Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Les héritiers du Sarawak : la dynastie des Brooke

Née d’une improbable rencontre entre l’audace d’un aventurier britannique et les troubles d’un sultanat, la dynastie des « Rajahs blancs » a régné sur le Sarawak pendant plus d’un siècle. Dans cette région de Bornéo, elle a laissé une empreinte singulière, mêlant exotisme, conquêtes, scandales et modernité. Aujourd’hui encore, à travers son descendant Jason Desmond Anthony Brooke, l’héritage continue de fasciner et d’intriguer.

Quarantaine fringante, c’est un jeune homme au regard droit et doté d’une mèche de cheveux faussement tombante. Jason Desmond Anthony Brooke est l’archétype de l'aristocrate britannique faussement rebelle. Sa barbe rousse, légèrement broussailleuse, le ferait presque passer pour un de ces anciens pirates écumant les sept mers de Bornéo. A Londres, il arpente les rues de la capitale du Royaume-Uni comme tout un chacun. Vous le croiseriez, vous ne le remarqueriez peut-être même pas.

Et pourtant, dans ses veines, coule le sang d’une dynastie de Rajahs dont le royaume a été le fleuron de l’empire colonial de Sa Très Gracieuse Majesté britannique.

 

Fort Marguerite @Wikicommons

Fort Marguerite, le retour d’un Rajah parmi les siens

Fort Marguerite, septembre 2013. C’est l’effervescence. Des centaines de personnes se sont réunies dans cette ancienne forteresse construite en 1879 afin de protéger la capitale du Sarawak, Kuching, des attaques des pirates. Mêlant des styles d’architectures indo-malaisiens à ceux venus de la lointaine Angleterre, le lieu résume à lui tout seul l’histoire du royaume de Sarawak. C’est ici que les cendres de Sir Anthony Walter Dayrell Brooke vont désormais reposer. Pour les habitants de Sarawak, c’est un moment fort en symboles. A 98 ans, le dernier Rajah Muda revient parmi ses anciens sujets. Le drapeau orné d’une croix rouge et noire sur fond jaune avec en son centre une couronne a été hissé pour l’occasion. Jason Desmond Anthony Brooke son petit-fils, porte le coffret dans lequel reposent les cendres du dernier souverain de cet état situé dans l’archipel de Bornéo, à peine plus grand qu’un quart de la France.

On s’incline lors de son passage. Ils ne sont qu’une poignée mais tous se souviennent que durant un siècle entier, les Rajahs blancs ont gouverné ce qui fut connu comme le royaume de Sarawak.

 

James Brooke @wikicommons

James Brooke, l’aventurier devenu souverain

Tous les ingrédients sont réunis pour écrire une aventure digne des meilleurs romans d’aventure. On a d’abord un sultan : celui de Brunei en proie à une guerre de succession. Puis, un peuple : les Dayaks profitent des troubles pour se soulever contre ceux qui occupent cette partie de l'indo-Malaisie. Un prince un peu trop confiant : L’oncle du sultan qui promet à son souverain de réduire la rébellion en quelques jours et qui rentre, défait et sans troupes. Et enfin, le sauveur, l’aventurier, qui va sauver le sultan de son infortune :  James Brooke.

L’homme possède un navire surarmé, quelques hommes aguerris. Il a de l’expérience. Très jeune, à peine âgé de 16 ans, il s’engage dans l’armée du Bengale où il gagne ses premiers galons. Avec un pécule hérité de son père, administrateur dans la Compagnie des Indes Orientales, il achète un bateau qui le mène vers la Sarawak. En quelques semaines, il réduit la rébellion à un petit ilot de résistance qui ne va pas tarder à déposer les armes. Pour le récompenser, le sultan Omar Ali Saifuddin II (1799-1852) le nomme Raja Putih, vice-roi de Sarawak le 24 septembre 1841. Loin du smog britannique, une nouvelle maison princière vient doucement de naître.

