En affirmant qu’un retour de la monarchie n’était « pas impossible », l’ancienne présidente Bidya Devi Bhandari a provoqué un séisme politique au Népal. Des paroles lourdes de sens dans une République encore fragile, où la figure de l’ancien roi Gyanendra Shah demeure, près de vingt ans après son abdication, un centre de pouvoir latent.
Les mots sont rares, mais leur portée considérable. Samedi 20 décembre 2025, interrogée par le journaliste Rishi Dhamala du Reporter 's Club Nepal, l’ancienne présidente népalaise Bidya Devi Bhandari — deuxième chef de l’État depuis l’abolition de la monarchie en 2008 — a publiquement exprimé son respect pour l’ancien roi Gyanendra Shah, allant jusqu’à évoquer la possibilité d’un retour de la monarchie en cas de persistance de l’instabilité politique.
Relancée sur l’hypothèse d’un retour personnel de Gyanendra Shah (78 ans) sur le trône, Bidya Devi Bhandari a confirmé : « Si la monarchie est restaurée, alors certainement. […] C’est possible. ». Avant de clarifier ses propos. « On ne peut pas dire que tout soit impossible en politique ; c'est une question de temps et de circonstances », a poursuivi cette communiste de la première heure. Avant d’ajouter, sans détour : « Si le pays reste dans une situation aussi instable, on ne peut exclure un retour de la monarchie.». Une prise de position qui a provoqué un séisme politique au sein des forces de la gauche népalaise.
Une déclaration loin d’être anodine dans un contexte politique personnel fragilisé
Ces propos ne relèvent ni de la nostalgie ni d’une simple analyse théorique. Ils émanent d’une femme qui a incarné, pendant deux mandats (2015-2023, la plus haute autorité constitutionnelle de la République démocratique fédérale du Népal, après avoir occupé plusieurs postes de ministres y compris sous l’institution royale. À ce titre, Bidya Devi Bhandari, 64 ans, fut garante du nouveau régime issu de la fin de la monarchie, renversée à la suite de la guerre civile maoïste et du mouvement populaire de 2006.
Que cette même figure suggère aujourd’hui qu’un retour monarchique serait envisageable constitue, pour nombre d’observateurs, une remise en cause implicite des fondements mêmes de la république. « Il est inhabituel qu’une ancienne présidente évoque un possible retour de la monarchie. Elle n’a pas tenu ces propos à la légère », confie un dirigeant de la faction conservatrice du Parti communiste du Népal -marxiste-léniniste unifié (CPN-UML), principal parti de gauche du pays dont le gouvernement a été récemment renversé par une révolution populaire (2025).
Les déclarations de Mme Bhandari interviennent dans un moment de sa propre mise à l’écart politique. Après le refus du CPN-UML de renouveler officiellement son adhésion au parti et la défaite de la faction d’Ishwar Pokharel, qu’elle soutenait, lors du 11ᵉ congrès général, toute perspective de retour immédiat sur le devant de la scène politique semble compromise.
Ce recul explique, sans l’excuser, la liberté de ton de l’ancienne présidente. Mais il n’en atténue en rien la portée symbolique.
Gyanendra Shah, un roi toujours présent, la monarchie, un centre de pouvoir toujours latent
Bidya Devi Bhandari a tenu à rappeler les circonstances de l’abdication du dernier monarque de la dynastie Bir Bikram Shah qui a dirigé le Népal depuis le XVIIIe siècle : « Gyanendra a rendu au peuple ce qui lui appartenait et renoncé au trône. ». Elle a souligné que l’ancien souverain avait décidé de ne pas quitter le pays, « par amour pour la nation », demeurant au Népal malgré la chute de la monarchie. Témoignage d'une fidélité qui nourrit aujourd’hui encore une certaine légitimité morale mais qui a crispé plus d'un maoïste.
Elle a également invoqué la filiation historique du roi déchu, fondateur de l’État népalais et figure tutélaire de l’unité nationale : « Il a été roi du Népal, membre éminent de la famille royale et descendant de Prithvi Narayan Shah (1722-1775-NDLR). » .« Si le pays reste instable et que les partis politiques ne parviennent pas à s’imposer, alors quelqu’un doit prendre les rênes », a encore affirmé Mme Bhandari. « Parmi les différents centres de pouvoir au Népal, l’ancienne monarchie en est un. », renchérit-elle.
Ce constat est largement partagé. Depuis 2008, le Népal a connu une instabilité chronique : gouvernements éphémères, rivalités internes, corruption endémique, lenteur des réformes et désillusion populaire. Dans ce contexte, la monarchie conserve une image paradoxale de stabilité, notamment auprès des populations rurales, de certaines élites traditionnelles et d’une jeunesse désabusée.
Des réactions contrastées au sein de la classe politique
Dans un pays où l’identité nationale reste fragile, ce rappel n’est pas anodin et a irrité plusieurs leaders de l’opposition d’extrême-gauche. D’autant que le roi Gyanendra Shah reste très présent dans la politique népalaise, une épine dans la république fédérale, ombre permanente qui inquiète les anciens rebelles.
Au sein du CPN-UML, les réactions oscillent entre gêne et inquiétude. Deepak Niraula, président du parti à Katmandou, tente de relativiser : « On tente de tirer des conclusions erronées d’une réponse contextualisée. ». La députée Sarita Neupane appelle à la prudence. À l’inverse, l’ancien secrétaire général adjoint Pradeep Gyawali évoque une « foi vacillante dans les fondements mêmes » de la République. « Pourquoi sa confiance commence-t-elle à vaciller ? », interroge-t-il publiquement. Au sein de la droite conservatrice, à l’heure où les partis royalistes ont le vent en poupe et sont en cours de fusion afin de peser sur les futures élections législatives (2026), les propos ont été accueillis avec enthousiasme. Rabindra Mishra, figure du Parti national démocratique (RSP), a salué l’ancienne présidente et rendu hommage au monarque déchu: « La manière dont il a abdiqué force le respect. C’est un patriote. Il est l’un des piliers du pouvoir dans le pays. […] Il faut bien que quelqu’un prenne les rênes. »
En quelques phrases, Bidya Devi Bhandari a brisé un tabou central de la vie politique népalaise : celui de l’irréversibilité de la république. Sans appeler explicitement à une restauration monarchique, elle a acté publiquement ce que beaucoup murmuraient en privé : l’échec relatif du système actuel et la persistance, dans l’imaginaire collectif, d’une alternative royale.
Dans un Népal en quête de stabilité, ces paroles pourraient bien marquer un tournant. Non pas le retour imminent du roi, mais la réouverture d’un débat que la république croyait définitivement clos.
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