Un harem controversé

Couronnement de Rama XUn monarque, un harem et les dessous d’une fausse information ? Enquête. Venu se reposer dans un hôtel quatre étoiles, en Bavière, privatisé pour l’occasion, les vacances du roi Rama X de Thaïlande ne sont pas passées inaperçues en pleine crise du coronavirus. Et si certains médias se sont faits timidement l’écho d’une grogne estudiantine virtuelle, c’est la question d’un supposé harem accompagnant le souverain Chakri qui a occupé leur attention. Une polémique déclenchée et savamment distillée par des opposants à la famille royale. Parmi lesquels un journaliste controversé.

«Le roi de Thaïlande s'offre un confinement de luxe avec son harem » titre le magazine « Le Point », « Le roi de Thaïlande s’enferme avec un harem de 20 femmes dans un hôtel allemand » renchérit le magazine « Capital » ou encore le « Daily Mail » qui n’hésite pas à écrire que « Le roi de Thaïlande s’isole du coronavirus avec un harem ». En ce temps de confinement où le virus du covid-19 ne cesse d’occuper télévisions et radios, du matin au soir, les médias se sont jetés sur cette information comme des chiens affamés sur un os à moelle. La principale victime de la vindicte médiatique n’est autre que le fils du roi Bhumibol, souverain révéré de Thaïlande décédé en 2016. 

Prince héritier ou monarque, Rama X n’a cessé d’alimenter la presse par ses frasques en tout en tout genre et fait figure de « bad boy » du cercle fermé des monarchies. Son chien, Foo-Foo élevé au rang de maréchal, les tatouages temporaires apparents sous un débardeur et jeans serré laissant apparaître un début de fessier, les rivalités publiques entre ses épouses et ses maîtresses, qu’il étoffe autant qu’il renouvelle quotidiennement selon son bon vouloir, Maha Vajiralongkorn est devenu le candidat parfait pour alimenter les canards avides de scandales royaux ou sites du genre en mal de buzz. La princesse Sirasmi, apparaissant sur une vidéo, presque dénudée au cours d’une fête d’anniversaire, a fait les joies des chroniqueurs des magazines people. Depuis, la princesse a été reléguée en résidence surveillée et sa famille mis sous les verrous pour corruption et détournement de fonds.

Pourtant derrière le superficiel apparent, le roi Rama X est un souverain qui ne souffre pas ou peu contestation. Considéré comme un demi-dieu par les Thaïlandais, priés de se vêtir de jaune, la couleur royale, il a très vite bénéficié de l’appui de l’appareil militaire qui lui a permis de renforcer ses régalia et mettre quelque violents coup de canif à une monarchie constitutionnelle imposée à la maison royale. Nous sommes en 1932. Alors qu’il joue au golf sur le parcours installé dans son palais en bord de mer, à Hua Hin, le roi Prajadhipok est prié de rentrer « humblement » à Bangkok. L’armée s’est emparée du pouvoir et a fait arrêter tous ses proches. Il devra de renoncer à ses pouvoirs divins et signer l’acte de fondation de la monarchie constitutionnelle qui régit toujours l’ancien royaume du Siam.

Concubine royale au début du XXème siècleLa question du harem n’est pas nouvelle.  C’était une tradition au sein de la monarchie siamoise, notamment au début du siècle dernier, où le « palais de l’Intérieur » possédait sa cohorte de concubins (avec le très gay Rama VII) ou de concubines, en fonction des préférences sexuelles des souverains. Y compris au sein de la noblesse.

Cachés du regard des autres et confinés dans leurs chambres, l’Histoire a retenu quelques photographies de ces fameuses concubines royales à l’ambition acérée et que l’on appelait pudiquement les « sœurs du roi », parfois mineures, habillées de manière masculine. Et un livre célèbre, celui d’Anna Leonowens, perceptrice des enfants du roi siamois au prénom prédestiné de MongKut et heureux « mari » de 32 femmes. Il faut attendre le milieu du XXème siècle et la montée sur le trône de Rama IX pour que la coutume du Harem disparaisse au profit d’une domesticité ou de régiments militaires exclusivement féminins, attachés à la maison royale. On compte d’ailleurs un milliers de femmes sous l’uniforme des rangers thaïlandais, coupes au carré et à la taille mannequin. Ici, l’origine de toutes les rumeurs tant il est vrai que sexualité de l’actuel souverain de Thaïlande est un sujet largement commenté dans le royaume qui lui-même est très ouvert sur les questions sexuelles.

Avec 4 épouses successives et une ancienne maitresse officielle, qui a reçu le titre de « Noble royal Consort » du temps de sa brève splendeur (la publication des photos de sa garde du corps en brassière ont provoqué le crash du site officiel du palais), les rumeurs d’un renouveau du harem au sein du palais se multipliées. Rien ne plaide vraiment en faveur du souverain, décrit comme un « dépravé sexuel » par sa propre mère, l’influente reine Sirikit, selon un document récemment découvert et rédigé par l'ancien Premier ministre et chef du conseil privé Sanya. Dharmasakti.