Progressivement James Brooke va s’affranchir de la tutelle de Brunei et se fait reconnaitre comme puissance indépendante en 1850 par les Etats-Unis et en 1864 par le Royaume-Uni. La principauté se dote d’un drapeau, d’une constitution écrite, une monnaie (le dollar sarawakien) et fait interdire la piraterie, l’esclavage et la chasse de têtes.  Le Sarawak prend l’allure d’un état européen, protégé par la Royal Navy qui lui accorde son assistance militaire et lui donnera même 3 navires, début de sa flotte maritime. Le royaume est agrandi, l’homme incarne l’image de l’intriguant romantique qui s’offre le luxe d’être reçu par la reine Victoria en personne. Les journaux britanniques ne se lassent pas de raconter les nombreux épisodes de la vie tumultueuse d’un sujet de Sa Majesté, en exagérant parfois ses actes héroïques comme lorsqu’il manque de rendre l’âme lors de la rébellion des Cipayes (1857) après une tentative d’assassinat orchestrée par des chercheurs d’or chinois. De son vivant, James Brooke est entré dans la légende qui va perdurer et ne cesser d’être alimentée.

Le petit écran ne tardera pas à exploiter à exploiter le côté noir de James Brooke. Dans la série franco-italienne à succès « Sandokan » (1976), James Brooke devient inévitablement le méchant de service qui affronte vainement le « Tigre de Malaisie », amoureux de la belle Marianne, nièce de Lord Guillonk. D'amours, il en est question avec son lot de scandales. On lui prête des liaisons avec le prince Badruddin ou encore avec Charles Grant, petit-fils du comte d’Elgin, dont la relation fit jaser la « gentry » locale au regard de l’âge de l'ambitieux jeune homme : 16 ans à peine.

 

Charles Brooke@wikicommons

Charles Brooke, entre exploits militaires et scandales intimes

Ses successeurs ne vont pas démériter. Charles Brooke (1829-1917), son neveu qui lui a succédé en 1868, va autant se distinguer sur le champ de bataille que dans le lit conjugal. Au Sarawak, les mœurs sont quelques peu libres. Toutes les ladies du royaume se pressent avec succès autour de ce fringant soldat qui réprime les révoltes les unes après les autres. Charles Brooke crée sa propre légende. Au cours d’une partie de chasse, il perd un œil et le remplacera par un œil en verre sur lequel estd essiné un tigre. De quoi effrayer ses sujets, obligés de baisser la tête pour ne pas croiser son visage marqué par la vengeance de l’animal traqué. La principauté du Sarawak obtient une reconnaissance internationale, entre dans l’ère moderne et la découverte du pétrole va en faire un royaume des plus convoités.

Son mariage avec Margaret Alice Lili de Windt est un échec total même si elle accouche de 6 enfants (dont 3 vont seulement survivre). Et parmi eux, son fils aîné Charles Vyner avec qui il entretient des relations désastreuses. Dans l’ancien palais de Kuching, on peut encore entendre les murmures des disputes mémorables que se livrèrent les deux générations. Charles Vyner ne cédera pas au chantage de son père et finit même par s’imposer comme le régent de Sarawak, un an avant la mort du souverain.

 

Charles Vyner @wikicommons

Charles Vyner, l’ultime Rajah face aux tempêtes de l’Histoire

Charles Vyner (1874-1963) a fait ses armes dans la défense anti-aérienne, passionné par les avions. Ce blond aux yeux bleus est un riche héritier qui va ramener avec lui Sylvia Brett (1885-1971), la fille du vicomte d’Esher. Manipulatrice, machiavélique, elle a de l’ascendant sur son mari et joue un rôle non négligeable dans les disputes que se livrent le père et le fils. En montant sur le trône, Charles Vyner met en place un code pénal calqué sur celui en vigueur dans les Indes britanniques. Quelques réformes et un sentiment de lassitude pour couronne.

Play boy avéré, il délaisse son trône pour les champs de courses londoniens, dépense sa fortune loin de son peuple qui s'irrite de cette situation. Avec le déclenchement des hostilités entre les Américains et les Japonais, le soir du réveillon de Noël 1941, sa principauté est rapidement envahie par les troupes de l’empereur Hiro Hito. Le Rajah s’enfuit avec sa famille, se réfugie à Sydney tandis la résistance royaliste s’organise. La répression japonaise est impitoyable et les camps de concentration se multiplient. Peu de temps avant l’invasion, le monarque avait trouvé le moyen de se faire attribuer des sommes importantes pour son exil en échange de la promulgation d’une constitution limitant son pouvoir. Le début de la fin pour cette monarchie qui va souffrir de l’occupation par l’empire du Soleil levant.

