« Il a de l'éducation et de la discipline, du flair et de l'esprit, de l'apparence. Son style et son engagement social sont exemplaires. Son Altesse Royale est déjà un atout. Nous n'avons plus besoin que d'un petit amendement constitutionnel et le tour sera joué »
Le président Joachim Gauck à propos du prince Franz de Bavière (2017)
Die Dynastie Wittelsbach ist abgesetzt !» (la dynastie des Wittelsbach est déposée !). Le même titre s’affiche partout, sur tous les principaux journaux de ce qui est l’ex-royaume de Bavière désormais. On y parle de république, de renouveau social, de démocratie, de révolution, de conseil d’ouvriers…Le Reich allemand s’effondre doucement ce 8 novembre 1918. Un siècle plus tard, que reste-t-il de l’héritage d’une maison qui a régné sur un état qui doit sa couronne à Napoléon Ier.
«Si le Freistaat Bayern», l’Etat libre de Bavière, était encore une monarchie, c’est le prince Franz qui régnerait aujourd’hui. Il a 85 ans, le port-altier, il incarne 7 siècles d’histoire d’une famille dont le nom a été synonyme de tous les fantasmes au cours du XIXème siècle. Arrière-petit-fils du dernier souverain de Bavière, il loge à Schloss Nymphenburg, le château-résidence d’été d’une lignée royale marquée par le sceau de la tragédie.
« Nous avons tous un grain dans la famille ! » aimait à dire le prince Charles-Théodore (1839-1909) en Bavière. Ce prince cadet de la maison sait de quoi il parle. Depuis son accession à la dignité royale par le bon-vouloir de l’empereur Napoléon Ier, pourfendeur du Saint-empire romain germanique en 1806, les Wittelsbach semblent être poursuivis par une malédiction. Louis Ier, à qui le Land doit son formidable trésor culturel et artistique, abandonne un trône en mars 1848 pour les formes généreuses d’une demi-mondaine, Lola Montès, qu’il va titrer « comtesse de Landsfeld ». La liaison est scandaleuse, tapageuse, menace même de déclencher une révolution. La froideur de son fils Maximilien–Joseph II tranchera avec l’esprit excentrique de son successeur Louis II qui monte sur le trône en 1864. La Bavière lui doit de nombreux châteaux aussi « extravagants que fantastiques » , inspirés par les grandes légendes de l’Allemagne médievale et mit en musique par le compositeur Richard Wagner. Doté d’une grande taille (1m90) et d’une « beauté angélique » selon les témoignages de l’époque, le roi est un homme rempli de contradictions. Anticlérical, il admirait l’œuvre de Dieu. Consacrée icône gay par excellence, il n’assumera jamais aucune de ses nuits avec le prince Paul von Thurn Und Taxis (certainement la plus passionnée et romantique de ses histoires), le ténor Albert Niemann, des comédiens, des barons ou ses écuyers. La liste de ses amants est aussi longue que cette dépression qui n’en finira pas de l’empâter. Il sera victime d’une intrigue familiale menée par le chancelier Bismarck soucieux de parachever l’unité allemande, en unifiant le sud catholique au nord protestant. Louis II s’y était toujours refusé.
Atteint de troubles fonctionnels et somatiques, pourvu d’un caractère paranoïaque et émotif, il sera déclaré fou, sa mort sera à l’image de ce souverain. Son corps retrouvé aux abords du lac de Starnberg (1866), en compagnie de son médecin, véritable garde-chiourme, reste encore entouré de mystères. Il avait tout juste 40 ans.
Son frère, Othon, proclamé roi, se prendra pour un loup, hurlant à la mort les soirs de pleine lune avant d’être enfermé à Nymphenbourg, en 1872. A Vienne, l’impératrice Elizabeth, « la Sissi de nos livres d’histoire » accuse le coup. Possédant le même tempérament mélancolique que ses cousins qu’elle adorait, refusant de vieillir, elle meurt assassinée à Genève en 1898, inconsolable de la mort de son seul fils, 9 ans auparavant, qui s’était suicidé avec sa maîtresse à Mayerling. Un autre assassinat organisé selon certaines théories. Lorsque Louis III monte sur le trône de Bavière en 1916, il est le régent de la Bavière depuis 4 ans. Il sera le dernier roi d’un pays qui sombre dans les affres d’une révolution, née au lendemain de la fin de la première guerre mondiale.
Les événements s’enchaînent. Le tombeur des Wittelsbach, Kurt Eisner, sera finalement assassiné en 1919 par un officier royaliste antisémite, une république des Conseils qui lève le drapeau rouge et qui sera rapidement réprimée, un gouvernement monarchiste (dirigé par le Bayerische Volkspartei) qui va diriger le pays d’une main de fer et qui s’opposera à Adolf Hitler. Lequel ne le leur pardonnera jamais lors son arrivée au pouvoir en 1933.
