nostalgique mais marginal

La famille impériale, toujours nombreuse, conserve une certaine visibilité mais avec des nuances. Karl de Habsbourg-Lorraine (né en 1961), fils d’Otto et actuel chef de maison, poursuit l’engagement européen de son père. Président de l’ONG Blue Shield International, ancien député européen (1996-1999),  il œuvre à la protection du patrimoine culturel dans les zones de conflit et se fait le porte-parole à travers des interviews et de différents communiqués d’une Europe unie où les Habsbourg ont leur rôle à jouer (trois de leurs membres sont ambassadeurs et un autre a été députée en Suède entre 2006 et 2014). En Autriche même, le nom de la dynastie évoque davantage le tourisme, l’histoire impériale et la diplomatie culturelle que la politique. Les palais impériaux, de Schönbrunn à la Hofburg, attirent des millions de visiteurs, contribuant à faire de l’héritage monarchique un pilier de l’économie culturelle autrichienne.

Le monarchisme autrichien, dans sa forme politique, est aujourd’hui marginal. La République est solidement installée, et aucune force parlementaire ne plaide pour un retour de la monarchie. Le prétendant lui-même est peu présent dans les médias et son héritier, l'archiduc Ferdinand-Zvonimir, peu impliqué dans son rôle. Pourtant, l’idée impériale hante toujours l’imaginaire collectif : elle nourrit une mémoire commune, un certain romantisme politique et un attrait pour une époque où Vienne rayonnait au centre de l’Europe. Dans l’opinion publique, de Vienne à Budapest en passant par Prague, villes qui comptent éaglement des mouvements monarchistes, les sondages montrent une attache sentimentale aux Habsbourg, notamment autour de figures comme l’impératrice Sissi ou François-Joseph. Les cérémonies dynastiques, funérailles ou mariages de la maison de Habsbourg, attirent encore l’attention médiatique et suscitent une certaine ferveur populaire. 17% des Autrichiens souhaitent le retour d’une monarchie, particulièrement nombreux en Autriche orientale (Basse-Autriche et dans le Burgenland). Cependant, au moins 18 % souhaitent que les Habsbourg regagnent davantage d'influence politique en Autriche, rapporte le journal Österreich.

Mais cette nostalgie culturelle ne se traduit pas par un mouvement politique organisé capable de contester la République. Le parti Alliance Noir-Jaune, fondé en 2004, n’a jamais obtenu le quorum nécessaire pour présenter des candidats aux différentes élections. Il a progressivement perdu en visibilité et reste très minoritaire, sans soutien réel du prétendant au trône austro-hongrois. Il est parrainé aujourd’hui par Ulrich de Habbourg-Lorraine qui a réussi à faire casser la loi anti-Habsbourg  et qui permet à un Habsbourg de se présenter à une élection présidentielle (2010). Tout espoir n'est donc pas perdu pour les monarchistes qui se cherchent un prince pourt redorer le blason de la monarchie dualiste défunte.

Plus qu’un projet institutionnel, le monarchisme autrichien est devenu un patrimoine vivant, oscillant entre nostalgie et modernité. L’héritage habsbourgeois continue de structurer l’identité autrichienne et européenne, rappelant qu’au cœur de l’histoire se loge parfois la permanence des symboles.

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Date de dernière mise à jour : 16/09/2025