«Votre Majesté, c’est une révolution ! » C’est un 68ème anniversaire bien terne que celui que s’apprête à fêter aujourd’hui le roi Rama X. Depuis plusieurs jours, la monarchie thaïlandaise doit faire face à d’intenses manifestations organisées contre le gouvernement du premier ministre Prayut Chan-o-cha. Alors que l’ancien Siam est entré en récession à cause de la crise du covid-19, les ultra-royalistes sont accusés d’avoir mis fin au système démocratique qui régissait le royaume depuis 1932. L’opposition réclame la démission du gouvernement et le retour à la monarchie constitutionnelle. A travers le Premier ministre, c’est aussi la loi de crime de lèse-majesté et le comportement du roi qui sont attaqués par les étudiants en colère.
Pour beaucoup de thaïlandais, Maha Vajiralongkorn Chakri est considéré comme un demi-dieu. Et critiquer aujourd’hui le représentant de cette dynastie, qui préside aux destinées de l’ancien Siam depuis le XVIIIème siècle, peut vous conduire directement en prison. Monté sur le trône en 2016, le pouvoir du roi Rama X a été considérablement renforcé grâce à une nouvelle constitution taillée sur mesure et qui ne laisse peu ou pas de place à l’opposition. La dernière élection législative a été entachée de fraudes et a solidement accroché l’ancien général putschiste Prayut Chan-o-cha sur un siège dont il s’est emparé deux ans avant la mort du père de l’actuel monarque. Pis toute opposition (que ce soit au sein de la maison royale ou dans les urnes) a été presque interdite grâce à d'habiles procès judiciaires. Depuis plusieurs jours, c’est un sentiment de colère qui a submergé les étudiants dans les principales villes de Thaïlande. Vidéos et photos des manifestations ont été savamment relayées sur les réseaux sociaux (avec le hashtag #Libérationdesjeunes [(#????????????]) qui accusent le gouvernement ultra-royaliste et le roi d’avoir instaurés une véritable dictature. Souvent comparé au roi Charles X dans la presse (ou Louis XIV en Allemagne) pour son attitude désinvolte, revancharde et frivole, le souverain va-t-il être la victime d’une révolution qui ne dit pas encore son nom presque deux siècles, jour pour jour, après celle qui mis à bas ce roi français ?
Les slogans ne font pas mystères des doléances estudiantines qui ont répondu aux appels du mouvement Jeunesse Libre, des associations des jeunes LGBT et de l’Union des étudiants thaïlandais, tous rassemblés autour du monument de la Démocratie. Tout en conspuant le gouvernement et brûlant des portraits du général Prayut Chan-o-cha, les sujets du roi Chakri réclament plus de démocratie et le respect du jeu électoral. La crise du covid-19 a accentué le ressentiment contre le monarque qui avait décidé de partir (avec son immense suite) pour s’enfermer dans un hôtel luxueux ,en Bavière (Allemagne). Un voyage qui avait créé un malaise chez les thaïlandais obligés de se confiner alors que le roi faisait les titres de la presse à scandale et l'objet de quelques articles aussi sulfureux que mensongers. Véritable moyen de répression, la loi de crime de lèse-majesté a été dernièrement retoquée afin de calmer les clameurs de la rue. En vain. Un simple commentaire ou une critique contre le roi pouvant vous envoyer en prison ou même dans un hôpital psychiatrique, la loi avait généré un véritable climat de terreur dans le royaume. L’importance des manifestations sont assez inquiétantes pour que le palais royal s’en effraye. Le 24 juillet, le chef de l'armée, le général Apirat Kongsompong a pris la parole et averti solennellement les étudiants. «J’aimerais demander aux citoyens thaïlandais de prendre du recul et de réfléchir à ce qu’ils voient lors des manifestations. Je comprends qu’ils exercent leurs droits démocratiques sous le régime, mais je pense que ces vitupérations et ce langage inadapté mettent beaucoup de gens mal à l’aise» a déclaré l’officier qui a rappelé aux opposants que l’armée demeurait fidèle, un soutien indéfectible au roi et qu’elle n’hésiterait pas à intervenir pour mettre fin à ce qu’elle considère comme un «complot anti-monarchique». Directement visé, le Premier ministre s’est contenté d’ironiser sur la situation alors que les étudiants manifestaient aux abords du palais royal et du Quartier-général de l’armée. «Je suis préoccupé par ces mouvements et j’ai demandé aux services concernes d’être prudents. Je comprends et partage les inquiétudes de leurs parents» a affirmé ce week-end et devant la presse le général Prayut Chan-o-cha.
C’est en 1932 que l’armée a décidé de mettre fin au régime absolu qui prévalait en Thaïlande et de s’ériger comme le gardien immuable de la monarchie. Depuis le retour des ultra-royalistes au pouvoir dans la vague des manifestations de 2014, la plaque commémorative de cet événement a mystérieusement disparu. C’est grâce aux manœuvres de sa mère, la reine Sirikit, désormais retirée des affaires, que l’armée a assuré à Rama X la certitude de monter sur le trône en lieu et place de sa sœur, la princesse Maha Chakri Sirindhorn, très populaire dans le pays. Une fois couronné, le souverain n’a pas fait amende honorable pour autant et ses affaires matrimoniales comme ses frasques ont fait les choux gras de la presse internationale qui s'en est gargarisée à foison. L’armée ferme les yeux sur les fexcès du fils de Bhumibol Adulyadej, lui-même devenu roi dans des conditions suspectes. Le roi Rama X reste cependant très apprécié des uniformes chatoyants de l’armée royale thaïlandaise qui entendent tout faire pour éviter de revivre les événements de 1973 qui avaient secoué le royaume. Cette année-là, des manifestations estudiantines, réclamant la fin du régime militaire, avaient été violemment réprimées dans le sang. Pour Pavin Chachavalpongpun, professeur à l’université de Kyoto, «si la monarchie veut survivre, elle n’aura pas d’autres choix de revenir en arrière et abolir toutes les lois qui privent les thaïlandais de leur liberté d’expression » explique t-il à la revue «Nikkei Asian Review».
Rama X peut-il vraiment chuter à l’instar du roi Gyanendra Shah au Népal en 2008 ? C’est peu probable. Les étudiants critiquent bien le roi sur Internet, le pastichent mais pas publiquement et prennent bien garde de ne pas déchirer ses portraits. Personne ne tient à revivre les émeutes qui ont presque conduit le royaume sur le chemin de la guerre civile entre Chemises rouges (partisans des deux anciens Premiers ministres Shinawatra, destitués successivement par l’armée) et les chemise jaunes (partisans du roi). et qui a abouti au coup d'état de Prayut Chan-o-cha. C’est d’ailleurs au roi que reviendra le dernier mot de cette crise qui reste néanmoins un coup de semonce à sa monarchie, selon divers analystes politiques. Si les manifestations perdurent, le roi Rama X devra convoquer son gouvernement qui n’aura d’autres options que ramper devant lui comme l’exige le protocole de la monarchie et présenter ses excuses afin d'obtenir son pardon. Reste à savoir si la personnalité du roi de Thaïlande aura autant de charisme que celui de son prédécesseur, toujours admiré par ses sujets qui n’en finissent pas de porter son deuil, et de force pour chasser ses soutiens ultra-royalistes afin de calmer la colère de la rue !?.
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