20200416 073007Lorsque sort fin octobre 2014, le livre « A Kingdom in crisis » (Un Royaume en crise réédité depuis peu), c’est un véritable tsunami qui ébranle le palais royal de Bangkok. Son auteur, Andrew MacGregor Marshall, a quitté depuis le royaume. Journaliste à Reuter, il a claqué la porte de la célèbre agence qui a eu l’erreur de lui refuser la publication d’un article sur les dessous de la monarchie. Il en fera un livre « développant l’idée qu’une bataille de succession secrète explique la crise qui fait rage en Thaïlande depuis 2005 »   note une édition du « Monde Diplomatique » qui relève la « partialité » assumée de son auteur dans cette enquête à charge.

Un an auparavant, il n’avait pas hésité à accuser le roi Bhumibol d’avoir orchestré l’assassinat d son frère en 1946, le roi Rama VIII, dont le corps avait été retrouvé étendu dans une chambre d’hôtel, en Suisse. Autant d’accusations qui poussent le gouvernement royal à faire interdire le livre sacrilège, considéré comme « un danger pour la sécurité nationale et la tranquillité de la nation ». L’affaire dégénère lorsque le 2 juillet 2016, la police royale profite de la visite de son épouse thaï accompagné de son fils de 3 ans pour perquisitionner le domicile ou elle réside et de l’embastiller, enfant compris. Quelques heures mais assez pour que l’écossais voit rouge du tartan et se livre dès lors à une attaque en règle de la monarchie thaïlandaise qui l’a banni du royaume.

Depuis, Andrew MacGregor a fait de sa croisade contre le roi, une véritable obsession. Jusqu’à suivre heures par heures les trajets en avion et transit du monarque. Sa page Facebook, est constellée d’articles contre la monarchie et la maison royale, de témoignages qui accablent le souverain et qui restent pour beaucoup sujets à caution. Quand il ne partage pas des posts de l’ancienne première ministre Yingluck Shinwatra, renversée par les militaire en 2014 et membre du clan du même nom, notoirement hostile à Rama X dont Andrew MacGregor semble très proche .  

20200416 072939Du trash au vulgaire en passant par les photomontages grossiers du monarque « co(u)ronaviruser », il n’en pas fallu moins pour qu’il publie un dossier sulfureux sur les réseaux sociaux, affirmant l’existence d’un harem sexuel au sein de la maison royale. L’information a été rapidement distillée par plusieurs organes de presse y compris par un site spécialisé dans le Gotha qui s’est étrangement jeté dessus à gorge déployée. Est-il vraiment à l’origine de cette rumeur ? C’est encore lui qui nous l’indique, discrètement noyé dans le flot d’articles qu’il publie par jour.  

La source première de ces allégations, et de bien d’autres, n’est autre que le professeur Somsak Jeamteerasakul, un réfugié et exilé politique en France (depuis 2014), virulemment anti –royaliste. Ce dernier a publié, quant à lui, une série de photos (pris sur différents profils Facebook) de jeunes femmes supposées appartenir à l’establishment militaire (noms apparaissant sur un listing dont la provenance n’est pas certifiée) et que l’on voit coiffées sur le même modèle, toutes membres de la garde du roi, sacrées maîtresses officielles du roi par la magie du dieu Internet. Un poste partagé par 14000 personnes. En peu de temps, le supposé « harem » du roi est devenu une vérité inscrite dans le marbre de gratte papiers en mal de sujets. Sans que l’on ait vu le moindre minois féminin pointer le bout de son museau. Pis, Andrew MacGregor n’hésite pas à affirmer que le roi a contracté le HIV et son seul fils, le prince Dipangkorn Rasmijoti, atteint d’autisme, ou que  les « 20 (supposées) concubines auraient été droguées pour être placées dans une salle des plaisirs ». Ce qui expliquerait, selon lui, pourquoi le souverain viendrait en Europe depuis des années afin de se faire soigner en toutes discrétions. Reproduction des cables wikileaks à l’appui pour justifier ses dires, l’homme n’hésite pas à revendiquer la paternité des informations sur cette histoire de harem et, péchant par égocentrisme, s’irrite lorsqu’il n’est pas cité par ses confères ainsi qu’il le précise lui –même dans son message sur sa page, daté du 5 avril.

Difficile dans ces conditions de ne pas être tenté remettre en cause cette information d’un (prétendu) harem et qui semble être sérieusement sujette à caution. Entre vérité et manipulation, la frontière semble bien avoir été franchie par ce journaliste qui a de nouveau attiré l’attention du palais royal. Il y’a plusieurs jours, suite à la virulence de ses propos, Twitter lui a interdit tout accès au compte officiel de la famille royale de Thaïlande et il demeure définitivement banni du royaume pour crime de lèse-majesté. L’habit ne faisant pas le moine, la vérité n’est donc pas peut-être pas celle que l’on aimerait croire. En attendant, le roi Rama X est reparti entre temps en Allemagne, lassant la junte militaire reconverti en gouvernement civil, diriger le royaume en son absence.

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