La “Commission florentine” : l’État autrichien face au legs impérial
La “Commission florentine” : l’État autrichien face au legs impérial
Un siècle après leur disparition, des bijoux emblématiques de la maison de Habsbourg, dont le mythique diamant Florentin, ont ressurgi… au Canada. Cette réapparition a relancé un débat sensible mêlant histoire impériale, droit patrimonial et mémoire nationale. Une commission d’enquête a été ouverte par le Ministère autrichien de la Culture.
La nouvelle a l’effet d’un coup de tonnerre dans les cercles historiques et monarchiques européens : des bijoux ayant appartenu à la dynastie des Habsbourg, considérés comme perdus depuis la chute de l’Empire austro-hongrois en 1918, ont refait surface au Canada. Parmi eux figure l’un des joyaux les plus célèbres d’Europe : le diamant Florentin, pierre jaune exceptionnelle, entourée d’une aura quasi légendaire.
C’est Karl de Habsbourg-Lorraine, petit-fils de l’empereur Charles Ier, 64 ans qui a confirmé l’information lors d’une interview accordée à l’émission d’information autrichienne ZiB 2, le 11 novembre 2025. Une révélation soigneusement préparée, selon lui, après de longs mois d’analyses historiques et juridiques. « Il a fallu du temps pour étudier les documents et choisir le moment opportun pour rendre cette information publique », a-t-il expliqué.
Bijoux privés ou patrimoine d’État ?
Contrairement aux joyaux de la Couronne, exposés au Trésor impérial de la Hofburg et propriété incontestée de l’État autrichien, les bijoux aujourd’hui au cœur d’une controverse sont présentés par la famille Habsbourg comme des bijoux privés de la maison impériale.
Ces pièces comprennent : des pierres précieuses montées portées lors de cérémonies dynastiques, des bijoux transmis de génération en génération au sein de la famille,et surtout le diamant Florentin. Une pierre de plus de 137 carats, célèbre pour sa couleur jaune pâle, sa taille unique et son histoire mouvementée qui aurait appartenu à l’origine aux Médicis, grands-ducs de Toscane, avant de passer dans le patrimoine des Habsbourg-Lorraine au XVIIIᵉ siècle, lorsque François-Étienne de Lorraine épousa l'impératrice-reine Marie-Thérèse d’Autriche (1736).
C’est précisément sur ce point que le débat se cristallise. L’actuel prétendant au trône austro-hongrois est catégorique : « Ce ne sont pas des joyaux de la Couronne. Ces derniers sont actuellement accessibles au public. Ici, ceux-ci sont des bijoux privés de la famille. ». Une affirmation contestée par plusieurs historiens, qui rappellent qu’en 1918, au moment de la chute de la monarchie, les bijoux de la famille impériale étaient conservés au château de Schönbrunn, tandis que ceux de la Hofburg relevaient du patrimoine étatique. Pour eux, la frontière entre biens privés de l’empereur et biens de l’État reste floue.
Le diamant Florentin concentre à lui seul toutes les tensions entre les Habsbourg et la République fédérale d’Autiche. Les historiens soulignent que son origine toscane pourrait invalider toute revendication privée. Karl de Habsbourg-Lorraine réfute ces doutes : « Dans tous les documents de l’époque, ces bijoux sont mentionnés comme étant la propriété privée de l’empereur [Charles Ier-ndlr]. ». « François-Étienne de Lorraine a emporté cette pierre ainsi que d’autres trésors des Médicis. », poursuit-il. Une version qui, juridiquement, complique toute revendication italienne. D’ailleurs, selon le prince impérial, les juristes italiens ne reconnaissent actuellement aucun droit légal de l’État italien sur la pierre.
Et s’il devait y avoir une contestation internationale ? L’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine se montre détaché : « Ces pierres ne m’appartiennent pas de toute faççn, mais à une fondation canadienne. », aujourd’hui responsable de la conservation des bijoux et de la gestion de tout litige éventuel. Une exposition au Canada est d’ores et déjà envisagée.
L’Autriche crée une commission d’enquête
Face à l’émotion suscitée par ces révélations, le gouvernement autrichien a réagi. Le 5 décembre, le ministre de la Culture et vice-chancelier social-démocrate (parti peu favorable aux Habsbourg) Andreas Babler a annoncé la création d’une commission indépendante, baptisée « Commission florentine », en référence au célèbre diamant.
Présidée par Wolfgang Peschorn, président du parquet financier, cette commission a pour mission de déterminer si la République d’Autriche peut légalement revendiquer ces bijoux, emportés à l’étranger en 1918 sur ordre de l’empereur Charles. Ses conclusions sont attendues à l’automne 2026. La commission s’appuiera notamment sur les travaux de Pia Schölnberger, spécialiste reconnue de la recherche de provenance, chargée de reconstituer le parcours exact des objets depuis la fin de l’Empire.
Au-delà des bijoux, l’affaire ravive une autre polémique : le rôle public de Karl de Habsbourg-Lorraine également Grand Maître de l’Ordre de Saint-Georges. Certains lui reprochent d’entretenir une symbolique monarchique, notamment à travers l’usage de titres historiques, voire même de songer à une présidence d'Autriche. Il a même été condamné à une amende pour le port de sa particule, interdite en Autriche, que l’on peut apercevoir sur son site officiel. L’intéressé balaie ces accusations : « Je ne me considère pas comme empereur, mais comme Karl (de) Habsbourg Lorraine intéressé seulement par l’histoire autrichienne et par la place actuelle de l’Autriche en Europe. ».
L’archiduc est impliqué dans les questions européennes dont il a été député entre 1996 et 1999, reconnu pour son opposition à la Russie. Président du Mouvement paneuropéen autrichien, de la question de la restauration monarchique, Karl de Habsbourg-Lorraine ne s’est jamais véritablement exprimé dessus, se contentant d’assumer son héritage. Il n’a par ailleurs aucun contact avec des associations monarchistes autrichiennes. Seuls 17 % des Autrichiens souhaitent le retour de l’institution impériale qui demeure encore un sujet clivant dans le pays.
En réalité, la réapparition des joyaux des Habsbourg dépasse largement une simple querelle de propriété. Elle interroge sur le rapport de l’Europe à ses anciennes dynasties, à la transmission des symboles de pouvoir et à la frontière fragile entre héritage familial et patrimoine national, la peur que ces dynasties nationales suscitent au sein d’un continent en proie à de multiples crises, qui pourrait basculer dans l'inéluctable à tout moment.