Alors que les tensions frontalières avec la Thaïlande restent persistantes, le roi Norodom Sihamoni a lancé un appel vibrant à l’unité nationale. Dans un Cambodge inquiet mais empreint de patriotisme, le souverain apparaît plus que jamais comme le gardien moral d’un pays menacé dans son intégrité territoriale.
Depuis plusieurs semaines, la situation reste explosive le long de la frontière nord-ouest du Cambodge et de la Thaïlande. Les accrochages entre forces armées de ces deux monarchies autour des zones disputées — un contentieux ancien, ravivé périodiquement depuis les années 2000 — ont contraint des milliers de civils à fuir.
Ces tensions s’inscrivent dans une histoire marquée par la rivalité séculaire entre Phnom Penh et Bangkok, nourrie par des litiges territoriaux portant notamment sur la région du temple de Preah Vihear. Malgré les arbitrages internationaux, la ligne frontalière demeure floue à plusieurs endroits, laissant place à des provocations mutuelles et à des manœuvres militaires régulières. C’est dans ce contexte que le roi Norodom Sihamoni a pris la parole, profitant de l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale, le 28 novembre 2025, pour délivrer l’un de ses discours les plus fermes depuis son accession au trône.
Un appel royal à la solidarité face « aux ennemis envahisseurs »
Devant les députés du Parti du Peuple Cambodgien et du Funcinpec, le souverain n’a pas mâché ses mots. « Je suis extrêmement heureux de constater que la nation cambodgienne a fait preuve d'une grande unité et d'une grande solidarité alors même que notre Royaume est confronté à des menaces contre sa souveraineté et son intégrité territoriale de la part d’ennemis envahisseurs », a-t-il déclaré, dans une rare référence directe à la pression militaire thaïlandaise.
Le roi a salué les « soldats braves et vaillants » déployés en première ligne, remerciant également tous ceux qui contribuent « à défendre la paix avec dignité, non-violence et grande patience ». Ce vocabulaire fort, inhabituel dans la bouche d’un monarque au tempérament discret et consensuel, témoigne de la gravité de la situation.
Norodom Sihamoni a également félicité l’Assemblée nationale pour ses efforts auprès des soldats et des familles déplacées, notamment les visites sur le terrain et les distributions de vivres. Il a enfin renouvelé son soutien au gouvernement dirigé par le Premier ministre Hun Manet, saluant la stratégie de développement et la défense de la souveraineté nationale portée par l’exécutif et par Hun Sen (père du chef du gouvernement et ex premier ministre de 1998 à 2023), aujourd’hui président du Sénat.
Un roi pacifique devenu symbole d’unité nationale
L’intervention de Sihamoni prend d’autant plus de relief qu’elle émane d’un souverain réputé pour sa réserve.
Né à Phnom Penh le 14 mai 1953, Norodom Sihamoni est le fils du roi Norodom Sihanouk et de la reine Norodom Monineath. Très jeune, il est envoyé à Prague où il étudie la danse classique, la musique et le cinéma. Il devient un artiste accompli, danseur et metteur en scène, avant d’enseigner dans plusieurs institutions culturelles en Europe.
Durant les années sombres du régime sanglant des khmer rouges, il est asssigné à résidence Phnom Penh avec sa famille, tout le temps de la dictature. Après 1979, il reprend une carrière internationale dans les arts et la diplomatie culturelle, notamment comme représentant permanent du Cambodge auprès de l’UNESCO. En 2004, à la surprise générale, il est choisi par le Conseil du Trône pour succéder à son père. Loin du style flamboyant du roi Norodom Sihanouk, ce célibataire endurci cultive la modestie, la médiation et l’éthique personnelle. Il s’est imposé comme une figure morale au-dessus du tumulte politique, dans un pays souvent traversé par les tensions politiques régulières. Sa parole, lorsqu’elle est prononcée, a valeur de rappel aux fondamentaux : unité, paix, dignité, préservation de la souveraineté.
Dans son discours, le roi a de nouveau insisté sur l’ambition de faire du Cambodge un pays à revenu élevé d’ici 2050, saluant les priorités fixées par le gouvernement — « la population, les routes, l’électricité, l’eau et la technologie » — un mantra du développement national. Mais au-delà des formules, c’est la portée politique de son intervention qui retient l’attention : en temps de crise, le roi se fait rempart symbolique contre les ingérences extérieures. Il rappelle que le Cambodge, traumatisé par l’histoire, ne tolérera pas la remise en cause de son intégrité.
Dans un contexte où chaque incident frontalier peut dégénérer, l’appel du roi Norodom Sihamoni à la solidarité et au courage résonne comme une mise en garde adressée à Bangkok et comme un message d’espoir pour un peuple déterminé à défendre son territoire.
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