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Népal : regain monarchique et jeux d’influence en Asie du Sud

Le possible retour du roi Gyanendra Shah sur son trône n’est pas qu’un débat interne au Népal. Il révèle les ambitions idéologiques de l’Inde voisine, prête à jouer avec les équilibres politiques pour défendre sa vision d’un monde hindou. Décryptage.

Le 20 avril 2025, Katmandou a été une nouvelle fois le théâtre de manifestations en faveur du retour de la monarchie. Un millier de monarchistes s'est dirigé vers la résidence du Premier ministre communiste-léniniste (UML) KP. Sharma Oli, avant d'être repoussés par les forces de l'ordre déployées autour de la primature. Ces derniers jours, le gouvernement a procédé à l'arrestation de nombreux cadres et élus monarchistes. De nombreux partis d'opposition dénoncent l'influence indienne derrière ces manifestations récurentes et réclament l'arrestation du roi Gyanendra Shah, 77 ans,  accusé de vouloir renverser la République fédérale par la force avec l'aide de New Delhi. 

Proclamée en 2008, la jeune démocratie népalaise peine à s’ancrer : en moins de dix ans, le Népal a vu défiler quatorze gouvernements, sans qu’aucun n’achève son mandat. Instabilité politique, corruption endémique, croissance en berne et chômage élevé alimentent la frustration d’une population désabusée. Mais pour autant, le retour à l’autocratie royale ne fait pas l'unanimité et n’apparaît pas comme une solution viable pour certains.

Une influence indienne de plus en plus visible

Officiellement, New Delhi nie toute implication dans les manifestations qui secouent Katmandou depuis plusieurs semaines. Pourtant, l’ombre du Bharatiya Janata Party (BJP), au pouvoir en Inde, et de son idéologie hindouiste, plane clairement sur cette agitation. Avant l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir, l’Inde s’était accomodée des nouvelles institutions démocratiques népalaises tout en continuant de cultiver des liens culturels et économiques étroits avec le pays des neiges éternelles. Depuis 2014, le discours indien a drastiquement changé : le BJP et son organisation idéologique sœur, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), appellent ouvertement à la restauration d’un rashtra (état) hindou népalais.

Des groupes affiliés, tels que le Hindu Swayamsevak Sangh ou le Bajrang Dal, ont étendu leurs réseaux au Népal, reproduisant les méthodes employées en Inde : événements religieux, propagande sur les réseaux sociaux, mobilisations populaires. Le Rastriya Prajatantra Party, principale formation politique ouvertement monarchiste, bien que minoritaire au Parlement (14 élus sur 275), surfe en puissance sur cette vague.

Un passé ambivalent entre l’Inde et la monarchie népalaise

L’histoire des relations indo-népalaises a toujours été marquée par une ambivalence. Après avoir soutenu le retour de la dynastie bir Bikram Shah au pouvoir en 1951, mis l'hégémonie des Premiers ministres héréditaires Rana, New Delhi s’était progressivement éloigné puis méfié de monarques tels que Mahendra Shah ou Gyanendra Shah, qui n’ont pas hésité pas à se rapprocher de Pékin pour contrebalancer l’influence indienne. Face à danger, l’Inde n'a pas hésité pas à prendre acte de l’abolition de la monarchie, refusant d'intervenir, préférant alors un partenariat avec les communistes, marxistes et autres léninistes. Mais cette position n'a jamais fait consensus au sein de la droite hindoue indienne, qui considère encore la monarchie népalaise comme un allié culturel et stratégique.

Pour le RSS, la disparition de l'institution royale représente une perte symbolique majeure. L’organisation présente aujourd’hui le débat népalais comme une lutte civilisationnelle contre " les communistes athées " et l’influence occidentale qu'elle rejette sous toutes ses formes . L’idéologie de l’Hindutva (ou Hindouité), jusque-là cantonnée à l’Inde, est devenu un levier régional.

Une diplomatie culturelle aux relents idéologiques et une stratégie à double tranchant

Depuis l’accession de Narendra Modi au pouvoir, cette vision s’est imposée jusque dans la diplomatie indienne. Le ministre en chef de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, a affiché à plusieurs reprises son soutien aux royalistes népalais. Des posters à son effigie ont fleuri à Katmandou lors de rassemblements monarchistes (notamment celle du qui rassemblé des dizaines de milliers de royalistes dans la capitale, le 28 mars dernier), et ses déclarations hostiles à la laïcité népalaise résonnent régulièrement comme des appels du pied idéologiques. Les visites officielles au Népal de Narendra Modi, qui comportent systématiquement des haltes dans des temples hindous, symboles d’une solidarité assumée avec les franges les plus conservatrices, ont ému le gouvernement et ses alliés. Ces derniers n'ont pas hésité à dénoncer publiquement le traitement que le BJP octroie au roi Gyanendra Shah, reçu comme un véritable souverain en exercice lors de chacun de ses déplacements en Inde (son passeport lui a été retiré en marge des manifestations en sa faveur). 