Le «national-socialisme a été une catastrophe pour l’Allemagne » déclarait le prince Franz au « Tags Spiegel » et qui n’adhère pas à cette vague de populisme qui traverse actuellement l’Allemagne. Lorsqu’Hitler s’installe à la chancellerie, il s’empresse de mettre fin au gouvernement bavarois, met en résidence surveillée les Wittelsbach avant de les envoyer dans plusieurs camps de concentration (dont celui de Dachau). « J’ai vu les horreurs, les meurtres de masse, je n’étais qu’un enfant de 7 ans qui jouait à côté d’un crématorium » ajoute le prince Franz qui rejette toute notion de nationalisme mais qui défend le particularisme bavarois avec fierté.
« Avons-nous seulement appris quelque chose ? » de ces guerres, semble dire à son interlocuteur le prince. « J’ai vécu la chute de l’Allemagne nazie comme une grande libération »
Il ne s’est jamais marié, a consacré sa vie à la protection de l’histoire et de la culture bavaroise. C’est un proche de l’Union chrétienne-sociale (CSU), un « amoureux de la démocratie » comme il se définit lui-même. « Il fait l’éloge de la constitution bavaroise », « un équilibre parfait » pour l’héritier au trône qui se bat contre les stéréotypes qui collent à la peau de ses concitoyens, tels que l’ Oktoberfest (fête de la bière), le Lederhose, cette culotte en cuir traditionnelle réputée et autres décolletés plongeants, marque charmante et indéniable de la « fräulein » bavaroise. Ils sont 14% à souhaiter le retour de la monarchie, 32% à vouloir un « Bayerixt », mais le prince Franz n’est pas un nostalgique ni un irrédentiste : Ich bin nicht traurig, dass ich kein König bin ! » (je ne suis pas triste de ne pas être roi ») disait –il d’ailleurs en 2016 au journal « Bayerische Staatszeitung ».
Franz de Bavière assume son rôle, ce lien entre l’ancien et le nouveau monde, il est assurément populaire. D’ailleurs lors de son 80ème anniversaire, c’est tout le gouvernement bavarois qui était venu le saluer comme un souverain en exercice, le ministre-président Horst Seehofer en tête. Une république courtisant ses anciens rois. 2500 personnes avaient défilé au château dont les gardes avaient revêtu les uniformes des régiments de l’armée royale de Bavière. « Je suis juste et je reste le duc de Bavière » affirme-t-il tout sourire, jouissant de la protection de l’église catholique avec laquelle il entretient des liens très étroits. La famille des Wittelsbach avait manifesté son soutien public au ministre président de la Bavière qui avait, en mars dernier, rétabli l’usage du crucifix dans tous les bâtiments publics de l’administration du Land.
Le nom du prince Franz a même été suggéré comme Président de l’Allemagne quand d’autres rêvent de le voir roi d’Angleterre dont par un truchement généalogique, il est le légitime héritier des derniers Stuarts. Une alliance du Chardon et la rose des York s’entremêlant avec le blanc et le bleu, couleurs nationales bavaroises et celle de la dynastie, mais dont le prince se défend de vouloir revendiquer quoique que soit. En 2017, la presse allemande se fait l’écho ce petit commentaire extrait d’un discours prononcé par le président allemand en personne et qui fut loin d’être passé inaperçu : « Il a de l'éducation et de la discipline, du flair et de l'esprit, de l'apparence. Son style et son engagement social sont exemplaires. Son Altesse Royale est déjà un atout. Nous n'avons plus besoin que d'un petit amendement constitutionnel et le tour sera joué » peut-on toujours lire sur le site officiel du gouvernement allemand. Que n’avait-on pas offert le poste de ministre –président déjà à son grand –père entre les années 1950 et 1960. Tous les espoirs de restauration de la monarchie réunis à Munich, la capitale.
Un monarchisme de façade, faisant de la maison royale presque un état dans l’état, qui n’est guère du goût de la gauche écologiste. Celle-ci a vainement tenté l’année dernière de faire abroger l’accord de 1923 qui lie l’état de Bavière aux Wittelsbach ou encore envahi en 2015 le château, accompagnés par des centaines de migrants qu’elle entendait reloger de force dans une partie du palais royal.
Lors du retour des Wittelsbach en Bavière et après avoir échappé aux Alliés qui voulaient le juger pour ses crimes commis dans le Nord de la France, cette partie de la France avec la Belgique et l’Alsace-Lorraine que la monarchie bavaroise aurait bien annexé selon une demande faîte au Kaiser en 1915, le prince héritier Ruprecht récupère ses meubles et châteaux, signant un accord avec le gouvernement qui lui accorde jouissance de ceux-ci et privilèges financiers. Annulé par les nazis, il sera remis en place en 1949 sans autre forme de discussion. Celui qui fut l’opposant numéro un au chancelier Hitler (le leader du part nazi déclarera d’ailleurs « si Ruprecht n’avait pas existé, j’aurais pris le pouvoir 10 ans plus tôt) s’était empressé alors de créer un fonds (le Wittelsbacher Augsleischfonds) protégeant joyaux de la couronne, tableaux de maîtres, statues grecques que l’on peut toujours admirer au château de Nyphembourg et tirant des revenus des terres agricoles qui sont toujours entre leurs mains.
Un actif qui représenterait pas moins de 14 millions de bénéfices annuels affirmait le journal « Sueddeutsche » en 2016 et qui fait encore aujourd’hui de la dynastie des Wittelsbach, un des maisons les plus royales du second Reich défunt.
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Paru le 09/11/2018