Les descendants du dernier Dragon de Chine

Pu yi qing dynasty china last emperorQue sont devenus les descendants du dernier empereur de Chine ? Pékin, le 15 avril 2015. Ils sont une centaine à suivre ce cercueil qui se dirige vers le cimetière gouvernemental de Babaoshan. Amis, membres de la famille, discrets sympathisants, anciens élèves sont venus accompagner cet ancien instituteur décédé 5 jours auparavant à l’âge vénérable de 96 ans. Ses funérailles auraient pu passer inaperçues si des agents de la «Police de l’armée du peuple » n’avaient pas fait une apparition pour surveiller la procession. En tête de celle-ci, le portrait géant de Jin Youzhi. Pour les européens son nom ne dira rien mais pour la république populaire de Chine, il demeurait un témoin vivant de son histoire troublée. Pour les mandchous, il était le prince impérial Pu Ren, le dernier frère d’Aisin Gioro Pu Yi dont la vie a été portée à l’écran par le réalisateur Bernardo Bertolucci en 1987. Que sont donc devenus les descendants du dernier empereur de 10 000 ans ?

En août 1945, les dépêches s’accumulent sur le bureau de l’empereur. La nervosité est palpable au palais impérial de Changchun. Les soviétiques menacent désormais les frontières du «Grand État mandchou de Chine», plus connu sous le nom de Mandchoukouo. Un état fantoche contrôlé par les japonais qui ont transformé le pays en vaste laboratoire d’expériences humaines en tout genre avec sa fameuse unité 731. Pu Yi l’ignore, mal informé, il a accepté de remonter sur le trône de ses ancêtres pour la 3ème fois (1934). Enfant, il avait été désigné pour succéder à l’impératrice Cixi alors qu’il n’avait que 2 ans. Nous sommes alors en 1908, le XXème siècle est à peine naissant et la Chine ne va pas tarder à vivre les tourmentes d’une révolution qui va mettre fin à la dynastie régnante des Qing. Une république proclamée 3 ans plus tard, Pu Yi grandira au sein de la Cité Interdite, ce vaste palais–forteresse de 72 hectares entouré d’eunuques, de mandarins, d’une garde d’honneur. L’adolescent est seul, rêve d’Angleterre sous la férule et l’influence de Reginald Johnston, son précepteur britannique.

Jouet et otage des seigneurs de la guerre, il est même restauré brièvement durant une quinzaine de jours en juillet 1917. Expulsé de son palais, il mènera une vie mondaine, ses deux mariages sont un échec. Sa première femme ne supporte pas ses japonais qui surveillent son couple et sombre dans les volutes de l’opium, sa deuxième concubine divorcera laissant un empereur play-boy à la proie de ses ambitions politiques et ses pulsions homosexuelles. Il n’aura aucun pouvoir au Mandchoukouo, l’empereur est esseulé, se remémore ses souvenirs d’enfance alors que tous le quittent peu à peu devant l’inéluctable. Le Japon est secoué par les vibrations de la première guerre bombe nucléaire larguée par les américains à Nagasaki, le Mandchoukouo vit ses derniers jours, la maison impériale… le début de son crépuscule final.

C’est à Moukden que Pu Yi est arrêté par les soviétiques alors qu’il allait décoller vers le Japon. Les russes pénétrant dans l’avion le trouvent assis, le regard perdu dans le vide. Ironie de l’histoire c’est ici, en 1932, qu’un incident orchestré par Tokyo avait servi de prétexte à l’invasion de la Chine par l’empire du Soleil Levant. Pour les membres de la famille impériale, l’heure est à la rééducation dans des prisons d’état.

Gettyimages pu jieLa suite est connue. Le dernier empereur finira sa vie dans la peau d’un jardinier reçu par les dignitaires communistes qui ne se lassent pas de prendre des photos avec cet homme aux lunettes cerclées qui va décéder 1967. L’empire avait vécu, il ne restait plus qu’aux membres de la dynastie à se fondre dans le paysage rouge sang de la nouvelle république établie par Mao Zédong. Pu Jie (1907-1994), son frère est l’héritier d’un trône dont il ne veut plus entendre. Prisonnier modèle, il avait subi les humeurs cyniques de son frère. Marié à la fille d’un marquis japonais, la princesse Hiro Saga lui donnera 5 enfants dont Husiheng au destin marqué par la tragédie. En 1957, alors qu’elle n’a que 19 ans, son corps est retrouvé, étendu sur le mont Amagi auprès d’un de ses camarades qui s’en était amouraché. Assassinat ou suicide, le mystère demeure encore aujourd’hui. Pu Jie deviendra député de Shanghaï (de 1978 à son décès) et entretiendra une relation étroite avec le vice-président Zhou Enlai.