Toutefois, l’alignement du BJP avec les monarchistes népalais pourrait provoquer l’effet inverse. Pour la majorité républicaine du pays, la laïcité est aussi perçue comme le fondement de la souveraineté nationale. L’ingérence indienne, même feutrée, pourrait accentuer les tensions internes, favoriser l’extrémisme religieux et pousser Katmandou à se tourner encore plus davantage vers la Chine et appeler à une aide militaire afin de rétablir l'ordre dans le pays.

La stratégie du BJP s’inscrit dans un projet plus large : celui d’un Akhand Bharat, une entité civilisationnelle hindoue unifiée, dépassant les frontières de l’Inde actuelle. Mais cette vision néglige les réalités géopolitiques. Le blocus imposé par l’Inde au Népal en 2015, après l’adoption d’une Constitution laïque et fédérale, avait déjà été perçu comme une punition pour avoir rejeté l’idée d’un État hindou. Une attitude qui avait suscité un fort ressentiment à Katmandou, géné les royalistes népalais. La Chine, en multipliant les accords commerciaux et énergétiques avec le Népal, a profité de cette instabilité pour gagner du terrain. Au grand dam des monarchistes du RPP qui se sont empressés de dénoncer les contrats une fois inclus dans des coalitions gouvernementales ( 2015-2016, 2017-2018 et 2023). 

L'ombre de l'Inde ? Un traumatisme qui perdure pour le roi du Népal

La monarchie népalaise n’a jamais été un allié stable pour New Delhi. Souvent opportuniste, elle n’a pas hésité à instrumentaliser le nationalisme anti-indien pour consolider son pouvoir. Par ailleurs, pour les détracteurs de Gyanendra Shah, son retour n’apaiserait pas les fractures internes : il renforcerait les divisions religieuses, marginaliserait les minorités – bouddhistes, chrétiennes, musulmanes – et nourrirait un extrémisme incompatible avec la stabilité régionale. Des arguments que balayent les monarchistes rappelant le caractère fédérateur de l'institution royale et rappellent que le Népal a été toujours été stable politquement et économiquement. Pour autant, si ces derniers ne voient pas d'un mauvais oeil, une aide de l'Inde, ils n'entendent pas pour autant devenir des vassaux de New Delhi et de sa guerre idéologique. 

Face à la montée des tensions, le roi Gyanendra a tenté d'apaiser les tensions qui ne cessent d'augmenter. Dans un nouveau message, il a appelé au calme. "Les récentes violences, incendies criminels et actes de vandalisme lors de manifestations publiques, qui ont causé d'importantes pertes humaines et matérielles, nous ont profondément attristés. Aucun système ni aucune idéologie ne surpasse la liberté civique", a déclaré le monarque. "La véritable démocratie existe là où règnent une tradition et une culture d'écoute des éloges et des critiques, des doléances et de l'appréciation",  rappelle t-il. "En faisant du nationalisme et de la démocratie nos principes fondamentaux, nous avons toujours cru en une démocratie multipartite et une monarchie constitutionnelle en phase avec les sentiments du peuple", a ajouté le roi qui propose comme alternative à la crise, son retour.

La question est de savoir si celle-ci se fera avec ou sans l'aide de l'Inde. Gyanendra Shah n'a jamais oublié comment il avait été démis de son titre de souverain du Népal dans les années 1950. Un traumatisme qui l'a toujours accompagné, y compris quand il a succédé à son frère Birendra Shah en 2001, victime d'un régicide. "Notre appel ne vise ni l’intérêt personnel de quiconque, ni un quelconque programme idéologique ou théorique, mais la souveraineté de la nation tout entière, la souveraineté de tout son peuple et la dignité prospère du Népal et des Népalais. Nous devons construire une nation pionnière à notre manière. Nos intérêts et notre existence doivent être portés par nous-mêmes", a plaidé le roi déchu. Une déclaration en guise d'avertissement à l'Inde qui n'entend pas lâcher l'idée royale pour autant et damer le pion à Pékin.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 23/04/2025

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