L'affaire Hohenzollern

Georg friedrich von preu en devant le portrait de guillaume iiL’affaire qui oppose l’ancienne maison impériale et royale des Hohenzollern et le gouvernement fédéral n’en finit pas de passionner et de diviser l’Allemagne. La révélation de négociations entre le ministère de la Culture et le descendant du Kaiser Guillaume II, pour la restitution de biens divers leur ayant appartenu, a provoqué un autre débat au sein de la société allemande. Celui de la responsabilité et de la participation de la dynastie Hohenzollern dans la montée du nazisme.

Depuis des années et dans le plus grand secret, le chef de la maison impériale des Hohenzollern, le prince Georg Friedrich von Preußen négocie avec le gouvernement fédéral allemand la restitution de meubles, peintures, objets historiques et des châteaux de Cecilienhof et de Lindstedt, anciennes possessions de sa famille. L’information a été révélée l’été dernier par le magazine « Der Spiegel » et n’a pas tardé à faire le tour de toute la presse nationale qui a crié haro sur l’héritier au trône. L’arrière-arrière-petit-fils du Kaiser peut-il décemment réclamer de nouveau ce qui est désormais une partie du patrimoine historique national depuis 1945 ?  En fond de toile de cette controverse épineuse, à laquelle le ministère de la Culture tente de trouver une solution, la question de la participation des Hohenzollern dans la montée du national-socialisme qu’ils ont financé. 

Le kronprinz guillaume premier a droite avec les saLa question de la restitution des biens appartenant aux Hohenzollern n’est pas nouvelle. Déjà en 1926, le sujet avait été largement débattu au parlement et les échanges avaient été vifs entre les monarchistes du Parti populaire national allemand (DNVP) et les communistes. Un référendum, suivi de la signature d’un accord la même année, avait permis aux Hohenzollern de récupérer toutes leurs biens immobiliers nationalisés peu de temps après la chute du Reich en novembre 1918. A cette époque, la République de Weimar a déjà sombré dans l’anarchie, incapable de stopper la montée des extrêmes qui se nourrissent de la frustration des allemands, soumis à l’humiliant «diktat de Versailles ». L’Allemagne fourmille de petits partis, mouvements, associations politiques en tout genre. Parmi eux, le parti national–socialiste (ou nazi) d’un certain Adolf Hitler, brillant orateur, qui attire autour de lui, aristocrates, bourgeois et autres industriels qui vont bientôt financer ses activités. Les Hohenzollern vont jouer la carte nazie, en particulier le Kronprinz Guillaume qui croit manipuler Herr Hitler. Ce dernier a su amadouer le fils du Kaiser en lui évoquant une éventuelle restauration de la monarchie, promesse qui n’est pas tombée dans l’oreille d'un sourd. Guillaume II et de son épouse Hermine de Reuss se mettent à espérer un retour triomphal, recevant officiels du parti au château de Doorn. Certains princes Hohenzollern n’hésitent pas à arborer la croix gammée en public tels que le prince Auguste- Guillaume ou le Kronprinz comme lors de ce défilé organisé en septembre 1933. L’héritier au trône paradant dans les tribunes aux côtés d’Heinrich Himmler, le fameux « docteur-la-mort » d’un nazisme arrivé au pouvoir 9 mois auparavant.  Le bruit des canons se fait déjà entendre au loin et le fils du Kaiser s’enthousiasme ouvertement des succès de Hitler. Peu de temps avant de mourir, Guillaume II enverra d’ailleurs un télégramme de félicitations au «caporal » pour ses succès en France.

Guillaume de hohenzollern et adolf hitlerCette attitude des Hohenzollern, bientôt exclus des postes importants au sein de la Wehrmacht et qui ne verront aucune dorure d’un trône ni de près ni de loi, divise toujours aujourd’hui. La loi de 1994 autorise tout citoyen allemand à faire valoir ses droits pour récupérer les biens dont il aurait été spolié soit par l’Allemagne de l’Ouest (RFA) ou celle de l’Est (RDA) à la condition de n’avoir jamais (ou sa famille) collaboré avec les nazis. Face au débat qui s’intensifie et faute de trouver un accord avec le prince Georg Friedrich von Preußen, l’état allemand a décidé de mandater deux historiens, Peter Brandt (Université de Hagen et fils du chancelier du même nom) et Stephan Malinowski (Université d’Edimbourg) pour trancher ce nœud gordien. La publication de leur rapport a été sans appels. Les Hohenzollern ont bien collaboré avec Hitler, exhumant de vieilles déclarations antisémites du Kronprinz qui exprimait également sa fascination pour le duce Mussolini ou son admiration sur cette « coexistence entre la monarchie et le fascisme ». Et bien que leur rôle ait été marginal, pour les deux historiens, les demandes des Hohenzollern doivent être déboutées.