Le pays ne sera libéré qu’en juin 1945. Charles Vyner revient triomphalement dans sa capitale mais les temps ont changé. Sarawak a perdu de son intérêt stratégique et se retrouve malgré lui au cœur des négociations entre les indépendantistes malaisiens et le gouvernement britannique. Londres va bientôt contraindre le prince à céder sa principauté  (à cheval sur deux états)  au Royaume-Uni, le 1er juillet 1946, avant d’en faire cadeau à la future fédération de Malaisie, 17 ans plus tard. Il part vivre à Londres, confortablement, ne reverra jamais le Sarawak et sa chaleur moite.

Son héritier et neveu, le Rajah Muda Anthony (1912-2011), ne l’entend pas ainsi tout comme la majorité des membres autochtones du Conseil Negri (Parlement). Il entend préserver ce trône familiale. C’est le soulèvement. Pendant 5 ans, les royalistes du Gerakan Anti-Penyerahan Sarawak vont se battre contre cette annexion illégale (le gouverneur Duncan Stewart sera même assassiné en 1948). En vain. De guerre lasse, le prince Anthony finit par renoncer à ses revendications en 1951, s’installe à Londres avec une confortable pension et sous surveillance du MI5, les services secrets britanniques. Clap de fin de l’aventure Brooke ?

 

Jason Desmond Anthony Brooke @Facebook/DR

Jason Brooke, gardien de la mémoire des Rajahs blancs

Pas vraiment ! Jason Desmond Anthony Brooke, né en 1985, assume son héritage. Il a mené un combat pour laver l’accusation de meurtre qui pesait sur son grand-père (qui avait été autorisé à revenir en 1967 pour une visite avant de se réfugier au sein d’une communauté hippie). La découverte de documents en 2011 a permis de réhabiliter le nom des Brooke. Lors des funérailles du dernier Rajah, le gouvernement britannique a d’ailleurs présenté ses excuses officielles à l’actuel prétendant au trône. 

Quand Jason Desmond Anthony Brooke ne travaille au British Museum (où est exposé un portrait du fondateur de la dynastie), il vient fréquemment visiter l’ancienne principauté : « Le Sarawak d’aujourd’hui a peut-être changé de visage mais il a conservé tout son esprit d’origine. Partout, que ce soit lors de mes visites personnelles ou de celles de ma famille dans l'État, nous sommes accueillis avec chaleur et courtoisie (…) », déclare t-il en 2012., dans une certaine forme de nostalgie mais sans prétendre à quoi que ce soit pour autant.  Sa page personnelle sur Facebook a plus de 27000 abonnés de tous les horizons.

Un mouvement monarchiste soutient-il ses prétentions ? A ce jour, aucun parti ne s’est réclamé des Brooke (son hériter actuel est son fils âiné Jago Charles Bertram Brooke, né en 2019) quand même bien les autorités locales reçoivent toujours Jason Desmond Anthony Brooke comme un prince régnant. Ils ont inauguré avec lui, une aile consacrée à l’histoire de James Brooke au Fort Marguerite, en 2016 et deux ans plus tard, via le Brooke Trust, il a financé un programme de diffusion de langue anglaise avec obligation de privilégier les habitants du Sarawak. Un prince actif qui vit à l’année au Royaume-Uni qui entretient la mémoire des Rajahs blancs avec fidélité.

Entre épopée coloniale et saga familiale, l’histoire des Rajahs blancs du Sarawak illustre la rencontre improbable entre l’Orient et l’Occident. Tantôt auréolée de gloire, tantôt ternie par les excès et les désillusions, cette dynastie continue de captiver l’imaginaire collectif. Si Jason Desmond Anthony Brooke n’aspire pas à restaurer la couronne de ses ancêtres, il veille néanmoins à en préserver l’esprit et la mémoire, inscrivant ainsi la légende des Rajahs blancs dans la durée.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 11/09/2025