La succession au trône de Thaïlande, un jeu de chaises musicales
La succession au trône de Thaïlande, un jeu de chaises musicales
Derrière les dorures du palais royal de Bangkok, un étrange jeu s’est mis en place pour la succession du roi Rama X. En dépit d’une ligne de succession qui semble fixée, rien ne semble acquis pour autant au sein de la monarchie thaïlandaise, qui pourrait être secouée par une crise dynastique au décès du souverain. Décryptage.
En Thaïlande, la monarchie est constitutionnelle et héréditaire. La ligne de succession est établie depuis des années. Au décès du roi Rama X, ce sera un de ses fils qui sera appelé à monter sur le trône de l’ancien Siam. Pourtant, derrière les dorures du palais royal de Bangkok, un étrange ballet feutré se joue où chacun commence à placer ses pions. Rien n’est joué pour le prince héritier Dipangkorn Rasmijoti, âgé de 18 ans, dont la position actuelle est incertaine. Le retour de son frère aîné sur le devant de la scène a rebattu les cartes d’un jeu qui ne laisse place à aucune faiblesse.
Une ligne de succession officielle mais...
Dipangkorn Rasmijoti est issu du troisième mariage de son père avec Srirasmi Suwadee. Dame de compagnie de Rama X, de condition modeste, diplômée en management des sciences, elle s’est glissée dans son lit et a réussi à passer la bague au doigt du monarque en 2001. Un mariage heureux qui s’est brutalement fini treize ans plus tard lorsque la presse a soudainement révélé que la famille de la princesse était compromise dans des affaires de corruption. Disgraciée immédiatement, envoyée en exil dans un couvent après avoir renoncé à la garde de son fils contre une rente substantielle, ses parents seront même arrêtés pour crimes de lèse-majesté, laissant Dipangkorn Rasmijoti seul dans le vaste complexe royal situé dans la capitale de la Thaïlande.
Un héritier sur une chaise bancale
On connaît peu de choses sur ce fils de Rama X, tant sa vie est entourée d’une brume mystérieuse. Tout au plus, sait-on qu’il est scolarisé en Allemagne, un pays que son père affectionne particulièrement. Ses rares apparitions sur la scène publique de son pays ont fait naître toutes sortes de spéculations sur sa réelle capacité à assumer ses fonctions. Selon une enquête du magazine BILDdatée de 2020, le prince héritier serait potentiellement atteint d’une forme d’autisme, reclus dans une villa somptueuse de Bavière avec pour seule compagnie quelques serviteurs et des camarades d’école. Des allégations qui ont été formellement démenties par la monarchie qui veille à maintenir cette atmosphère mystérieuse autour de cet héritier qui ne devrait pourtant plus avoir cette position si on se réfère à un article de la loi de succession au trône de 1924. Celui-ci stipule que tout divorce royal retire tout droit de monter au trône à l’héritier présomptif.
Une princesse royale révérée par les Thaïlandais
Dans le cas présent, le membre le plus proche du trône reste la princesse Maha Chakri Sirindhorn (née en 1955). Figure très populaire de la dynastie Châkri, il a été question de la faire monter sur le trône au moment où la santé du roi Rama IX, son père, déclinait progressivement. Une perspective impossible pour l’establishment militaire qui entendait rester légitimiste et favoriser le prince Maha Vajiralongkorn (Rama X), pourtant très peu apprécié des Thaïlandais en raison de son comportement autoritaire et peu moral. Il a même fallu l’intervention de l’influente reine Sirikit pour que le couronnement de Rama X soit bien sécurisé en 2016. Très discrète, la princesse Maha Chakri Sirindhorn n’a jamais fait mention d’une quelconque ambition pour le trône, se contentant de représenter la monarchie sur le plan local qu’à l’international. Surnommée « la princesse des anges » (Phra Thep), elle s’est fait remarquer lors de la crise Covid en s’impliquant fortement dans la protection des plus faibles face à la propagation du virus. Polyglotte, diplomate chevronnée, elle fait l’unanimité parmi les plus conservateurs des ultra-royalistes et chez les étudiants qui louent sa capacité d’écoute. En cas de décès prématuré du roi Rama X, contesté pour avoir renforcé son autorité sur le pouvoir royal, elle pourrait damer le pion à son neveu si un troisième larron n’était pas venu bousculer la ligne de succession. Dernièrement, les Thaïlandais n'ont pas hésité à faire bloc derrière elle en portant du violet, la couleur préférée de la princesse Maha Chakri Sirindhorn.