Tous ne sont pas d’accords avec cette version de l’histoire.

Georg friedrich prince de prusse photo musee du chateauChaque camp affute ses arguments, publie ses expertises et contre expertises. Chez les Hohenzollern, on rappelle les actions du prince Louis-Ferdinand, le grand-père de Georg Friedrich von Preußen qui fut un résistant au nazisme et partie prenante de l’Opération Walkyrie, ce complot visant à éliminer Hitler et mettre fin au IIIème Reich en juillet 1944. Wolgem Pyta, éminent professeur de l’Université de Stuttgart affirme au contraire que le Kronprinz a tenté de saboter de l’intérieur les actions du parti nazi en maintenant l’indépendance des mouvements monarchistes et de la droite traditionnaliste. Un plan concocté par le fils du Kaiser pressenti pour se présenter à l’élection de 1932 afin de stopper l’avancée électorale du nazisme. D’ailleurs cet auteur réputé et connaisseur de la République de Weimar n’hésite pas à affirmer qu’en finançant les Sections d’Assaut (SA), il réduisait l’influence des Sections de Sécurité (SS), bras armé du futur Führer. Le Kronprinz à la tête d’un complot anti-nazi ? Christopher Clark qui officie à Cambridge a fait le même constat et produit un autre rapport largement favorable aux Hohenzollern. Cette thèse parue dans le « Frankfurter Allgemeine Zeitung » a « sidéré » une partie des allemands. Y compris le Bundestag qui s’est emparé du débat qui ravive de douloureuses blessures.

« La demande des Hohenzollern est une insulte à la république » peut-on lire dans le « Der Spiegel » sous la plume de Stefan Kuzmany qui s’attaque à « cette aristocratie et en particulier les Hohenzollern, qui sont une plaie pour notre pays ». Au parlement, les échanges ont été particulièrement intenses et retransmis publiquement à la télévision. Du côté de la droite allemande, CDU, FDP comme AfD, on assure le prince de son soutien quand le SPD et les Verts souhaitent que Berlin cesse immédiatement toutes négociations avec le rejeton impérial, invoquant le devoir de mémoire et réclamant que la cour suprême statue sur ce dossier avant  que toutes concessions  ne soient octroyées à Georg Friedrich von Preußen. Un prince qui se dit pourtant toujours prêt à un accord financier à l’amiable et estimé plusieurs millions d’euros. Ce que l’état fédéral se refuse à lui accorder.

CouronneDans les faits, les racines de l’affaire Hohenzollern sont encore plus profondes que cela. Elle ne concerne pas seulement les zones d’ombres de cette famille durant la période nazie, mais aussi bel et bien la place du patrimoine monarchique dans l'Allemagne démocratique d'aujourd'hui. Selon un sondage publié par Infratest Dimap, en février 2020, 53% des allemands sont opposés à toutes concessions aux Hohenzollern contre 33%. Même l’idée d’un retour à la monarchie ne convainc pas les allemands. A peine 15% des allemands, toutes générations confondues, souhaitent le retour d’un empereur sur son trône.  Afin de faire valoir ses droits, le prince Georg Friedrich von Preußen a expliqué sur son site officiel les raisons qui l’ont poussé à revendiquer les biens de sa famille, affirmant que les Hohenzollern restaient« attachés à un examen impartial des questions historiques qui seraient parties prenantes à leur demande de restitution fondé sur l'état de droit ». A ce jour, aucun accord entre les deux parties incriminées par cette affaire n’a pu encoure aboutir.

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Date de dernière mise à jour : 04/05/2020

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