Les agents de la police secrète ne bronchent pas devant la procession de celui que les médias chinois appellent le jeune frère du dernier empereur ». Y compris lors que ses anciens élèves vont faire le kowtow, ce geste de soumission consistant à se mettre à genoux, le front sur la terre. Une ancienne pratique impériale. Bien qu’il ne lui reconnaisse aucun statut officiel, le parti communiste chinois (PCC) continue de choyer sa famille impériale. L’ancien palais de Pu Yi a été restauré et transformé en musée-témoin de l’occupation japonaise et rebaptisé très lyriquement « musée du palais impérial illégitime du Mandchoukouo ». Le dernier empereur y est même représenté dans différentes postures. Empereur dont les instances officielles ont célébré le 50ème anniversaire de sa mort à travers une exposition qui lui a été consacrée au sein de la Cité interdite.

Pu renLe chef de la maison impériale est le prince Jin Yuzhang. Ce presque octogénaire a fait sa carrière au sein du PCC avant de prendre sa retraite en 2008 comme vice-directeur du district de Chongwen. Personne ne le connaît, les chinois ignorent tout de leur maison impériale dont la dernière réunion médiatisée a eu lieu en 2012. Un événement exceptionnel peu commenté tant elle entend restée discrète. Ce qui ne l’empêche pas de faire l’actualité pour autant.

Le neveu du dernier empereur, Jin Yulan reconnaît aujourd’hui que « la dynastie est morte depuis le décès de Pu Yi ». Il est devenu un infatigable défenseur de la mémoire de son oncle qu’il a connu enfant. Aujourd’hui, il se dit néanmoins satisfait du sort de sa famille dans une interview au dailymail. Car selon lui, les «chinois regardent leur histoire avec un point de vue plus objectif et semblent plus disposés à l’égard de la famille impériale » affirme-t-il sans un sourire. Régulièrement d’ailleurs, les chinois viennent fleurir la tombe de marbre blanc de Pu Yi. Impensable sous Mao. Une nouvelle révolution culturelle qui s‘explique par la réappropriation de leur histoire tumultueuse par les chinois.

Une partie de la famille impériale réside à Hong Kong et a joui d’une relative liberté sous le gouvernorat anglais qui avait acquis cette péninsule lors de la guerre de l’opium en 1860 pour cent ans. Ce ne fut pas le cas de tous rappelle Jin Yulan qui raconte comment les gardes rouges sont venus détruire sa maison. Ou encore le prince Yu Yan qui fut emprisonné de 1966 à 1979 à la prison de Fushun, la même qui avait accueilli Pu Yi et Pu Jie dans les années 1950.

Partisan du mandchoukouoLa Chine vit à la mode impériale. Il est de bon ton pour un jeune couple de se faire photographier en tenue impériale traditionnelle, dont les costumes sont devenus un business florissant. Même la télévision chinoise a succombé à cette mode en produisant une sérié consacrée à la vie d’une concubine célèbre du palais impérial. Ce qui l’a pas manqué de faire réagir la princesse Aisin Gioro Puyang, qui a accusé la télévision d’état de revisiter l’histoire à sa manière (2011). Une voix dissidente autorisée qui marque assurément l’évolution de la mentalité du PCC vis à vis de la famille impériale qui a un pied dans les arts. Ainsi l’arrière-petite-nièce de Pu Yi, la princesse Cécilia Aisin Gioro est une peintre renommée à Vancouver (2016).

Il existe bien un mouvement monarchiste pro-mandchou créé 2004 et basé à Taïwan mais celui-ci reste controversé. Pékin accuse celui-ci, d’être un paravent de l’extrême-droite japonaise ou du Kuomintang sécessionniste qui le piloterait. Tout porte d’ailleurs à croire que c’est le cas. Cependant, aucun membre de la famille impériale n’a apporté son soutien à leurs actions en dépit de son leader qui affirme être un descendant des Qing, Néanmoins ce dernier reste proche de King Pu-tsung, véritable membre de la maison impériale (vice-maire de Tapeï entre 2002 et 2006). Le 15 avril 2015, on a enterré le dernier frère vivant d’Aisin Gioro Pu Yi. « Un chinois comme les autres » pour Jia Huyaing, un historien présent aux funérailles. « C’est la fin d’une histoire, la fin d’une ère » dit –il tristement en guise de conclusion.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 02/05/2020

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