Une potentielle héritière à l'état de santé précaire
Bien avant la naissance de Dipangkorn Rasmijoti, Rama X a épousé la princesse Soamsavali Kitiyakara en 1977. Nièce de la reine Sirikit, le mariage a été rapidement désastreux. Il a toutefois accouché d’une fille, la princesse Bajrakitiyabha Mahidol, en 1978. Séparé, le couple a fini par divorcer en 1991. Les liens avec la reine-mère lui ont permis de conserver titres et prérogatives (dont celle de pouvoir élever sa fille) et d’embrasser une carrière artistique. C’est dans l’ombre de ses grands-parents que Bajrakitiyabha a été élevée. Diplomate, engagée dans la protection des femmes incarcérées, son profil a fait l’objet d’intenses interrogations, certains n’hésitant pas à la placer devant le trône au nom de son droit d’ainesse et au mépris des règles de primogéniture masculine. Le 14 décembre 2022, elle est victime d’un arrêt cardiaque et emmenée dans un hôpital de Bangkok. Ici aussi, son état de santé actuel demeure une énigme. Selon diverses sources, elle serait dans le coma sans espoir d’en sortir, selon d’autres, elle serait décédée. Plusieurs fois interrogés sur le sujet, le palais royal a refusé de faire le moindre commentaire, laissant toutes les théories se former sur les réseaux sociaux, parfois reprises par la presse people.
Le candidat mystère qui alimente toutes les spéculations
Tout à ses nombreux amours, Rama X va jeter son dévolu sur une actrice, Sujarinee Vivacharawongse. La relation n’est guère du goût de la reine-mère Sirikit, qui la condamne fermement mais doit plier l’échine face à la volonté de son fils de l’épouser. Le mariage ne sera guère plus heureux que le précédent. En 1996, elle s’enfuit vers le Royaume-Uni avec ses 5 enfants. Le scandale est de taille et il va falloir toute la diplomatie de la famille royale pour éteindre l’incendie et la colère de Maha Vajiralongkorn qui va jusqu’à faire placarder des affiches de son ex-femme, accusée d’adultère avec un sexagénaire maréchal de l’Air. La sanction est à la hauteur de l’affront. Ses 4 fils sont bannis de Thaïlande, leurs droits abolis et seule leur fille est autorisée à revenir dans le pays. Résidant aux États-Unis, on n’avait plus entendu parler d'eux jusqu’en août 2023 où Vacharaesorn Vivacharawongse, 42 ans, fils cadet du roi Rama X, a fait son apparition dans la monarchie.
Vacharaesorn Vivacharawongs, le joker de la monarchie
Un voyage de quelques jours a suscité un engouement inédit autour de Vacharaesorn Vivacharawongse, avocat de son état. Très rapidement, la presse locale s’est faite l’écho d'un possible changement de succession et d’un retour en grâce des quatre premiers fils du monarque. Un second voyage en décembre de la même année a encore plus nourri les spéculations autour de sa personne, d’autant qu’il n’a pas hésité à venir rendre hommage à son grand-père, Rama IX, haute figure révérée des Thaïlandais. Le 6 mars 2024, c’est avec un passeport thaïlandais que Vacharaesorn Vivacharawongse est retourné une nouvelle fois à Bangkok, multipliant les apparitions, s’affirmant comme le protecteur des traditions de son pays tout en précisant qu’il n’entendait rien revendiquer si ce n'est celui de s’établir en Thaïlande. « Personne ne m’a dit de venir. Je ne représente personne », a-t-il déclaré. « Je ne veux prétendre à rien. Je n'ai ni ressources, ni pouvoir », a-t-il ajouté dans une interview accordée au Bangkok Post. Sa page Facebook fait même pruve d'une intense activité depuis plusieurs semaines. Si le Palais royal s’abstient de faire le moindre commentaire, les médias continuent de s’interroger sur ces venues qu’il effectue.
Vacharaesorn Vivacharawongse reste cependant un mystère pour ses compatriotes. Les spéculations ont pourtant repris lorsqu’un média a révélé qu’il aurait été marié avec une Américaine dont il aurait eu des enfants. La loi de succession interdisant à tout prince de monter sur le trône s’il est uni à une étrangère, Vacharaesorn Vivacharawongse a pris soin de faire savoir qu’il était depuis divorcé. Désormais libre d’assurer une potentielle place d’héritier au trône si cela est la volonté de son royal paternel, il n’a pas hésité à réclamer un assouplissement de la loi décriée sur les crimes de lèse-majesté. Même s’il refuse de soutenir le moindre parti politique, c’est un premier pas en politique qui lui assure déjà une certaine popularité auprès des Thaïlandais pro-démocratie qui contestent l'autoritarime du souverain, pressés de voir un autre monarque succéder à Rama X.